Monsieur Mergen, quelques mois après la disparition du fondateur du groupe CK, Charles Kieffer, quelles sont les valeurs qu’il a léguées à la société et que vous souhaitez appliquer dans votre mission?
«Je parlerais avant tout du côté humain. Charles Kieffer aimait la vie, mais il consacrait aussi une large part de son emploi du temps au travail, qui représentait une valeur à part entière à ses yeux. Il était un patron parfois dur, mais juste. J’espère donc inscrire mon action dans cette continuité, aux côtés des trois autres membres de la direction du groupe CK: Suzette Elsen, Josy Frisch et Bernard Hugo.
Comment percevez-vous les forces des entreprises familiales que vous connaissez via votre expérience?
«L’entreprise familiale se caractérise surtout par un certain nombre de valeurs: l’importance du facteur humain, le dynamisme, l’innovation et un pouvoir de décision rapide sans avoir recours à un centre de décision éloigné ! Une entreprise familiale peut ainsi vraiment anticiper les situations pour éviter toute faiblesse. Les problèmes inhérents à certaines circonstances sont résolus par une plus grande créativité. Ainsi leur résolution revêt souvent un caractère unique.
La préparation de la succession au sein de l’entreprise est aussi un élément important pour assurer sa pérennité… Avez-vous vérifié ce constat chez CK?
«M.Kieffer a eu l’intelligence de préparer sa succession dès 2002, il avait déjà 81 ans. L’ensemble de l’organisation mise en place suite à son décès avait donc été décidé longtemps auparavant afin d’assurer la continuité de l’entreprise.
Quels sont les piliers sur lesquels sont construites les activités qui vous occupent au sein du groupe CK?
«Mon département est subdivisé en quatre grandes parties. Tout d’abord, les activités administratives dans leur sens premier, par exemple la gestion des contrats de travail des employés, des contrats d’assurance, de la flotte automobile… Ensuite, il y a la gestion des ressources humaines et de la comptabilité. Le département informatique, dont j’ai également la charge, occupe la dernière partie de mes activités.
Avez-vous mis en place une méthode particulière pour coordonner ces différents départements?
«Je pense sincèrement que la recette essentielle pour parvenir à coordonner ces différentes activités est de disposer des bonnes personnes, au bon endroit, et de leur accorder la confiance nécessaire via une délégation progressive. L’évolution interne est aussi une source de valorisation de nos employés, qui deviennent au fur et à mesure des entrepreneurs au sein de notre société.
Quelle valeur ajoutée voulez-vous apporter via vos prérogatives?
«Toutes mes actions ont pour objectif premier d’assurer la fluidité et la simplicité des processus internes. Étant une PME, nous devons régulièrement faire preuve de flexibilité. Nous attendons donc de nos collaborateurs qu’ils adoptent ce même état d’esprit et qu’ils n’aient pas peur de se retrousser les manches en cas de besoins complémentaires. Leur parcours interne et leur loyauté leur offrent la possibilité d’aborder différentes matières.
Trouvez-vous facilement les partenaires externes nécessaires pour mener vos projets?
«Je dois bien avouer qu’il n’est pas évident pour une PME de faire appel à des prestataires ou des partenaires dans la mesure où de nombreuses sociétés, par souci de rentabilité, choisissent à un moment donné de ne plus suivre des sociétés d’une taille telle que la nôtre. Nous sommes donc à la recherche d’interlocuteurs présentant les mêmes caractéristiques que notre groupe et partageant nos valeurs. Les contacts humains sur le long terme doivent être privilégiés pour nouer des partenariats avec des fournisseurs. Il faut parfois effectuer des recherches et des essais pendant plusieurs années avant de trouver ceux qui correspondent à ces critères.
Quel bilan tirez-vous de l’obtention de l’agrément PSF en 2008?
«Je tire un bilan mitigé de notre passage sous le statut de ‘professionnel du secteur financier’. Cet agrément demande beaucoup d’investissements et d’efforts en raison du respect de critères stricts, mais il est difficile, au final, d’évaluer l’impact réel de ces investissements en matière de développement d’affaires. Il me serait difficile de connaître le nombre exact de clients que nous avons gagnés en devenant PSF. Il faut cependant reconnaître que le ‘label’ est clairement un atout auprès de certains prospects qui le considèrent comme un gage de qualité.
En revanche, en termes d’organisation interne, ce passage au statut PSF nous a poussés à mettre en place des processus qui étaient jusqu’alors inexistants ou à améliorer certaines procédures pour répondre aux prérogatives de la législature existante. Pour le fonctionnement interne de la société, devenir PSF a clairement été un avantage.
À quel type de procédures ou de processus pensez-vous?
«Je pense notamment aux procédures de lutte contre le blanchiment d’argent ou à la formalisation de notre service dédié aux ressources humaines en 2011.
Trouvez-vous facilement les ressources dont vous avez besoin pour former votre équipe?
«Nous confirmons toujours plus notre ancrage local en tant que société luxembourgeoise qui veut servir ses clients, qu’ils soient majoritairement Luxembourgeois ou internationaux. Notre équipe actuelle est principalement composée de commerciaux et de techniciens. Cela implique, dans l’idéal, d’embaucher des techniciens qui soient capables de parler les trois langues usuelles du pays, le luxembourgeois, le français et l’allemand. Nous comptons actuellement une quarantaine de techniciens, mais il devient de plus en plus difficile de trouver ce type de profil polyglotte.
La simplification administrative fait partie des priorités du nouveau gouvernement. Quelle est votre évaluation de la charge administrative qui pèse sur les entreprises, au regard de votre expérience?
