La compagnie aérienne nationale grand-ducale Luxair a, comme toutes les compagnies, été durement frappée par la crise sans précédent qui a touché l'industrie mondiale du transport aérien. Les résultats 2003 du département des activités aériennes de Luxair étaient dans le rouge, mais contrebalancés par ceux des autres secteur du groupe Luxair. La direction s'était alors donné six mois pour élaborer un plan de redressement. Le point avec le directeur général de la compagnie, Christian Heinzmann.
Lors de la présentation des résultats annuels du groupe Luxair, où l'exploitation aérienne était dans le rouge, vous aviez indiqué vous donner un délai de six mois pour mettre en oeuvre un plan de redressement. Cet objectif est-il atteint?
"Dès avril 2004, nous avons entamé un plan de restructuration intitulé "Turn around 2004" qui implique des économies sans toucher au capital humain. Concrètement, nous essayons de faire mieux ce que l'on a fait jusqu'à présent, sans commettre les erreurs du passé. Chaque département du groupe a dû examiner comment devenir plus efficace et plus perspicace, et déterminer les économies d'échelle réalisables, par exemple en renégociant des contrats plus cohérents tout en veillant à éviter certaines dépenses superflues. Ce plan nous a permis de constituer des équipes de travail qui ont été très performantes et qui ont permis de dégager des économies d'environ 15 millions d'euros sur 18 mois. Grâce à ces efforts communs, Luxair atteindra, au niveau de ses actzivités aériennes, le break even pour la fin 2005. Ce qui est formidable, c'est que toutes les équipes ont travaillé de manière très structurée pour identifier les gains potentiels. Ce travail porte aujourd'hui ses fruits.
Ceci, donc, pour ce que nous pouvions faire nous-mêmes pour sortir de l'impasse financière de l'année 2003 qui a été, je le rappelle, l'année la pire jamais vécue par le transport aérien. Un autre effet de cet exercice est que tout un chacun a assimilé le message que ce n'est qu'en travaillant en équipe et plus efficacement que nous pouvons réussir. C'est donc tous ensemble que nous allons accomplir cette mission qui permet de garantir la pérennité de la société. Il est très important que le personnel dans son ensemble se soit rendu compte de l'effort qu'il devait accomplir.
N'oubliez pas qu'il y a une concurrence effroyable dans le transport aérien, avec surtout les compagnies "low cost - low fare", à coûts et tarifs bas, comme Ryanair, Easyjet et tant d'autres. Qui sont en réalité subsidiées de manière indirecte, la décision de la Commission européenne par rapport à l'aéroport de Charleroi et Ryanair l'a établi à suffisance. (La Commission a exigé de la compagnie qu'elle rembourse des aides octroyées par la Région wallonne pour la desserte de Charleroi, ces aides étant assimilées à des aides d'Etat, ndlr.) Nous, ici, nous n'avons aucun subside. Nous sommes tout à fait indépendants, malgré notre connotation, chez certaines personnes, de société publique, du fait de la présence de l'Etat dans notre actionnariat."
Vous parlez "d'erreurs du passé", de quoi s'agit-il'
"Pendant des années, Luxair a été une société assez protégée par son environnement, soit un plateau luxembourgeois méconnu et peu volumineux en termes de capacité de marché, donc qui n'intéressait pas les compagnies concurrentes. Il y avait ainsi un monopole de fait. Cette situation de confort n'existe plus depuis des années et il faut se battre comme tout le monde pour survivre dans le monde de l'aviation qui devient toujours plus agressif et compétitif. Quand je dis "dans le passé", cela veut dire que notre compagnie a été, à l'époque, relativement à l'abri de cette tourmente.
Cela ne signifie pas qu'il n'y avait pas de concurrence. Des grandes villes comme Francfort ou Paris étaient depuis toujours des concurrentes, avec leurs compagnies aériennes très méritantes. Mais la concurrence, aujourd'hui, ne se situe plus aux autres aéroports, mais à l'aéroport de Luxembourg, où de plus en plus de compagnies viennent s'établir, avec plus ou moins de succès. Toutefois, chez Luxair, nous nous débrouillons bien pour l'instant.
Malgré tout, il y a eu et il y aura encore des changements importants tant à l'aéroport que dans la compagnie auxquels il faut faire face. Mais il ne faut pas oublier que 2003 et 2004 ont été des années horribles pour Luxair comme d'ailleurs pour toutes les compagnies aériennes. Reste que, aujourd'hui, grâce aux efforts entrepris, nous voyons la fin du tunnel pour 2004 - 2005. Ce n'est pas déjà gagné, loin de là, mais il y a une amélioration et une évolution très positives. Il faut bien sûr rester très prudent car il ne faut pas grand-chose pour que cet équilibre vacille."
