Georges Schmit (Photo: Andrés Lejona)

Georges Schmit (Photo: Andrés Lejona)

C'est en août 1977 que fut promulguée la loi portant création de la Société nationale de crédit et d'investissement Luxembourg (SNCI). Vingt-cinq ans après, cet établissement public, doté d'un capital de 173 millions d'Euro, est devenu l'un des instruments financiers incontournables pour un grand nombre d'entreprises luxembourgeoises.

 Au cours de l'année 2001, la SNCI a enregistré un volume d'opérations financières de près de 228 millions d'Euro, contre un peu plus de 160 millions d'Euro pour l'année 2000. Au total, la société gère un portefeuille de plus de 2 500 prêts à l’investissement alloués à pas moins de 1 800 entreprises dans le pays.

Visite guidée de cette banque un peu particulière avec celui qui fut le président de son conseil d'administration jusqu’il y a quelques jours (voir page 057) Georges Schmit, premier conseiller de gouvernement au ministère de l'Economie, qui avait succédé à ce poste, en 1995, à Romain Bausch, aujourd'hui président et chief executive officer de SES Global.

Monsieur Schmit, la SNCI a 25 ans, mais l'idée même de sa création est beaucoup plus ancienne…

 En effet, la loi organique de la Société nationale date du 2 août 1977 mais, pour en arriver là, il a fallu une bonne quinzaine d'années de réflexions, de préparation et de discussions.

 Tout a commencé avec les premiers pas de la politique de diversification économique mise en place au début des années 60, sous la houlette des ministres de l'Economie de l'époque, MM. Paul Elvinger puis Antoine Wehenkel.

 Une triple structure, qui est loin d'avoir fait l'unanimité en son temps, était prévue au départ pour mettre en œuvre trois objectifs: la fourniture de prêts et de crédits, la prise de participations et une activité de réescompte et de garantie ayant pour objet de faciliter aux institutions de crédit la mobilisation de leurs créances. Cette dernière fonction n'a finalement pas été retenue.

Les réflexions ont donc pris du temps. Est-ce la crise économique des années 70 qui a accéléré les choses ?

 Au milieu des années 70, la crise sidérurgique et la tenue de la tripartite entre Gouvernement, syndicats et patronat a en effet fait fonction de catalyseur dans la mise en place de la SNCI. C'est d'ailleurs d'un accord tripartite que sa création a été amorcée. Pour autant, il ne s'agissait pas simplement d'apporter une réponse à la crise financière de la sidérurgie, mais de contribuer avant tout à la modernisation et à la diversification économiques.

 La SNCI a donc vu le jour en 1977 et s'est tout de suite offerte en tant qu'instrument contribuant à la solution d'un certain nombre de problèmes qui se sont posés dans le cadre de la restructuration financière de la sidérurgie, avec l'aide, évidemment, de l'Etat et du secteur financier privé, mais aussi à la diversification industrielle et à la modernisation des PME.

Comment se sont passés les premiers pas de la SNCI?

 Une de ses premières activités a été la reprise du portefeuille de crédits d'équipements aux PME que le Trésor gérait jusqu'alors. Il s'est agi d'un transfert complet qui a servi, en quelque sorte, de dotation en capital.

 La contribution de la SNCI à la politique de diversification économique s'est traduite par le financement des investissements des nouvelles entreprises s'établissant dans le pays.

 Dès son entrée en activité, la SNCI a plutôt été bien acceptée par le milieu économique. Les investisseurs industriels reconnaissaient évidemment l'intérêt d'un organisme de financement à long terme. Au début des années 80, les taux d'intérêt étaient particulièrement élevés, et la SNCI pouvait offrir des prêts à des conditions avantageuses, car elle était en mesure de se refinancer facilement au travers d'instruments tels que les obligations convertibles ou les bons d'épargne à capital croissant.

Et depuis? Quelles ont été les grandes lignes de son évolution?