«Depuis la création du site intégré Guichet.lu, je dois reconnaître que la situation s’est améliorée en matière de centralisation de l’information et de possibilité de remplir une série d’obligations ou de demandes administratives par le biais de la signature électronique qui s’avère être aussi un outil très utile. En revanche, l’accès à cette signature électronique est très facétieux et nécessite des démarches importantes en cas de renouvellement. Il conviendrait donc d’analyser les possibilités pour faciliter l’accès à la signature Luxtrust et au renouvellement de cette dernière.
Comment percevez-vous l’évolution de la concurrence au sein de votre marché?
«La compétition autour des prix n’a pas cessé, pour ne pas dire qu’elle devient difficile. Mais en tant que société locale, nous gardons un avantage compétitif: la proximité avec le client. Outre l’aspect tarifaire, nous remarquons que nos clients sont avant tout demandeurs d’un service personnalisé et rapide. D’où la présence en permanence de nos 40 techniciens aux quatre coins du pays.
L’outsourcing à destination de vos clients représente-t-il un développement potentiel?
«Nous le pratiquons d’ores et déjà auprès de certains d’entre eux. Par exemple, lorsque le parc de machines installé est important, nous proposons un loyer incluant la maintenance des appareils par l’un de nos techniciens présents à demeure, l’objectif étant que le client puisse se concentrer sur son cœur d’activité.
Visez-vous le marché de la Grande Région?
«En raison d’accords avec Konica Minolta, nous ne dépassons pas un rayon de 100 kilomètres autour de notre siège de Leudelange. Ce choix se justifie aussi pour des raisons de rentabilité.
Comment met-on en place une politique RSE dans une entreprise telle que la vôtre?
«La première responsabilité sociétale d’une entreprise est d’assurer la pérennité de l’emploi et d’améliorer constamment sa politique de gestion des ressources humaines. Sur un autre plan, notre engagement en faveur de pays en phase de développement ne date pas d’hier puisque M. Kieffer était en effet consul honoraire du Burkina Faso au Luxembourg, mission dont est désormais en charge Suzette Elsen depuis le début de 2014. Nous continuons donc à soutenir différentes actions caritatives et œuvres de charité.
Lorsque nos machines arrivent en fin de vie, nous les recyclons en interne et les envoyons, à nos frais, vers des institutions ou entreprises des pays de l’Europe de l’Est ou d’Afrique qui en éprouvent le besoin. Cet apport de machines, qui ne correspondent plus aux besoins des entreprises luxembourgeoises, est important pour nous dans la mesure où il constitue une aide concrète au développement de ces pays. Nous prenons par ailleurs en charge le recyclage des toners des imprimantes mises à disposition de nos clients. L’enlèvement est assuré par nos soins et le traitement pris en charge par une société externe.
Quelle sera l’évolution de votre marché d’ici cinq ou 10 ans?
«Je pense que le besoin de solutions globales de nos clients ne va cesser de croître. Nous avons fait évoluer notre structure depuis quelques années pour répondre à cette tendance. Ainsi, notre département Solutions est justement appelé à prendre de l’ampleur dans notre organisation. La dématérialisation des documents et des flux d’informations, le tout influencé par un agrément légal en cours de finalisation pour les prestataires, sera l’un des moteurs du marché à moyen et long termes. Plus généralement, nous gagnerons probablement moins d’argent via la location des machines, mais nous serons amenés à proposer de plus en plus de services à valeur ajoutée.
Le papier ne va donc pas disparaître…
«Il a encore de beaux jours devant lui d’ici 10 à 15 ans, tant que le numérique ne sera pas encore aussi performant que la feuille de papier pour les besoins d’écriture.
Êtes-vous optimiste pour le futur de l’économie luxembourgeoise?
«C’est à la nouvelle coalition gouvernementale de nous montrer où le pays peut aller, de tracer de nouvelles voies. Les attentes de la population et des acteurs socioéconomiques sont importantes. Certaines mesures ne seront pas forcément populaires et susciteront des oppositions, comme l’augmentation de la TVA, mais il est avant tout important de faire en sorte que les entreprises se sentent bien au Luxembourg afin d’en assurer la pérennité économique.
En dehors de vos occupations professionnelles, quelles sont vos passions?
«Je pratique l’ULM depuis 2003, date de l’obtention de mon brevet. J’ai eu le grand plaisir de partager cette passion avec Charles Kieffer qui a passé son brevet à l’âge de 79 ans ! En avril 2012, il m’avait encore demandé d’effectuer un vol avec lui. Je m’envole régulièrement depuis les installations de Sterpenich, de l’autre côté de la frontière belge, et j’apprécie pleinement le sentiment de liberté que cette passion procure.»
Parcours
L’humain au cœur du métier
Âgé de 43 ans, Patrick Mergen a déjà accompli un parcours varié, reflet des possibilités souvent offertes par les entreprises familiales. Après un graduat en informatique, il a rejoint le monde de l’entreprise via une première expérience chez Telindus, en 1995. Quatre ans plus tard, il a franchi les portes de l’entreprise qui l’occupe encore aujourd’hui: le groupe CK. La rencontre avec son fondateur, Charles Kieffer, et la personnalité de celui-ci l'ont fortement influencé et ce tournant dans sa carrière allait être décisif. En 2004, il a accompli un master en management d’entreprise à HEC Liège. Il est actuellement membre du comité de direction du groupe CK au sein duquel quatre personnes assurent désormais le pilotage collégial de l’entreprise. Lorsqu’il ne survole pas son pays natal, Patrick Mergen passe son temps auprès de sa famille, mais aussi en prenant part aux activités de l’Association du progrès du management et de la Fédération des jeunes dirigeants d’entreprise afin de participer à la promotion de l’esprit d’entrepreneuriat auquel il croit foncièrement… à l’instar d’un certain Charles Kieffer.