Le projet du commissaire européen Pierre Moscovici ne suscite pas un enthousiasme débordant. (Photo: European Union 2017/EP)

Le projet du commissaire européen Pierre Moscovici ne suscite pas un enthousiasme débordant. (Photo: European Union 2017/EP)

Une bonne semaine après la publication de la proposition de directive de la Commission européenne en matière de lutte contre les planifications fiscales dites «abusives», les professionnels directement concernés (les conseillers fiscaux, les avocats, les banques…) ont eu le temps de digérer un texte qui ne les a pas spécialement traumatisés, pas plus qu’il ne les a fait sauter de joie.

Globalement, les réactions sont pour le moins mitigées à l’annonce de ce projet de directive, compte tenu surtout des grandes incertitudes qui l’accompagnent. «Je note en premier lieu qu’il s’agit de la quatrième couche en matière d’échange d’informations, mais qu’on n’a pas pris le temps de mesurer les effets des trois couches précédentes», regrette Gerdy Roose, tax partner chez BDO. Le Common Reporting Standard (l’échange automatique d’informations), le Country-by-Country Reporting et, plus récemment, les échanges sur les rulings ont en effet déjà été implémentés ou sont en train de l’être. Et dans ces cadres-là, le décorticage des structures, que d’aucuns considèrent comme étant «fiscalement agressives», est déjà très avancé.

On n’a pas pris le temps de mesurer les effets des mesures précédentes.

Gerdy Roose, tax partner chez BDO

«Arrêtons donc de donner toujours plus d’informations et commençons d’abord par voir comment on peut déjà utiliser et traiter de façon efficace celles déjà reçues. Si on constate des lacunes, alors tout le monde comprendra qu’il faut prendre des mesures supplémentaires. Mais pour l’heure, on n’a aucun retour sur ces premières mesures.»

Beaucoup de questions en suspens

Sans aller jusqu’à sentir poindre une menace pour l’activité même de conseiller fiscal, les professionnels s’accordent à dire que ces nouvelles dispositions envisagées par la Commission européenne ne sont pas neutres. «In fine, le contribuable qui n’a rien à cacher devra supporter le coût de la mise en place des procédures d’envoi d’informations», regrette d’avance M. Roose.

La question des responsabilités dans la chaîne d’information n’est pas non plus clairement établie aux yeux de Georges Bock, head of tax chez KPMG Luxembourg. «Qui, entre celui qui crée une structure, celui qui la gère ou celui qui tient les comptes devra s’affranchir de ces obligations? La question se pose aussi une nouvelle fois en matière de secret des affaires. Cela fait partie des questions qui devront être débattues dans le détail.»

Il s’agira aussi d’affiner la liste des dispositifs de planification fiscale visés par cette future obligation de transparence, jugée bien trop vaste actuellement par les professionnels. 

Une entrée en vigueur espérée pour 2019

Pour l’heure, la proposition de directive étant posée sur la table, il revient aux États membres de l’EU de parvenir à un accord à l’unanimité pour que le projet devienne réalité. L’agenda des prochains conseils écofin sera donc à surveiller de près, dans un environnement déjà compliqué à la base. «La réalité est que les différents systèmes fiscaux des États ne se parlent pas toujours entre eux. C’est pour cela qu’il y a eu des initiatives telles que Beps. C’est cette incohérence entre les systèmes qui a pu amener à des résultats non désirés et que l’on cherche à poser des couches supranationales pour combler des trous nationaux.»

Les différents systèmes fiscaux des États ne se parlent pas toujours entre eux.

Georges Bock, head of tax chez KPMG Luxembourg

C’est donc désormais l’attente qui prévaut. Celle de voir comment les États membres vont entamer les discussions, avec sans doute la volonté d’aboutir à un accord le plus rapidement possible. La proposition, qui prend la forme d’une modification de la directive sur la coopération administrative, doit être soumise au Parlement européen pour consultation et au Conseil pour adoption. Bruxelles espère que ces nouvelles obligations déclaratives entrent en vigueur le 1er janvier 2019 et obligent alors les États membres de l’Union à échanger des informations tous les trois mois.