Pour préparer l’avenir sans secret professionnel, les assureurs veulent moderniser la protection des souscripteurs. (Photo: Luc Deflorenne)

Pour préparer l’avenir sans secret professionnel, les assureurs veulent moderniser la protection des souscripteurs. (Photo: Luc Deflorenne)

L es assureurs-vie luxembourgeois vont devoir faire la démonstration que les produits commercialisés au Luxembourg ainsi que leur expertise ont bien la supériorité dont ils se targuent depuis des années, eux qui avaient tendance à banaliser l’importance du secret professionnel dans l’évolution des primes encaissées auprès d’une clientèle internationale.

Or, malgré les avantages indéniables des contrats made in Luxembourg et la souplesse et la diversité des investissements sous-jacents dans lesquels ces contrats peuvent être investis, on a bien vu combien la santé d’un secteur, qui emploie quelque 5.600 personnes au Luxembourg (et plus de 2.000 personnes vivant des produits d’assurance-vie liés à de la pure gestion privée), pouvait être affectée par les soubresauts et les avancées des discussions dans les cénacles internationaux et européens en matière de lutte contre la fraude fiscale. Il n’y a pas que ça. La défaillance de l’assureur Excell Life, en juillet 2012, a jeté une certaine suspicion sur les contrats luxembourgeois et leur solidité prétendument «en béton», s’appuyant sur le fameux «triangle de sécurité», à savoir le Commissariat aux assurances et ses standards de régulation exigeants, la banque dépositaire (qui fait que l’argent des déposants est en principe protégé) et le privilège absolu des preneurs d’assurance en cas de faillite de la compagnie. Le dispositif a montré ses limites. L’affaire Madoff, en 2009, avait déjà jeté le doute chez les épargnants sur l’inaltérabilité du triangle de sécurité. Mais il s’agissait de coups de canif. Dans l’affaire Excell Life, le coup fut rude pour l’ensemble du secteur de l’assurance. Ce qui a obligé ses opérateurs à réagir.

Pour regagner la confiance des investisseurs et affirmer le caractère unique en Europe de ce «super privilège», qui est la marque de fabrique de l’assurance luxembourgeoise, les assureurs ont fait de «la protection optimale des avoirs des clients» une de leurs principales revendications lorsqu’ils avaient eu des entrevues avec les différents partis politiques avant les élections législatives anticipées du 20 octobre dernier. «Un des avantages incontestables des contrats d’assurance-vie luxembourgeois, notait l’Association des compagnies d’assurances (Aca), est la solide protection des preneurs d’assurance. En effet, un privilège absolu est réservé aux créances d’assurance. Ce système est connu au-delà des frontières sous la dénomination du ‘triangle de sécurité’, qui illustre une convention tripartite entre une entreprise d’assurance luxembourgeoise, le Commissariat aux assurances et une banque dépositaire des avoirs, agréée par le Commissariat aux assurances.»

Les assureurs plaidaient pour une modernisation et un renforcement constants de ce triangle de sécurité, qu’ils voient comme «un des points-clés du développement du secteur de l’assurance luxembourgeois».

Le programme gouvernemental a repris cette modernisation à son compte, sans toutefois que les plans soient très bien définis sur les pistes à suivre: «Il n’y a encore rien de très concret», relevait récemment Marc Hengen, l’administrateur délégué de l’Aca. «Nous avons des pistes, mais il n’y a pas d’urgence et rien en tout cas de prêt sur la table pour être discuté», ajoute-t-il, en répétant à l’envi que «la sécurité est un des avantages objectifs et essentiels de la Place; il faut veiller à ce que ça reste le top en Europe». Marc Lauer, le nouveau président de l’Aca, se montre un peu moins évasif sur les pistes à suivre: elles ont été tracées par les liquidateurs de la compagnie Excell Life International et validées par le Tribunal de commerce dans un jugement du 15 juillet 2013 (non frappé d’appel, donc définitif), qui avait permis la distribution d’un premier dividende aux souscripteurs de contrats d’assurance-vie de l’entreprise, placée en liquidation un an plus tôt.

