Anna-Lena Högenauer: «Si un État n’est pas reconnu comme étant indépendant, on ne peut pas signer d’accords économiques ou de commerce avec lui». (Photo: DR)

Anna-Lena Högenauer: «Si un État n’est pas reconnu comme étant indépendant, on ne peut pas signer d’accords économiques ou de commerce avec lui». (Photo: DR)

Madame Högenauer, la majorité au Parlement catalan pourrait ce mardi décider d’emprunter la voix de l’indépendance dans la foulée du référendum illégal du 1er octobre. Que vous inspire cette situation?

«L’éventualité que la Catalogne proclame dès ce soir son indépendance est une situation des plus complexes. Le gouvernement espagnol fait tout pour l’en empêcher, mais le problème est que c’est une situation de confrontation, sans aucune tentative de réconciliation de part et d’autre.

C’est très différent de ce à quoi on a déjà assisté avec la Grande-Bretagne et l’Écosse, et la position du Royaume-Uni, qui était davantage prêt à faire des concessions et surtout à autoriser un référendum légal.

Dans ce cas de figure – comme ce fut également le cas par deux fois entre le Canada et le Québec, on observe que lorsque tout le monde va voter – y compris ceux opposés à une séparation – généralement les régions séparatistes s’inclinent. Car beaucoup parmi les votants s’inquiètent au dernier moment de leur emploi, de leur pension et de tout cela, et choisissent finalement de voter contre une séparation.

En Espagne, le problème est que le gouvernement n’a pas voulu se battre pour une Espagne unie, se déclarant uniquement opposé à ce référendum. Et cela a donc créé une confrontation qui est assez sérieuse.

Comment le gouvernement de Mariano Rajoy peut-il s’opposer dans les faits à cette déclaration d’indépendance?

«En utilisant l’article 155 de la Constitution espagnole qui l’autorise à révoquer les pouvoirs d’une région. Mais reste à voir comment mettre cela en pratique, puisqu’une constitution n’est jamais qu’un bout de papier. Comment faire si le gouvernement catalan résiste? Comment faire si la police catalane soutient le gouvernement catalan?

Si les autorités de la région ne coopèrent pas, la situation peut encore devenir plus grave puisque la seule solution est alors d’envoyer la police ou les militaires espagnols pour saisir le pouvoir. C’est tout de même quelque chose qui n’arrive pas dans l’Europe de l’ouest, ou dans l’Europe démocratique tous les jours.

En parlant d’Europe, l’Union européenne s’est montrée assez discrète sur cette question catalane ces derniers jours…

«L’Union européenne ne veut bien évidemment pas que des régions quittent un État membre, puisque cela affaiblit à la fois l’État membre et l’Union européenne elle-même.

En même temps, je crois que l’Union européenne est assez inquiète de ce qui se passe en Espagne, dont notamment les violences policières qui ont émaillé le référendum du 1er octobre. Mais elle ne sait pas comment condamner cette violence, car elle ne veut pas donner l’impression de soutenir les séparatistes.

Donc elle reste muette, mis à part pour indiquer qu’elle souhaite une Espagne unie. Mais sans aucune voix réellement forte.

Pour l’économie de la région, il y a déjà certains signes de panique

Anne-Lena Högenauer (Uni)

Si la Catalogne venait à proclamer son indépendance, se mettrait-elle ipso facto hors de l’Union européenne?

Oui. Pour l’Union européenne – comme elle l’avait précisé en son temps à l’adresse de l’Écosse – quand une région quitte un État membre, elle quitte aussi l’Union européenne.

Après, elle peut toujours être réadmise, mais toutefois avec un droit de veto de la part de l’État membre concerné. Si la séparation est amicale, on peut envisager que l’État membre permette à la région devenue indépendante de réintégrer l’Union européenne. Mais dans le cas de l’Espagne, c’est loin d’être amical, et la Catalogne risque donc fort d’être mise au ban de l’Union européenne si elle faisait sécession.

À cela s’ajoute aussi le problème de la reconnaissance. Je ne suis pas certaine que beaucoup d’États reconnaissent l’indépendance de la Catalogne, mais vont au contraire refuser de le faire. Pour des raisons diplomatiques, pour ne pas insulter l’Espagne.

Ensuite, autre problème encore, si un État n’est pas reconnu comme étant indépendant, on ne peut pas signer d’accords économiques ou de commerce avec lui. Pour l’économie de la région, cela peut s’avérer assez difficile et vous avez pu remarquer qu’il y a déjà certains signes de panique.

Au niveau des acteurs économiques catalans, il y a des banques qui envisagent de quitter la Catalogne pour s’installer en Espagne parce qu’elles ne savent pas si elles vont pouvoir continuer à mener leurs affaires avec d’autres États membres après une éventuelle indépendance.

On a eu l’impression, au moment du référendum, d’une adhésion massive des Catalans à ce processus d’indépendance. Puis, au fur et à mesure que l’échéance approche, ce sont d’autres voix – celle d’un maintien de la région dans l’Espagne – qui se font désormais entendre…

«En réalité, l’opinion publique en Catalogne est assez divisée avec, selon les sondages effectués à la veille du 1er octobre, un peu plus de 40% de Catalans qui étaient favorables à l’indépendance, et un peu plus de 50% qui y étaient opposés. Maintenant, après le référendum, personne ne sait quelle est l’opinion publique exacte sur cette question.

Le problème, avec ce référendum illégal, c’est qu’on a seulement vu les gens qui étaient pour l’indépendance, mais pas les autres. Et maintenant, évidemment, on voit des manifestations d’opposants qui donnent l’impression qu’aujourd’hui tout le monde est contre.

Or, si l’Espagne avait autorisé un référendum légal, tout le monde aurait pu s’exprimer et – comme en Écosse ou au Canada – il est probable que le non l’aurait emporté.

J’ajouterais encore que tous les Espagnols qui vivent en Catalogne ne sont pas d’origine catalane, n’ont pas de sentiments aussi forts envers cette idée d’indépendance et souhaitent très probablement, pour la plupart, rester Espagnols.»