 En termes de politique de fonctionnement, la SNCI se caractérise par une très grande stabilité. Mais, bien évidemment, le poids des différents instruments a considérablement évolué avec le temps. Ainsi, le crédit à l'exportation est-il pratiquement tombé dans l'oubli, ce qui ne veut pas dire pour autant que les entreprises n'exportent plus! Simplement, la structure et les besoins des entreprises ont également connu des bouleversements et les instruments aujourd'hui à leur disposition sont plus variés, comme l'Office du Ducroire ou bien un certain nombre de banques de la Place qui se sont impliquées dans ce métier.

 Parallèlement, l'activité de prise de participations a pris une importance de plus en plus grande. Actuellement, la SNCI détient des participations pour une valeur comptable de plus de 100 millions d'Euro. Les participations représentent plus de la moitié de la performance financière de notre société.

Si votre politique n'a pas spécialement évolué, il n'en va pas de même des instruments que vous mettez en œuvre…

 La SNCI a toujours cherché à s'adapter à l'évolution des besoins. Dans les années 80, deux nouvelles formules de prêt ont été mises en place: le prêt à l'innovation et le prêt participatif.

 Dans le premier cas, il s'agit de financements à moyen terme de projets de recherche-développement des entreprises. Dans le second cas, il s'agit d'un instrument hybride qui tient du prêt - donc remboursable - et de la participation, sous la forme d'une rémunération variable en fonction du risque et du résultat de l'entreprise. C'est une formule équivalent à des quasi fonds propres.

Ces dernières années, ensuite, deux notions nouvelles sont venues à l'avant-plan: le capital-risque et l'accompagnement des entreprises dans leurs développements internationaux.

 Le capital-risque, en lui-même, n'est pas spécialement une nouveauté. Déjà au milieu des années 80, la SNCI s'est préoccupée de cet outil de financement en investissant dans des fonds de capital-risque , notamment californiens, ce qui nous a permis, en quelque sorte, de nous faire la main dans ce domaine.

 Il s'agit là d'un métier tout à fait particulier dans lequel il est important de ne pas être seul, mais, au contraire, de trouver des partenaires complémen- ‡ ‡taires sur des projets ayant d'importants besoins en capitaux propres.

 Notre objectif était double: non seulement apprendre le métier du capital-risque, mais aussi jeter les bases d'un transfert de technologies d'entreprises étrangères vers le Luxembourg.

 Il y a quelques années, le capital-risque est retourné au centre des préoccupations des entreprises et des décideurs politiques, ce qui a amené au développement de deux nouveaux instruments au Luxembourg sous l'impulsion de la SNCI.

 Il y a tout d'abord la création, en 1998, de CD-PME - société luxembourgeoise de capital-développement pour les PME -, qui est un joint-venture entre la SNCI, d'une part, et les principales banques de la Place spécialisées dans le financement des PME, d'autre part (ndlr:  BCEE, BGL, BIL, Banque Raiffeisen et Crédit Européen), et qui étaient en mesure de partager leur expérience et leurs connaissances, sachant que le marché était trop petit pour envisager que chacun agisse de manière autonome.

 La cible de ce joint-venture - qui est active à la fois dans les prêts participatifs et les prises de participation directes - sont les jeunes entreprises innovantes, que ce soit sur un plan technologique ou commercial.

 L'autre instrument, introduit au début de cette année, est le prêt de démarrage. Il répond à deux attentes du marché: tout d'abord, un très grand nombre de dirigeants de PME sont à la recherche de solutions dans une optique de succession ou de transferts de sociétés. Ensuite, le Luxembourg souffre d'un manque de jeunes entrepreneurs ayant de surcroît les moyens nécessaires pour se lancer dans l'indépendance.

 L'instrument classique de la SNCI, le crédit d'équipement, est limité au financement des équipements professionnels et les bâtiments. Nous avons pensé qu'il était également important de tenir compte du fait que de nombreux métiers se font sans qu'il y ait nécessairement besoin d'équipements lourds, et que les besoins de financement se situent également dans le domaine de la constitution de stocks, voire de la promotion et du développement de marchés nouveaux.

