Felix Braz (Déi Gréng), Xavier Bettel (DP), Étienne Schneider (LSAP) et Claude Meisch (DP) lors de la dernière réunion de négociation en 2013. L’enthousiasme de l’époque n’est plus le même aujourd’hui. (Photo: Christophe Olinger / archives)

Felix Braz (Déi Gréng), Xavier Bettel (DP), Étienne Schneider (LSAP) et Claude Meisch (DP) lors de la dernière réunion de négociation en 2013. L’enthousiasme de l’époque n’est plus le même aujourd’hui. (Photo: Christophe Olinger / archives)

Tels des jumeaux dans leur jeune adolescence, ce sont les deux partis «seniors» du gouvernement que l’on voit le plus se battre sur la place publique. Le candidat chef de file du CSV, Claude Wiseler, a raison de décrire les régulières et récentes divergences entre le DP et le LSAP, exprimées au grand jour comme «plus que des nuances». D’autre part, en revanche, les piques du LSAP contre son partenaire de coalition constituent une vieille technique des socialistes pour se profiler face à leur base électorale.

Le LSAP, c’est le provocateur: Étienne Schneider regrette le plan fiscal et d’économies «Zukunftspak», il déclenche aussi le débat sur l’organisation du temps de travail. Alex Bodry, pour sa part, relance la discussion sur l’expropriation... Le DP, c’est celui qui réagit aux provocations: Xavier Bettel et Pierre Gramegna défendent le Zukunftspak tandis que Corinne Cahen exclut formellement toute réduction du temps de travail et toute forme d’expropriation.

Pas étonnant d’entendre la présidente du DP, Corinne Cahen, souligner que les DP, LSAP et Déi Gréng sont «trois partis différents», tandis qu’Étienne Schneider se sent à l’aise dans la coalition et cite le proverbe «never change a winning team». Le DP ayant plus de lignes rouges que de revendications, il se démarque néanmoins plus explicitement de son partenaire.

L’avantage des libéraux est que, contrairement aux deux autres partis au pouvoir, ils sont moins divisés. Tandis que les divergences chez les écologistes entre l’aile plus libérale et l’aile plus sociale sont devenues une normalité, les divergences chez les socialistes se sont accentuées avec l’arrivée à sa pointe d’Étienne Schneider, qui aux yeux de ses camarades socialistes du Sud, fait figure de gauche caviar. Le vice-Premier ministre explique, de manière un peu défaitiste, que les inégalités sont «le défaut du capitalisme». Son collègue Dan Kersch revendique une social-démocratie forte.

Derrière, la donne politique n’est donc plus la même qu’il y a quatre ans. À l’époque, les jeunes gardes des DP et LSAP sentaient la nécessité et l’opportunité d’«ouvrir grand la fenêtre», de libérer le pays de la domination du CSV, empêtré dans l’affaire du Srel. Aujourd’hui, à en entendre les modestes visions d’avenir du DP et les revendications fortes du LSAP, on a l’impression que le travail de la coalition à trois est fait et que désormais, les cartes seront redistribuées.

Une fois n’est pas coutume

L’avenir politique qui attend le Luxembourg à l’issue des législatives de 2018 dépend évidemment du vote des électeurs et l’échéance est encore assez loin. Néanmoins, certains scénarios sont plus probables que les autres. S’il est impossible de dire aujourd’hui quel parti obtiendra combien de mandats en octobre 2018 et s’il est vrai que les sondages sont produits selon une méthodologie qui peut induire en erreur, le paysage politique luxembourgeois suit une certaine logique.

Fidèle à sa devise nationale «Mir wölle bleiwe wat mir sinn» («nous voulons rester ce que nous sommes»), le pays préserve toujours une forte identité conservatrice, souvent liée à un confort matériel chéri. D’où l’adaptation informelle de la devise en «Mir wöllen hale wat mir hunn» («nous voulons garder ce que nous avons»). Les Luxembourgeois votent traditionnellement le CSV du «chemin sûr», le parti des Werner, Santer et Juncker, qui fut banni de justesse par les DP, LSAP et Déi Gréng sur le banc de l’opposition. Avec ses 23 mandats, le parti chrétien social demeure néanmoins largement en tête devant les DP et LSAP qui n’en comptent que 13 chacun.

Si les trois partis gouvernementaux perdent deux mandats ou plus, le CSV deviendra incontournable et dès lors se posera la question de son futur partenaire. Traditionnellement, le CSV s’alliait avec le LSAP ou le DP, mais la participation de Déi Gréng au gouvernement a créé une nouvelle alternative. On entend d’ailleurs souvent le choix des écologistes comme futur partenaire du CSV. Or de nombreuses interrogations demeurent, à commencer par la question arithmétique: CSV et Déi Gréng auront-ils une majorité à eux deux? Loin d’être certain. D’autre part, on voit très mal certains personnages de Déi Gréng, comme François Bausch, travailler avec des personnages du CSV jugés «hardliners», comme Marc Spautz.

Resteraient alors le DP ou le LSAP. Interrogé sur d’éventuels dénominateurs communs, Claude Wiseler estime qu’il y tantôt des convergences entre son parti et le DP et tantôt avec le LSAP. En effet si le CSV et le LSAP se rapprochent sur l’idée de l’expropriation et d’une nouvelle organisation du temps du travail, ils s’éloignent sur la revendication principale du CSV de réformer le système des pensions, ligne rouge pour le LSAP. Sur ce point on voit mieux le CSV opérer avec le DP, mais les deux partis se distinguent clairement en matière de politiques fiscale et familiale.

Tandis que le DP est actuellement donné comme plus grand perdant dans les sondages, ce qui expliquerait l’ouverture des libéraux entre les lignes à une éventuelle coalition avec le CSV, le LSAP pourrait sortir plus ou moins indemne du scrutin en 2018. En effet les socialistes font avec leurs 13 mandats mauvaise figure en comparaison avec leurs scores historiques et pourront d’autre part compter sur leurs mastodontes Jean Asselborn et Mars Di Bartolomeo qui, s’ils sont candidats dans le Sud, ne seront plus confrontés à des Jean-Claude Juncker ou François Biltgen du CSV.

Résultat des courses anticipé: le CSV n’aura pas de majorité absolue. Déi Gréng et l’ADR n’étant pas en position de livrer une majorité - du moins assez confortable - au CSV, ils seront exclus de fait. Le DP perdant des mandats se sentira forcé de retourner dans l’opposition et laissera la voie libre au LSAP. Restera à savoir qui les socialistes désigneront comme candidat chef de file.

Cela dit, même si les cartes sont redistribuées, les jeux sont loin d’être faits.