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Le Wall Street Journal met le feu aux poudres. Les ennuis de ?Lernout&Hauspie: the Speech and Language Company? ont commencé au mois d'octobre 2000, engageant la société sur la pente d'une fin - et d'un début - de millénaire des plus obscurs.

C'est le très sérieux Wall Street Journal Europe qui a fait jouer le poids des mots, n'hésitant pas à accuser L&H de déclarer dans ses revenus ceux de certaines licences... qui n'avaient en fait jamais été vendues. En clair: L&H gonflaient leur chiffre d'affaires.

En fait, la proportion réalisée en Asie (25%) semblait anormalement élevée par rapport aux chiffres engendrés par les activités sur les marchés européen et américain qui, eux, avaient plutôt tendance à stagner.

Ainsi, on mettait en dout le fait qu'une vingtaine de compagnies ?LDC' (language development companies, qui constituaient des bases de données acoustiques des phonèmes de chaque langue) sises à Singapour aient acheté la technique L&H pour développer leurs applications vocales dans les langues asiatiques.

Quelques papiers plus tard, le 26 octobre 2000, c'était dorénavant plus qu'une tendance à la baisse qu'accusait l'action belge, elle affrontait la Bérézina: avec une cotation à 5,75 $ sur l'EASDAQ, le titre venait de s'écraser de 35,8%. Drôle de retournement pour une action qui plafonnait à 70 $ six mois auparavant.

Côté (mauvaise) réputation, les jeux n'étaient pas encore faits, mais presque, et si l'enquête menée par le gendarme américain de la bourse - le SEC (Security and Exchange Commmission) ? afin de connaître l'identité des investisseurs des LDC se révélait concorder avec les dénégations de la presse, la faillite guettait.

Premières décon-

venues

Le 08 novembre, le couperet tombe en interne: un audit de KPMG concernant les résultats financiers confirme les soupçons concernant les irrégularités financières pour 1998, 1999 et 2000. Le cours de l'action est suspendu le 09, jusqu'à une hypothétique clarification des comptes. Les piliers Jo & Pol sont contraints de céder la gestion journalière de l'entreprise à leur administrateur délégué, l'américain John Duerden, ancien patron de leur ? ?filiale Dictaphone. Le chiffre d'affaires global est revu à la baisse et passe des 220 millions $ escomptés par les analystes au mois d'août 2000  à 120 millions $. Et encore, cette baisse ne tient pas compte des irrégularités financières, mais seulement de la mauvaise conjoncture des affaires L&H, que ses clients évitent dorénavant comme la peste, pour la plus grande satisfaction d'un concurrent tel que IBM. Entre le pic de mars et le gouffre de novembre, l'action a perdu 90%.

Le mystère LDC est donc levé. Dans les livres comptables de L&H, le chiffre d'affaires réalisé par la vente de logiciels à ces entreprises était en fait à comptabiliser parmi les frais de recherche de L&H puisque, en remontant plusieurs filières, la SEC a découvert que des collaborateurs L&H travaillaient pour les LDC au développement de nouveaux produits. 

Outre ces ?inscriptions comptables non appropriées?, l'audit reprochait à L&H une ?pratique de vente problématique aux Etats-Unis et en Belgique? ainsi qu'un mystérieux trou financier de 106 millions $  en Corée.  En tout, L&H avait accumulé 277 millions $ de faux revenus en 2 ans et demi.

Une première demande de concordat judiciaire est refusée fin novembre, faute de chiffres précis et de plan de restructuration digne de ce nom.

 

Pas de fêtes de fin d'année

Début décembre, pour éviter la mise en liquidation, L&H demande à nouveau un concordat, à la fois aux tribunaux belge et américain (tribunal de Commerce de Ypres et Bankruptcy Court de l'Etat du Delaware). En cas d'acceptation, les actifs de la société seront placés sous le contrôle d'un juge, ce qui assurera une protection judiciaire de L&H contre ses banques créancières, qui ne pourront rendre immédiatement exigibles les crédits qu'elles avaient alloués, à savoir 200 millions $  à court terme et 230 millions à long terme. 