 Nos prêts de démarrage sont clairement destinés à des entrepreneurs qui créent des entreprises nouvelles ou qui reprennent des activités existantes. En l'espace de quelques mois, plusieurs projets, ont déjà pu être accompagnés à travers cet instrument .

Et qu'en est-il du second aspect, celui des financements à l'étranger?

 Cette formule est destinée à accompagner les entreprises luxembourgeoises, qu'elles soient industrielles ou prestataires de services, dans leurs projets de développement d'une présence à l'étranger . Dans cette optique, elles peuvent avoir besoin d'établir leur réseau de distribution ou de produire à l'étranger, tout en permettant à l'activité principale de se développer au Luxembourg. Ainsi, il peut être dans l'intérêt de l'économie luxembourgeoise d'accompagner les choix stratégiques qui doivent ainsi être faits.

 Les financements que nous proposons prennent plutôt la forme de prêts à long terme, ou bien de prêts participatifs, destinés à la maison mère au Luxembourg.

Y a t-il eu également des adaptations purement structurelles de la SNCI ?

 Oui, ce qui est indispensable pour être en mesure de répondre aux défis nouveaux qui se présentent. Ainsi, par exemple, nous avons adapté la structure bilantaire pour répondre à notre engagement dans l'économie luxembourgeoise.

 Mais, la SNCI n'a pas seulement atteint son objectif de financement de l'économie luxembourgeoise; elle a également rempli ses propres objectifs financiers en dégageant des résultats positifs sur les opérations réalisées.

 Actuellement, la SNCI dispose de plus de 500 millions d'Euro de fonds propres pour une somme de bilan de 750 millions d'Euro.

Outre les prêts, la SNCI prend également des participations dans des entreprises luxembourgeoises. Comment cette activité se présente-t-elle ?

 On peut distinguer quatre catégories de participations détenues par la société. Il y a d'abord celles apportées par l'Etat, soit lors de la constitution de la SNCI, soit lors d'augmentations de capital. On peut citer à ce titre les participations dans le domaine de l'énergie (Cegedel, Soteg) et de la sidérurgie (Arcelor, Ares).

 Ensuite, il y a les participations prises à la demande du Gouvernement  lorsqu'il s'est agi de résoudre certains problèmes dans le cadre de la restructuration économique à la fin des années 70 et au début des années 80 (WSA, Luxcontrol). Mais il y a aussi des participations plus significatives telles que celle dans la SES. Ce sont ce qu'on pourrait appeler des participations d'intérêt national.

 On peut ensuite distinguer les participations que la SNCI a acquises dans le cadre d'opérations de restructuration d'entreprises par le biais, par exemple, de la conversion de prêts existants. D'une manière générale, la SNCI a accompagné les restructurations proposées par les actionnaires ou autres établissements financiers. Il s'agit de sociétés comportant un intérêt technologique et économique prononcé (Paul Wurth, Sisto Armaturen, CTI Systems,  Cargolux).

Enfin, d'autres participations ont été prises à l'initiative de la SNCI, ensemble avec d'autres investisseurs, au travers de fonds de capital-risque ou d'instruments similaires. Il s'agit de participations dans le domaine des technologies nouvelles comportant un potentiel de développement économique important (IEE, Primorec, SecureWave, …).

 En principe, toutes les participations ont un caractère temporaire. La SNCI n'a pas vocation à s'impliquer dans les stratégies à long terme des entreprises.

 Lorsqu'on fait l'analyse du portefeuille actuel, on constate qu'il est assez équilibré, avec des participations dans les domaines des technologies industrielles, des technologies de l'information et des communications, de l'énergie et de la finance (capital-risque) .

Comment, concrètement, ces prises de participation se réalisent-elles?

 Il faut d'abord bien avoir à l'esprit que la SNCI agit à la demande et en complément, mais ne se substitue en aucune façon aux promoteurs privés. Par ailleurs, sauf l'une ou l'autre exception historique, la SNCI n'est jamais l'actionnaire majoritaire ou dominant.