"Si nous avons un produit impeccable, nous ferons la différence"
Quelles sont vos perspectives?
"Pour 2005, c'est d'abord d'atteindre le break even, donc l'équilibre financier, pour les activités aériennes proprement dites. Les résultats excellents pour le cargo, qui au niveau du groupe Luxair contrebalancent les pertes des activités aériennes, seront encore en hausse. Notre département tour opérateur, Luxair Tours, quant à lui, atteindra non seulement l'équilibre, mais devrait même dégager un profit. Et nous disposerons, avec l'arrivée des Embraer 135 qui remplaceront les Fokker 50 sur London City, d'une flotte nouvelle, très confortable et économique. Les nouveaux Boeing 737-700 permettent eux aussi des gains fort conséquents.
Certes, le marché global reste en difficulté et nous aurons des problèmes pour progresser plus vite que lui. Mais les changements que nous avons apportés nous mènent vers le vert. Et il y a eu une prise de conscience de chacun, ici, qu'il fallait être plus efficaces et plus qualitatifs pour être plus concurrentiels.
Cependant, nous ne serons jamais une compagnie low cost puisque nous n'en avons pas l'infrastructure. Mais, si nous avons un produit impeccable, nous ferons la différence. Au niveau de la tarification, nous essayons aussi de jouer beaucoup plus l'offre et la demande et, surtout, la proximité : il est essentiel d'offrir au client le produit adéquat, c'est-à-dire lui offrir ce qu'il veut et ce dont il a besoin.
Nous sommes conscients qu'il faut rester rentables et qu'il faut absolument choisir entre profitabilité et image d'une compagnie qui propose des vols vers toutes les destinations. Si des lignes ne sont pas rentables, nous faisons le choix de la rentabilité en les supprimant, comme nous l'avons fait pour Zurich et Stockholm."
Envisagez-vous l'ouverture de nouvelles lignes?
Nous avons déjà ouvert Varsovie et Budapest. Je crois qu'il nous faut de plus en plus nous développer vers des destinations un peu plus lointaines car, en aviation, ces distances sont plus profitables en matière de prix de revient des avions et donc de rentabilité. Nous essayons dans ce cadre de trouver des destinations clé qui répondent en même temps à la demande de notre clientèle. Là, encore, nous jouerons l'offre et la demande en nous concentrant sur des marchés en plein développement, comme la Russie ou les pays de l'Est qui viennent de rejoindre l'Union Européenne."
On a parlé du Cap Vert?
"Nous y avons été pour examiner la possibilité de proposer des formules Tour Operating sur cette destination très intéressante. Mais, malheureusement, l'infrastructure touristique du Cap Vert n'était pas encore assez développée pour la desservir. Mais je crois que, d'ici un an, cette destination pourra devenir mature, qu'il y aura les capacités hôtelières et les infrastructures adéquates qui font actuellement défaut. C'est pourquoi nous travaillons sur un programme spécifique avec les autorités locales, pour développer un produit intéressant. Car le Cap Vert reste une de nos priorités, il a l'avantage énorme d'être une destination ensoleillée toute l'année où le tourisme dispose d'un très bel avenir."
Au Findel, les vols Luxair et VLM sur London City se suivent à quelques minutes à peine, l'accord de code partagé ayant été rompu. Une concurrence tenable?
Le marché de London City a explosé. Avec VLM, nous nous le partageons dans le respect de la concurrence loyale. Actuellement, nous sommes à 65.000 clients par an. Avec l'arrivée des Embraer 135, dès le 14 février, Luxair proposera un vol en jet en 55 minutes, au rythme de quatre rotations par jour et avec un avion beaucoup plus confortable que le Fokker 50. Je suis convaincu que les gens choisiront le confort et la vitesse du jet."
"Il faut se battre avec ce que l'on a. Il n'y a pas de miracle en aviation'
Ryanair fonctionne très bien à Francfort-Hahn. En vous prenant de la clientèle?
"Cette compagnie a créé un nouveau marché, important et qui était inexistant, auprès des gens qui voyageaient jusqu'alors en voiture, en train ou avec leur sac au dos. Nous n'en souffrons donc pas tellement. Mais c'est bien sûr un marché qui nous intéresse. Si, demain, les compagnies low cost comme Ryanair- qui sont indirectement subventionnées et ne connaissent aucune représentation sociale ou syndicale - sont confrontées aux réalités financières du monde de l'aviation, qui sont celles des compagnies comme la nôtre, elles ne pourront plus être low cost. Car il n'y a pas de miracle en aviation.
