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Pour fêter dignement son cinquantième anniversaire, RTL Télé Lëtzebuerg s"est offert... un film, bien sûr! Confiées aux bons soins du réalisateur Andy Bausch, les archives du Centre National de l'Audiovisuel (CNA) et de RTL Group ont donné naissance à un documentaire de 70 minutes retraçant l'histoire des personnes, des programmes et des événements qui ont marqué ce demi-siècle.

"Nous avons laissé carte blanche à Andy Bausch", assure Alain Berwick, directeur de RTL Télé Lëtzebuerg. "Ce film constitue donc son propre regard sur l'histoire de la chaîne, qui n'épargne ni les critiques ni les moments difficiles, comme le départ de Jean Octave et de son équipe". Le film a été projeté en avant-première à Utopolis le 1er décembre dernier, et sera diffusé sur l'antenne durant les fêtes de fin d'année, comme point d'orgue à une année de commémoration au sein du groupe audiovisuel installé au Kirchberg. Voilà en effet près d'un an que le personnel de RTL Group - dont certains ont participé aux débuts héroïques du programme luxembourgeois - revit en interne, notamment par le biais de son système Intranet, la grande... et la petite histoire de Télé Luxembourg.

Tout a commencé le 23 janvier 1955. Ce jour-là, la Grande Duchesse Joséphine Charlotte célèbre son 59e anniversaire... ainsi que la naissance officielle de la télévision luxembourgeoise. Avec son époux, le Prince de Luxembourg, elle assiste au lancement du premier programme diffusé à partir de l'émetteur construit par la toute jeune Compagnie Luxembourgeoise de Télédiffusion (CLT, créée sur les fondations de la Compagnie Luxembourgeoise de Radiodiffusion) sur le Ginzebierg, à Dudelange.

à l'écran, un jeune speaker annonce que "Télé Luxembourg sera l'alliée indispensable de votre famille". Une vocation familiale et populaire qui guidera toute l'évolution du programme, même si Alain Berwick préfère parler aujourd'hui d'"une télévision grand public et proche du public". Si l'événement est de taille au niveau national, il dépasse largement les frontières: Télé Luxembourg est alors la toute première chaîne de télévision généraliste privée en Europe, avec pour mission de diffuser une information interrégionale au Luxembourg, dans les Ardennes belges et en Lorraine. L'émetteur de Dudelange permet d'arroser la région dans un rayon d'environ 150 km.

Pour les pionniers, les débuts sont plus que hasardeux. Personne ne dispose de réelle formation, les équipes étant constituées d'anciens techniciens de radio reconvertis dans la télé. "Tout cela avait un côté assez amateur. En 1955, il n'y avait même pas de studio", raconte, amusé, Gust Graas, directeur général de la CLT (1952-1988). "On pensait qu'il suffirait de poser une caméra et d'enregistrer les émissions, comme pour la radio. Ce fut catastrophique!". Mais aussi enthousiasmant et bon enfant. Le tournage prévu a... tourné court? Pas de quoi s"affoler. La concurrence est alors inexistante!

Peu à peu, pourtant, la production se professionnalise. L'installation dans la Villa Louvigny, où sera construit le premier studio en 1956, fait décoller la chaîne, qui diffuse alors une trentaine d'heures de programme par semaine. à côté des émissions filmées en direct, sur les lieux mêmes, comme la célèbre École Buissonnière, ainsi que des reportages tournés aux quatre coins du pays et dans les régions francophones voisines, Télé Luxembourg diffuse des émissions livrées clés en main par Paris Productions, ainsi que des films et séries étrangers. Son Journal Télévisé, habilement mené par Robert Diligent et Jacques Navadic, le seul de ce type sur le continent européen, fait également office de programme phare.

L'engouement populaire est à la hauteur des efforts déployés par les pionniers. En 1962, la retransmission du premier grand prix de l'Eurovision de la Chanson, avec le tandem Jos Pauly-René Steichen à la réalisation, est un événement national, suivi en direct dans tous les cafés du pays. à cette époque, pourtant, l'ensemble des programmes est encore en langue française.

1969: le premier programme en luxembourgeois

Cela changera le 21 septembre 1969, lorsque le journaliste Jean Octave lance son inoubliable Hei Elei Kuck Elei (citation du livret de l'opérette luxembourgeoise Mum Séis), une émission de trois quarts d'heure en langue luxembourgeoise. Cette émission du dimanche, qui avait sa propre rédaction, a été maintenue jusqu'en octobre 1991 et peut être considérée comme l'ancêtre de RTL Télé Lëtzebuerg.

Parallèlement à cette évolution majeure sur les écrans, s"en produit une autre, en coulisses: la prise de conscience de la nécessité de rentabiliser ce beau rêve. "Au départ, aucune prévision budgétaire n'avait été faite pour savoir quels seraient réellement les coûts et les profits", se souvient Gust Graas. "Et personne, même à Paris - où étaient installés les principaux actionnaires (ndlr) - n'avait jamais pensé que faire de la télé, c'est beaucoup plus cher que faire de la radio!"