 Si on se penche sur les dernières années, on peut noter que nous sommes devenus plus actifs en matière de prises de participation, dans la droite ligne de la volonté du gouvernement affichée par sa déclaration du 12 août 1999. Les demandes qui nous sont adressées, sont examinées en fonction de plusieurs critères dont ceux de la viabilité économique et de l'intérêt national du projet d'entreprise.

 D'une manière générale, je ne pense pas que la SNCI ait jamais pris de participations de manière inconsidérée. Bien au contraire, je constate qu'elle s'efforce à faire preuve d'un très grand professionnalisme dans le processus de décision, tout à fait comparable à ce qui peut se faire dans le secteur privé. La SNCI a en la matière un comportement en bon père de famille. Cela ne veut pas dire non plus qu'elle ne prend jamais le moindre risque. Bien au contraire, c'est son rôle. Nous gérons l'argent du contribuable, mais nous sommes en mesure de justifier qu'une partie de cet argent soit affectée à des projets un peu plus incertains, comportant des interrogations technologiques ou commerciales .

Quitte à subir des échecs comme celui d'Europe Online, par exemple?

 Oui, Europe Online, dans laquelle nous avions investi avec des partenaires du métier de l'édition notamment, a été un échec. Mais c'est aussi au travers de tels échecs que nous avons beaucoup appris, notamment sur le marché de l'Internet et le marché des médias. Entre-temps, la "bulle Internet" a explosé faisant disparaître bien des acteurs, mais il reste des survivants. Surtout dans les technologies nouvelles, des entreprises naissent, d'autres disparaissent: c'est tout à fait normal dans notre système d'économie de marché. Il ne faut donc pas avoir de regrets lorsqu'on a la conviction qu'on a exécuté son métier suivant des critères de professionnalisme.

Vous a-t-on déjà reproché l'échec d'une société parce que vous n'y aviez pas investi?

 Prétendre qu'un projet échoue parce que nous n'y aurions pas contribué financièrement, c'est nous lancer une fleur énorme et nous donner peut-être beaucoup plus d'importance que nous n'en revendiquons! A contrario, nous attendons toujours d'avoir des exemples de projets que l'on nous aurait proposés, auxquels nous n'aurions pas participé, mais qui auraient quand même été des réussites retentissantes.

Une fois la participation prise, quelle est la nature des relations entretenues avec ces entreprises?

 Le fait que la SNCI n'ait pas vocation à développer la stratégie d'une entreprise ne veut pas dire pour autant qu'elle se désintéresse complètement de sa vie. L'une des conditions liées à l'entrée dans le capital d'une entreprise est la participation au conseil ‡ ‡d'administration par un représentant de la SNCI. Nous estimons que le fait d'être actionnaire nous donne une responsabilité qui doit se refléter au travers de notre présence dans l'organe d'administration et de surveillance d'une société. Cela nous permet d'être informés de l'actualité et de la situation financière de l'entreprise, mais aussi de participer à sa vie et à son développement.

En tant qu'établissement public, nourrissez-vous des relations particulières avec l'Etat?

 Il va de soi qu'au regard de la vocation première de la SNCI nous travaillons en association très étroite avec les ministères et administrations dans le cadre de la politique économique structurelle. La SNCI est, en fin de compte, un instrument, aux côtés d'autres, qui participe à la mise en œuvre  de cette politique .

 Mais elle est aussi responsable de son bilan, et doit donc faire sa propre analyse et sa propre gestion, même si certaines décisions dépendent de l'approbation des ministres responsables, en l'occurrence les Ministres des Finances et de l'Economie. Ainsi, pour les prises de participation, l'attribution de prêts à long terme et de financements à l'étranger dépassant un certain seuil, les ministres de tutelle doivent donner leur accord.

Quelle est la situation de structures de financement similaires dans les pays voisins?

 A l'étranger, la situation est très variée. En tant que membre du "Club des Institutions de crédit à long terme de la Communauté européenne" la SNCI a pu observer au cours de ces dernières années des bouleversements importants au niveau des membres de cette association: certains ont été privatisés, d'autres ont carrément disparus ou ont été intégrés dans des structures publiques ou privées plus larges.

