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Internet est un monde rapide et nouveau. C'est un endroit où nous sommes tous des nouveaux entrants. Ses caractéristiques créent une nouvelle "règle suprême": le succès va au mouvement, à la créativité. La loi du réseau ressemble à: "Ce n'est pas le grand qui bat le petit, mais le rapide qui bat le lent". Etant donné que souvent le plus petit est réputé être le plus rapide.

Si les premiers utilisateurs du réseau furent les chercheurs, les entrepreneurs et entreprises ont très rapidement pris conscience du marché énorme que représenterait Internet à moyen terme. Ce nouvel espace étant vierge de tout historique, on y a inventé de nouvelles manières de vendre, de nouveaux modèles économiques, plus ou moins inspirés, calqués sur le " vieux monde ".

"Il y a longtemps" ? c'est-à-dire 18 mois? ?, les start-ups qui faisaient la " une " des newsletters reproduisaient un modèle unique. La logique était B2C: de l'entreprise au consommateur final. Les services en ligne se devaient d'être gratuits (informations, e-mail, jeux?). La rentabilité n'était envisagée qu'à l'horizon de quelques années, grâce à la publicité. Les entreprises choisissant un modèle directement payant étaient rares.

Les porteurs de projet préféraient s'inspirer de Yahoo!. Ce site avait principalement construit son modèle sur la vente d'espace publicitaire. Le nombre élevé de pages vues, de visiteurs, de possibilités de ciblage des annonces? ont fait de Yahoo! une entreprise rapidement rentable. De fait, toutes les jeunes pousses ambitieuses rêvaient d'être le "Yahoo! de l'e-mail gratuit", ou le "Yahoo! de l'hébergement gratuit"?

Après un an et demi de modèle publicitaire, de nombreuses start-ups se sont rendu compte que les ressources dégagées n'étaient pas suffisantes? Elles se sont alors retournées vers leur modèle, Yahoo!, et ont constaté que les sources de financement s'étaient diversifiées. Le commerce électronique était apparu ! On peut acheter sur Yahoo! Tout achat rapporte des revenus supplémentaires ! Que voilà une idée richissime ! En quelques semaines, tous les plans d'affaires prévoyaient une double source de revenu : publicité ET commerce électronique.

Juin à décembre 1999: dans la même lignée, les seuls sites attirant investisseurs et communiquants étaient les sites orientés "B2C". Amazon.com était à son plus haut, les libraires, disquaires? se multipliaient. A l'intérieur de ces grandes tendances, des "courants" se distinguaient. Il y avait le mois "achats groupés", le mois "ventes aux enchères", le mois "sites féminins", le mois "événements de la vie (maternité, mort, mariage?)", le mois "surf rémunéré"? où successivement le concept était inventé, l'idée plaisait, et 10 annonces de sites traitant du même thème fleurissaient, chacun bien entendu ayant vocation à devenir            leader, le numéro 1 mon-             dial / européen / francophone.      .

Jusqu'en septembre de l'année dernière, les seuls projets dont on entendait parler étaient des sites "traditionnels", sur Internet, accessibles via ordinateur et butineur classique. Octobre 99, le salon Telecom99 à Genève. L'Internet mobile fait son apparition. Les constructeurs présentent les prototypes, les médias et le public s'enflamment. En quelques mois, des projets nouveaux se créent, on promet monts et merveilles. On décrit l'alliance WAP-GSM-Bluetooth (puis WAP-UMTS-Bluetooth) comme LE support de demain, permettant personnalisation et commerce électronique partout, tout le temps et à la demande. Résultat aujourd'hui ? On ne traduit plus WAP par "Wireless Application Protocol', mais par "Where Are the Phones? ". Ces mêmes médias qui encensaient ces solutions il y a trois mois, les vouent aujourd'hui aux gémonies, avant même de les avoir réellement testées, sans admettre que toute technologie ne peut être mature dès son apparition.

Début d'année 2000. Les sites B2C donnent leurs premiers signes d'épuisement. On se rend compte que les investissements marketing et la concurrence exacerbée repoussent de plus en plus loin les premiers bénéfices. Les investisseurs, désemparés, cherchent de nouveaux sujets d'investissement. Ils découvrent alors le B2B? le commerce électronique entre entreprises! Les premières annonces se font en février? Fin février/début mars apparaît et explose aussitôt le concept de "Place de Marché Virtuelle" (PDMV). Les études fleurissent pendant trois semaines affirmant que d'ici à trois ans, 80% du commerce électronique se ferait entre entreprises, et que sur ces 80%, plus de la moitié viendrait de ces mêmes PDMV. Bilans? Une dizaine d'annonces d'ouverture, projets, collaborations? par semaine pendant deux mois. Aujourd'hui ? On prévoit d'ores et déjà que la plupart des PDMV fermeront (et ferment déjà) avant même que d'avoir réellement existé, qu'à peine deux survivront par industrie, qu'elles seront sous la surveillance des autorités de régulation pour éviter les situations monopolistiques?

Aujourd'hui? On parle de P2P (Peer to Peer), de G2C (Government to Citizen), de B2X (Business to Exchange)?

Le but de ce survol rapide et superficiel des différents mouvements de mode? Double: les "dénoncer", montrer la rapidité accélérée avec laquelle ils se succèdent, et en même temps relativiser leurs impacts.

On ne parlera pas du manque de recul des investisseurs, du manque d'expérience et de l'inconséquence de certains entrepreneurs. Ces comportements font partie, d'une certaine manière, d'un mouvement "global', "systémique".

C'est-à-dire? Internet ? les nouveaux médias en général ? sont encore loin de leur maturité (technologique, sociale, économique). Ce que nous voyons en ce moment, c'est une espèce de soupe primitive, dans laquelle différentes formes de vie se succèdent à un rythme effréné. La nature avait, il y a des millions d'années, fait de nombreuses expériences génétiques, multipliant les tentatives. Depuis ces "temps initiaux", elle s'acharne à sélectionner les espèces les plus adaptées et adaptables, les plus robustes? Le réseau est aujourd'hui dans la même logique. On essaie. On tente. On teste. Si l'on échoue? Peu importe, on va retenter autre chose, différent, un peu plus loin, avec les mêmes équipes, l'expérience en plus, les contre-exemples en tête.

La terre se séparait de la mer? Le réseau mobile se sépare du réseau fixe, la télévision devient interactive quand l'ordinateur permet de regarder de la vidéo en temps réel. L'activité sismique faisait trembler les continents à peine apparus? Les faillites font s'effondrer les cours de bourses qui s'étaient si vite envolés.

Il est probable que ce mouvement de création de modèles s'accélère encore pendant quelques mois (on n'ose pas dire quelques années, tant les prévisions sont hasardeuses dans le domaine). Il est probable que 90 % des start-ups créées aujourd'hui disparaissent. Il est certain que les entreprises de demain sont (seront) issues du vent de folie en cours'  Pour finir sur une citation, on choisira Andy Grove, ancien président d'Intel: "C'est un jeu de fous, mais les plus fous sont ceux qui ne jouent pas"!