Principal souci pour les dirigeants de Télé Luxembourg: avec les fréquences disponibles, qui ne permettent alors d'émettre que jusqu'à Arlon et Nancy, il est impossible d'attirer suffisamment de publicités pour financer un tel déploiement de moyens. La publicité régionale rapporte peu, et malgré la bonne volonté des speakerines qui "jouent" des saynètes publicitaires en direct, le déficit se creuse. "Le Hei Elei était toujours en déficit, ce que j'essayais de dissimuler au conseil d'administration, pour que cela ne se remarque pas trop. Le programme luxembourgeois ne les intéressait guère", se souvient Gust Graas.

Tandis que l'équipe luxembourgeoise de la CLT cherche à étendre ses canaux de diffusion, notamment vers la Belgique, les journalistes sont mis à contribution pour attirer des recettes publicitaires. Ce qui ne manque pas de faire grincer les dents. "Nous ne nous étions pas rendu compte, ni lui (Robert Diligent, ndlr), ni moi, que l'on rentrait dans une télévision destinée à gagner de l'argent", témoigne Jacques Navadic. Pour la jeune génération, arrivée dans la chaîne à l'aube des années 1970 (Jean-Luc Bertrand, Marylène Bergmann, André Torrent, Georges Lang et les autres...), le changement de paradigme est moins net. La tendance est aux émissions de jeux et nombreux sont ceux qui voient leur jeune carrière propulsée par le vif succès qu'elles remportent.

Au début des années 1980, la CLT parvient à entrer sur le réseau câblé belge et crée RTL-TVI, tandis que Télé Luxembourg se "luxembourgise" de plus en plus. "Du jour au lendemain, nous avons obtenu une grande couverture en Belgique. L'entreprise est devenue profitable", raconte Gust Graas. Enhardis par l'expérience, les dirigeants se mettent alors à regarder vers l'Allemagne (RTL Plus est créée en 1984 avec Bertelsmann), puis vers la France, l'Espagne...

Commence alors pour la CLT une formidable période d'expansion, où elle profite de l'expérience acquise depuis une trentaine d'années pour prendre pied un peu partout en Europe. "Au milieu des années 80, les grandes chaînes privées ont commencé à être autorisées. La CLT a eu l'énorme avantage d'être la seule à avoir exploité des chaînes privées en Europe depuis 1955. Un département a alors été créé, dont le travail consistait exclusivement à en créer, en partant de zéro", témoigne Ferd Kayser, directeur des chaînes de la CLT de 1984 à 1997, jusqu'à sa fusion avec UFA.

En l'an 2000, RTL Group naît de la fusion entre la CLT-UFA et Pearson Television et devient rapidement le leader européen de la télévision commerciale. Le groupe a abandonné entre-temps son siège historique de la Villa Louvigny pour s"installer dans le nouveau Centre de Télévision du Kirchberg, où il demeure toujours.

Besoin de renouveau

Tandis que le groupe affiche désormais ses ambitions internationales, Télé Luxembourg poursuit sa route. Avec plus ou moins de bonheur. L'audience s"essouffle, la chaîne éprouve des difficultés à se positionner face à la concurrence de plus en plus accrue des chaînes étrangères. Dès la fin des années 80, "un besoin de renouveau s"est fait ressentir", affirme Gaston Thorn, président du conseil d'administration de la CLT-UFA de 1987 à 2004.

"Hei Elei était un programme qui n'était plus dans l'air du temps", se souvient Ferd Kayser. Les responsables de la chaîne entreprennent de réorganiser les programmes, de démarrer un nouveau format et de mieux cibler les jeunes. Un conflit interne éclate alors entre l'ancienne et la nouvelle génération, qui ne parviennent pas à s"accorder sur les nouvelles formes de gestion de l'entreprise. En 1991, Jean Octave part en claquant la porte, suivi par une grande partie de son équipe. C"est la fin d'une époque.

"Nous avons introduit un nouveau format, avec de nouvelles techniques de présentation, une optimisation du montage, du bon usage de la langue... En fait, nous avons arrêté une chaîne un jour et en avons redémarré une nouvelle le lendemain. Mais j'aurais vraiment aimé réussir à produire ce nouveau programme avec l'équipe de l'époque...", affirme aujourd'hui Alain Berwick, le directeur de RTL Lëtzebuerg.

Hei Elei disparue, elle est remplacée, à l'initiative du gouvernement qui soutient très activement le maintien d'un programme luxembourgeois, par un programme quotidien en direct d'une heure, rediffusé en boucle jusqu'à minuit. Depuis l'automne 2001, RTL a augmenté jusqu'à 18 heures la durée de son programme destiné au Luxembourg et diffuse une grille variée, avec notamment des émissions de divertissement spécialement conçues pour attirer le jeune public, comme Planet RTL.

Pour Alain Berwick, le pari est réussi. "Regardons les faits. RTL n'avait que très peu d'audience - on parlait de moins de 20% de parts de marché - avec une clientèle très âgée. Aujourd'hui, la chaîne est rentable et nous atteignons les 70% de parts de marché dans la tranche 19h-20h, ce qui est largement supérieur aux objectifs formulés il y a dix ans", affirme-t-il. Le directeur soutient néanmoins que l'esprit pionnier n'a pas totalement déserté les studios et que RTL Lëtzebuerg continue de respecter son mot d'ordre: "Faire une télévision luxembourgeoise proche des gens, qui informe, qui ne soit pas le porte-micro des hommes politiques et qui touche le public le plus large possible". Tout un programme, en effet!