 C'est par exemple le cas en Belgique, où il existait aussi une SNCI, ou en Irlande.

En France, la fonction de financement des PME a été reprise par la Banque de Développement des PME, qui est également active dans le financement et l'octroi de crédits ainsi que dans la prise de petites participations et de l'octroi de garanties.

 Le système en place le plus proche du Luxembourg est celui de l'Allemagne: la KfW - Kreditanstalt für Wiederaufbau - et la DtA - Deutsche Ausgleichsbank -  disposent de structures, de missions et mandats politiques similaires à ceux de la SNCI.

Le paysage des établissements de financement a évolué dans les autres pays. Evoluera-t-il au Luxembourg?

 Je ne suis évidemment pas prophète et j'ai déjà dit que la SNCI a évolué au cours des dernières années, mais je pense aussi être en mesure d'affirmer que la politique économique de ce pays est caractérisée par une très grande stabilité dans le temps. Et s'il y a eu quelques petites modifications dans les objectifs et instruments, cela a toujours été dans un souci d'adaptation par rapport au besoin du marché ou aux dispositions communautaires.

 Il faut voir aussi que, dans d'autres pays, les évolutions en matière de déréglementation et de libéralisation, y compris la réforme des instruments de financement publics ont été en bonne partie influencées par la nécessité de l'assainissement budgétaire. Le Luxembourg n'en est pas là… mais son économie continuera à évoluer et avec elle la SNCI.

A quel niveau ressentez-vous les effets du marasme économique actuel?

 Heureusement, au Luxembourg on ne doit pas parler de marasme économique. On retourne plutôt à une conjoncture économique moins dynamique. Quant à la SNCI, on se rappelle qu'au premier semestre 2001 nous avions effectué pour 150 millions d'Euro d'opérations assez exceptionnelles en volume. Au premier semestre 2002, nos interventions se sont limitées à des seules opérations de prêts.

 On note également que, si au 1er semestre les prêts à l'innovation ou les prêts de démarrage sont en progression, cela n'est pas le cas des crédits d'équipement, pour lesquels on observe un recul de quelque 20%. Cela pourrait indiquer une certaine prudence ou un certain attentisme dans le chef des entreprises en ce moment.

 

 ---***---

Un État a, à disposition, plusieurs armes pour intervenir sur le plan économique. La première est celle de la législation et de la régulation. C'est l'État qui fixe les règles du jeu et assume le rôle d'arbitre. Le Luxembourg est plutôt doué dans ce domaine. SES, le pôle financier, RTL Group, ces trois exemples ont une origine semblable: la souveraineté de l'État, sa capacité à créer un environnement attractif. Le seul problème de ce type de pratique, c'est qu'au fur et à mesure de la construction européenne, ces espaces de souveraineté se réduisent.

 L'État (et les collectivités locales) peut aussi intervenir plus directement. Il est, lui également, un employeur, il a des dépenses. Selon les chiffres du Statec, en 2001, environ 15.200 personnes travaillaient dans les "Services d'administration publique" (qui ne se limitent, a priori, pas à l'État, certes…).

 Les dépenses budgétaires approchent les 6 milliards d'Euro. Voici donc une force de frappe importante: l'État loge dans des immeubles, loue d'autres immeubles, achète des ordinateurs, du papier, du mobilier, des véhicules…

 En plus de ces interventions "de fonctionnement", la puissance publique dispose d'un certain nombre d'outils financiers. La SNCI et la BCEE sont propriété complète de l'État, quand bien même leur fonctionnement les force à être rentables. Ces interventions directes font que de nombreux secteurs de l'économie sont ainsi "infiltrés" par l'Etat.

 Les entreprises sont privées, mais les capitaux qui les financent sont publics. Le schéma, sur les 2 pages suivantes montre, rapidement, un certain nombre d'investissements de l'Etat, de la BCEE et de la SNCI dans l'économie luxembourgeoise. On y remarquera, régulièrement, des croisements de participations. Ce schéma a été construit sur la base d'informations publiques.