Contrainte de montrer dorénavant patte blanche, la société doit se soumettre à une enquête sur ses déclarations financières pour 1999 et 2000, toujours menée par la SEC.

Quoi qu'il en soit, l'addition s'alourdit jour après jour: Dictaphone dépose à son tour un concordat, en raison de problèmes financiers auxquels L&H ne peut forcément pas remédier. Et ce n'est pas dans ce climat que John Duerden va pouvoir trouver des capitaux afin de rembourser le crédit à court terme précisément endossé pour l'acquisition de Dictaphone.

 

Restructurer

La nouvelle année est passée, les bonnes résolutions sont prises, et la demande de concordat financier a été acceptée. L&H dispose de 6 mois pour assainir sa situation, jusqu'au 30 juin. Un peu de répit pour les pontes de L&H, mais cette décision s'accompagne d'un plan de restructuration drastique de 12 à 18 mois afin que 2002 soit l'année des nouveaux profits de L&H.

Tout d'abord, 20% du personnel doit être licencié pour limiter la casse. Effrayant, lorsqu'on sait que l'entreprise emploie plus ou moins 6 000 personnes à travers le monde. Le licenciement de 200 employés en Europe, 300 en Asie et 400 aux Etats-Unis est annoncé. L&H a également décidé de recentrer ses activités sur les Etats-Unis et l'Europe, où les investissements en R&D continuent, tandis que les activités coréennes sont stoppées, et réduites à Singapour.

Coup de théâtre à la mi-janvier, puisque John Duerden rend à son tour son tablier. En effet, les actionnaires belges le suspectent de s'intéresser principalement à la sauvegarde américaine de l'entreprise. C'est à Philippe Bodson, francophone et ancien patron de Tractebel, de reprendre le flambeau quotidien, ? ?tandis que Jo Lernout est écarté à la suite de Pol Hauspie. Avec Philippe Bodson, c'est le début d'un nouvel espoir pour L&H. Mais sa tâche est semée d'embûches.

L'ère Philippe Bodson

Nouveaux fonds, nouvelle collaboration, nouvelles ventes...

Peu après l'arrivée du nouvel administrateur délégué, Cerberus Capital Management LP et Gabriel Capital Group acceptent de financer L&H à hauteur de 60 millions $, sous forme d'un emprunt ?DIP? (debtor-in-possession), avec l'accord des tribunaux.

L'emprunt implique un remboursement mensuel de 25.000 $, 10.000 $ de frais administratifs ainsi que 1 432.000 $ de frais fixes, avec un taux de base de  9,5%. Il vise à couvrir les frais courants, puisque les activités quotidiennes de l'entreprise continuent malgré les scandales, et à rembourser les crédits.

Fin mars est signée la suite d'un accord avec MediaGold, développeur qui produit, emballe, distribue, s'occupe des relations publiques et du soutien technique pour les produits actuels (Voice Xpress standard et professionnel, ?) et futurs de Lernout & Hauspie et de sa filiale Dragon, non seulement en France et en Allemagne, comme précédemment, mais aussi dans toute l'Europe, en Afrique et au Moyen-Orient. De quoi mettre un peu de baume au c'ur de L&H.

Mendez, le bureau de traduction mécanique et humaine de L&H, qui emploie 950 personnes dans 19 pays, est par ailleurs mis en vente en février 2001, pour 200 millions $. Bowne l'acquiert finalement début août lors d'une vente aux enchères, pour 44,5 millions $. Loin de la mise espérée, ces liquidités permettent néanmoins de rembourser Cerberus en partie.