Compartimentage

Pour résumer très schématiquement, tout le monde n’a pas été servi de la même manière: certains investisseurs ont été remboursés, d’autres pas, en fonction de leur profil d’investissement et de leur appétit aux risques, comme si le «privilège absolu» des créanciers d’assurance était à géométrie variable. «On pourrait imaginer un compartimentage en fonction des produits», explique Marc Lauer, qui n’en dit pas davantage sur les plans de l’Aca pour «moderniser» la protection des investisseurs. Car le sujet est sensible et le président de l’Aca ne veut pas donner le sentiment que derrière une modernisation du dispositif, en fonction du profil de risque des clients, il y aurait aussi des arbitrages qui rendraient moins universelle la fameuse protection en béton des assurés. Les deux autres éléments du triangle: le rôle du Commissariat aux assurances (l’Aca ne revendique d’ailleurs pas pour rien le maintien d’un régulateur spécifique pour le secteur des assurances, pour prendre en compte «la différence fondamentale» entre les activités bancaires et d’assurance) et celui de la banque dépositaire resteraient inchangés.

Faut-il vraiment tailler dans le triangle de sécurité et revoir la réglementation sur la protection des souscripteurs? «Avant de modifier la législation», estime pour sa part l’avocat bruxellois Robert Wtterwulghe, qui est notamment à l’origine d’une class action de clients d’Excell Life contre le régulateur luxembourgeois, il serait utile d’analyser d’abord pourquoi l’actuelle législation n’a pas été correctement appliquée.» Car si la loi l’avait été correctement, il aurait sans doute été possible d’éviter les «dérives» qui se sont produites dans l’affaire Excell Life: «Les autorités chargées d’appliquer ces législations, dit-il sans prendre de gants, se sont cantonnées dans une application purement formaliste et laxiste des textes. Personne n’a pris ses responsabilités de peur de provoquer, sans doute, des remous qui auraient été salutaires. Aujourd’hui, la réputation de la place financière est atteinte.»

À regarder de près le cas Excell (qui est d’ailleurs l’unique grosse faillite d’un assureur-vie au Grand-Duché), ce serait donc le «laxisme» du Commissariat aux assurances dans l’application des lois et règlements – ce qui a permis la création par des personnes peu recommandables de diverses sociétés d’intermédiation dans le secteur financier (sociétés de titrisation, fiduciaires, conseillers, réviseurs) – qui serait à l’origine du problème: «Ces entités, souligne l’avocat, constituent aujourd’hui de véritables plaques tournantes de la délinquance financière et du blanchiment, lesquelles faussent la concurrence en sanctionnant l’image de marque des autres professionnels du secteur.» D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si Victor Rod, le directeur du CAA, a fait confectionner dans ses ateliers le statut de professionnel du secteur des assurances (PSA), à l’instar de ce qui existait déjà dans le secteur financier (avec les PSF), pour ne plus tolérer d’électrons libres et faire entrer toute la chaîne des acteurs de l’assurance-vie dans le giron du régulateur.

«Il est temps d’appliquer la loi avec rigueur et de faire respecter la finalité de celle-ci», indique Me Robert Wtterwulghe, qui suggère «une saine mesure» afin de restaurer l’image de marque de la Place de Luxembourg: «Pour les autorités, qui ont toujours vanté le triangle de sécurité, ce serait bien de permettre l’indemnisation des petits épargnants victimes des dérives.» Comment? En faisant, par exemple, adopter une nouvelle loi étendant «aux victimes de la branche 23 luxembourgeoise (c’est-à-dire les souscripteurs de contrats d’assurance-vie adossés à des fonds d’investissement - on dépasse ici les frontières de l’assurance ‘pur jus’, ndlr) les indemnités prévues en cas de défaillance du secteur bancaire».

Les règles des banquiers?

Est-ce le prix à payer pour que les assureurs luxembourgeois continuent à commercialiser leurs produits dans toute l’Europe et atteignent une masse critique? L’Aca se met en ordre de bataille pour affronter le monde qui sera bientôt le sien, avec les règles de solvabilité durcies (directive Solvency II) et, en 2017, l’élargissement de la directive sur la fiscalité de l’épargne. Celle-ci intégrera les produits d’assurance-vie, obligeant les assureurs à passer à l’échange automatique d’informations fiscales. Une révolution et surtout un branle-bas de combat qui va coûter cher en organisation, car il n’existe «pas d’informations disponibles» pour l’Administration des contributions directes lui permettant d’échanger avec les administrations fiscales étrangères.

C’est l’heure de «la transparence fiscale absolue», selon les termes de Marc Lauer, qui ne veut toutefois pas entendre parler de «transparence générale». Les assureurs rappellent ainsi leur attachement au «secret professionnel non fiscal», nouveau credo de ralliement des opérateurs et surtout argument marketing à faire valoir face à des clients internationaux clean du point de vue de leur déclaration fiscale.

Les assureurs luxembourgeois espèrent en tout cas que l’échange automatique d’informations mettra fin aux «invectives répétitives non motivées à l’égard de la place financière».