Attention, je ne suis pas contre les low cost. J'admire leur produit, mais il faut se battre avec ce que l'on a. On peut évidemment produire des efforts incroyables pour s'attirer une nouvelle clientèle. Mais, à un certain moment, quelqu'un doit payer l'addition. Luxair n'est pas et ne sera jamais une compagnie low cost.
La seule manière de réussir en low cost est de partir à zéro. Mon expérience le prouve puisque, au début des années 80, j'ai participé au lancement du low cost en Europe, avec Air Europe. Mais, à l'époque, le concept ne passait pas. Aujourd'hui, à l'inverse, il est tout à fait accepté. Il y a une place pour tout le monde, et il ne faut pas oublier que le low cost amène des gens vers l'aviation qui jusque-là s'abstenaient de voler. Mais il faudra qu'un équilibre se fasse au niveau des charges et des engagements sociaux."
Comment la crise économique se répercute-t-elle sur votre clientèle d'affaires, celle qui rapporte?
"Nous ressentons parmi nos clients corporate un malaise au niveau des déplacements, suite à la situation économique. Il est vrai que la plupart de nos grands clients se voient imposer des restrictions énormes pour leurs déplacements professionnels en avion. Reste qu'il y a toujours une demande et que nous essayons d'y répondre au mieux, en proposant le produit qui correspond le plus à cette demande, en nous situant dans un juste milieu par rapport à l'offre existante."
"Je crois plus que jamais dans le potentiel de Luxair"
Vous aviez été appelé à la tête de Luxair pour remettre la compagnie en ordre. Pari réussi?
"Pendant deux ans, cela a été très agréable et très constructif d'amener des changements et de remettre Luxair au niveau européen. Mais, après le tragique crash du 6 novembre 2002, il y a une sorte de halte-là. Le développement commercial de la société en a souffert. Aujourd'hui, on est en train de remonter la pente, de digérer les turbulences de l'après-crash. Ce n'est pas un secret, il y avait des moments durs pendant cette période, mais actuellement, je crois plus que jamais dans le potentiel de Luxair et je suis toujours tout à fait motivé. Après quatre ans chez Luxair, j'ai toujours pleine confiance et je suis toujours très fier de travailler pour cette entreprise."
Quel est l'état de la concurrence sur l'aéroport de Luxembourg?
"Cela peut paraître étonnant, mais pour l'instant, elle diminue, vu la situation économique et la dimension réduite du marché. La compagnie espagnole Iberia ne vient plus à Luxembourg et il est question du départ d'une autre grande compagnie. Cela nous ouvre des marchés, bien sûr. Mais il faut aussi tenir compte du fait que, chaque fois qu'une compagnie vient ici pour tenter de nous prendre des parts de marché, cela nous demande des efforts économiques exceptionnels pour concurrencer, sur ces routes, des géants - car il s'agit de grandes et très grandes compagnies - qui n'ont rien à perdre pour nous prendre de la clientèle, pour ensuite constater qu'ils n'ont pas réussi, malgré des folies en tarification. Là, nous devons rattraper la situation."
Vous venez d'être inculpé dans le cadre de l'enquête sur l'accident de novembre 2002. Comment voyez-vous les suites de cette affaire, sachant que le commandant de bord, rescapé, est également inculpé? Certains n'espèrent-ils pas vous voir mis sur le côté jusqu'à la fin de l'affaire?
"Oui, c'est effectivement un bruit qui a circulé et qui circule toujours. Plusieurs médias ont indiqué que j'allais devoir quitter. Malgré tout, je suis toujours là. L'important, dans la vie d'une société, est de suivre une ligne correcte, malgré les critiques et malgré le fait que les choses ne sont pas toujours évidentes. Il faut suivre un fil conducteur dans lequel on croit. Je l'ai toujours fait dans ma vie et, malgré les critiques à mon égard, je fais ce qui est bien pour l'entreprise. Je crois que lorsque l'on fait ce qui est important pour la société, on ne peut pas se tromper. L'inculpation pour homicide involontaire et coups et blessures provoque bien sûr un sentiment complexe et douloureux. Ce qu'il peut arriver de pire pour un dirigeant d'une compagnie aérienne, c'est un crash. Rien que cela est très difficile à gérer. L'inculpation renforce cette difficulté. Mais, si cela peut permettre d'apporter des informations et des clarifications importantes et faire en sorte que toute la lumière soit faite sur l'origine de l'accident, c'est positif."
Pensez-vous que cette enquête pourra aider la société?
"Oui, absolument. J'en ai la certitude. Car tout pourra être mis au clair, et c'est essentiel à l'expression de la vérité."
Quelles sont vos relations avec le nouveau ministre des Transports?
"C'est un homme intéressant et correct. Je suis convaincu que nous pourrons travailler ensemble de façon très constructive."