 Si l'État intervient aujourd'hui, il pense aussi aux modalités de son intervention de demain. En 2001, le Conseil Économique et Social (CES) a rendu un avis sur le rôle de l'État, à la demande du gouvernement. Les quelque 150 pages du document se penchent sur le rôle social et économique de la collectivité.

 Quelques-unes des recommandations qui sont faites sont marquantes. La 7è recommandation préconise ainsi d'adopter l'approche du "mieux d'État" et souligne que "le rôle de l'État découle des fonctions qui lui sont attribuées démocratiquement. Celles-ci contribuent à réaliser une qualité de vie soutenable et élevée de la population du pays, tout en utilisant les moyens les plus efficients pour y arriver."

 La 8è recommandation n'est pas en reste: "Trouver les moyens les plus adaptés – prestations publiques ou privées – pour garantir un service d'intérêt général de qualité choisi par le législateur. Selon le type de service, il appartient au législateur et au Gouvernement de déterminer les niveaux de qualité requis et les modes de prestation et financement correspondant".

 Le CES affirme clairement que "les missions imparties par la société à l'État ou aux collectivités locales ne doivent pas nécessairement être exécutées par les administrations publiques, mais peuvent l'être par des établissements publics, par des entreprises privées sous contrat ou encore en partenariat avec des associations ou sociétés du secteur non-marchand".

 En suivant, à la lettre, ces recommandations, il n'y a donc plus de barrières, a priori, pour confier à des entreprises 'non publiques' des tâches normalement dévolues au privé, pourquoi pas dans le domaine de l'éducation ou de la sécurité. Un des participants à l'étude n'hésitait pas à aller chercher les exemples à l'étranger (les universités américaines) ou ici même (les entreprises de gardiennage…).

 Ces domaines particuliers sont cependant sensibles. En effet, les enjeux ne sont pas, ici, qu'économiques, mais également sociaux. Sans compter que, dans certains domaines, le passage au privé peut entraîner des coûts de contrôle importants (supprimant par là même une partie de l'intérêt financier de l'opération, sans en occulter les risques sociaux). Ceci étant, la question est intéressante et mérite débat.

 Un des exemples les plus récents du passage au privé d'un service auparavant dit "public" est la libéralisation du marché des télécommunications.

 La construction des infrastructures, le développement d'une offre initiale n'avaient été possibles que via l'intervention de l'Etat. Les investissements à réaliser ne pouvaient être rentables qu'à long terme, avec des échelles et des risques d'investissements trop élevés pour un acteur privé.

 Aujourd'hui, les anciens monopoles – P&T Luxembourg, France Télécom, Deutsche Telekom, British Telecom… - sont concurrencés sur leurs activités professionnelles et grand public par de nouveaux entrants aux dents acérées. Voici pour l'aspect économique: on suppose meilleur, aujourd'hui, pour le développement de l'économie, d'introduire de la concurrence dans les offres. Mais pour autant, on n'oublie pas le rôle social de l'Etat, via l'introduction d'une obligation de service universel. Il s'agit d'une mission, dévolue de pays à pays selon des modalités différentes, à un ou des opérateurs. C'est le "service minimum" que chacun des consommateurs-citoyens d'un pays est en droit d'attendre.

 Pour le Luxembourg, les modalités sont fixées dans le Règlement grand-ducal du 26 mai 1998 sur le service universel de télécommunications. Il comprend "la fourniture du service de téléphonie de base à toute personne qui en fait la demande, à des conditions tarifaires raisonnables, indépendamment de sa localisation géographique sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg". Le service comprend une facturation suffisamment détaillée, la numérotation au clavier et l'interdiction sélective d'appels. Est également inclus l'accès aux services ISDN, sous conditions particulières de tarification. Les deux dernières composantes sont "la fourniture du service de postes téléphoniques payants publics" (les cabines téléphoniques) et la publication et la distribution d'un annuaire téléphonique (gratuitement).

 Les télécommunications ne sont qu'un exemple, mais démontrent comment l'État voit son rôle évoluer au cours du temps, abandonnant certaines missions, en recevant de nouvelles, utilisant différentes pratiques. n