? et quelques revers

L&H semble donc remonter tout doucement la pente, mais Philippe Bodson doit faire face au passé de la société, qui ressurgit inévitablement. En avril, le tribunal yprois établit le total des dettes de l'entreprise à 22,7 milliards de LUF. On découvre par ailleurs que L&H Korea, qui avait déclaré 127 millions $ de ventes entre septembre 1999 et juin 2000, soit près de la moitié du chiffre d'affaires total de L&H pour les 6 premiers mois 2000, les avait pratiquement toutes inventées, avec la complicité de banques locales. Le montant des ventes ne s'est jamais transformé en pièces sonnantes et trébuchantes? sauf pour les dirigeants coréens, qui ont touché d'alléchantes primes (+/- 25 millions $) pour avoir? atteint les objectifs de vente de la société, objectifs taxés d'irréalistes par PWC, en charge de l'audit.

L'imbroglio coréen était le suivant: LHK concluait des ventes avec de petits clients, incapables de payer, et pour lesquels LHK se portait garant? ce qu'on ne peut pas vraiment considérer comme une vente, vu que LHK était redevable de ces sommes. Les banques créaient un montage financier rendant ces opérations transparentes.

A la fin avril, l'Assemblée Générale Extraordinaire de L&H se réunit, comme le prévoit le concordat. Les milliers de petits actionnaires, qui avaient porté plainte contre L&H, ne recevront pas leur dû.

Dernier trimestre

En juin, le tribunal de commerce de Ypres a refusé le plan de redressement présenté par Bodson, qui avait pourtant été accepté par les créanciers de L&H. Une rallonge à la protection financière est accordée durant l'été, et les choses devraient se décanter fin septembre: présentation de la seconde copie du plan pour le 10, soumission aux créanciers pour le 18. Et remise de décision finale par le juge pour le 30?

A star was born (www.lhsl.com)

Après avoir fait la une des médias du royaume, toutes communautés linguistiques confondues, et tenu en haleine un certain nombre de nos ?amis belges?, le soufflé Lernout & Hauspie est un peu retombé.

Et pourtant, tout avait si bien commencé? N'importe quel Belge un tant soit peu intéressé par le développement économique de son pays se gargarisait du succès foudroyant de la start-up flamande, dont la renommée mondiale dans le domaine des technologies vocales appliquées aux ordinateurs, téléphones et autres voitures n'était plus à faire depuis sa création en 1987.

L&H, c'était un peu le rêve américain vécu au c'ur du plat pays, dans le petit fief d'Ypres, une société qui se disait ?the world's leading provider of speech, artificial intelligence, language solutions and services by creating speech user interfaces (SUI)?.

Sur le papier, la société semblait très solide, avec ses deux fondateurs managers aux habiles discours et compétences complémentaires, Jo Lernout (l'ingénieur) et Pol Hauspie (le financier). Mais avant tout, les chiffres d'affaires officiels affichés par L&H épataient les moins enthousiastes. Chiffres précisément à l'origine des déboires de la société, jusque-là fer de lance d'une hypothétique ?Language Valley? belge.

La technologie vocale critiquée

Bien sûr, L&H, c'est un grand scandale financier. Mais, sur le fonds, c'est surtout une technologie de traduction et de reconnaissance vocale, et cette dernière n'a pas été épargnée par la cabbale.

Immaturité, inutilité, les qualificatifs ne manquent pas pour critiquer cette technologie dont le boom annoncé depuis 15 ans se fait un peu trop attendre. Désintérêt et lassitude seraient monnaie courante chez l'utilisateur lambda et, début 2001, L&H décidait de stopper sa division ?consumers?, faute de rentabilité.

Office XP intègre néanmoins la synthèse de la voix ?text-to-speech? de L&H, qui permet de taper un texte et de produire une voix en retour en anglais, japonais et chinois.

Pour ce qui est du ?speech-to-text? (dicter à un ordinateur), Microsoft a lui-même développé la technologie, qu'il estime particulièrement utile aux personnes handicapées.

Côté B2B, la reconnaissance vocale se porte mieux, les secteurs médical et télécom étant de plus en plus friands de call-centers automatisés.

Pour la traduction automatique, aucun nuage en perspective: IDC augure un marché de 378 millions $ en 2003 et Mendez, la société de traduction de L&H vendue cet été, est d'ailleurs rentable.