Le tribunal de commerce examine un dossier qui fera date. (Photo: DR / Paperjam /archives)

Le tribunal de commerce examine un dossier qui fera date. (Photo: DR / Paperjam /archives)

La liquidation d’Excell Life, en cours depuis 2012, va permettre de mesurer la solidité de la protection spéciale dont les assurés bénéficient en cas de défaillance de leur compagnie et de déterminer aussi qui y a droit. La justice n’a encore jamais eu l’occasion de se prononcer sur la portée exacte du «super-privilège» assorti aux contrats luxembourgeois.

Cette disposition donne la primeur aux investisseurs sur les créanciers privilégiés comme les employés, les impôts ou la Sécurité sociale. Pour autant, tous les investisseurs, des prudents ayant investi dans des «rentes» aux plus téméraires ayant misé sur des fonds en unités de comptes, y ont-ils droit? Les sommes récupérées doivent elles être mises dans un pot commun ou bien faire l’objet d’une ségrégation en fonction de la qualité des actifs sous-jacents?

Écartés des remboursements, des clients d’Excell ont mis en cause devant le tribunal de commerce la légalité de la distribution d’un dividende que la liquidatrice, Evelyne Korn, a consenti à certains des clients de la compagnie mais pas à d’autres (leur nombre est marginal), ayant investi leur épargne dans des contrats en unités de comptes baptisés Elix 36. L’argent a disparu dans une escroquerie. La liquidation peine à retrouver l’argent, tandis que la récupération des actifs pour les autres fonds adossés à des valeurs plus liquides va bon train.

La question qui se pose aux juges est de savoir si le traitement différent des clients s’inscrit dans le cadre posé par la législation luxembourgeoise sur l’assurance. Le recours a été plaidé en février. Le jugement est attendu pour le 1er avril prochain.

Les plaignants mettent en cause le versement, validé par plusieurs jugements, d’un dividende de 75% des actifs réalisés versé aux créanciers dont la prime fut investie dans certains fonds. 26 fonds au total représentant 538 créanciers. Les clients d’Elix 36 n’ont pas été indemnisés, le fonds étant actuellement non liquide et sans valeur. Et à valorisation nulle, créance zéro.

Leur avocat, Jean-François Steichen, estime que le mode de distribution de ce dividende est «diamétralement opposé aux exigences légales». Il réclame pour ses clients une part du gâteau sur la base de l’article 39 de la loi sur l’assurance ainsi qu’une circulaire (08/1) du Commissariat aux assurances qui met, à ses yeux, tous les assurés sur un pied d’égalité en cas de liquidation de l’entreprise.

Comme l’a signalé Evelyne Korn à l’audience, les déclarations de créances des plaignants n’ont pas été admises et leurs créances ne pourront être chiffrées «que si et lorsque des fonds auront été recouvrés par Excell Life International au titre des parts détenues dans le fonds Elix 36». Peut-être jamais.

L’assiette du privilège de l’article 39 ne peut porter, a soutenu l’avocate, que sur les actifs sous-jacents liés à un fonds d’investissement déterminé, liés aux contrats d’assurance investis dans ce fonds et non sur l’ensemble des actifs sous-jacents de tous les fonds d’investissement, liés à tous les contrats d’assurance. Pour les fonds d’investissement ne comportant pas d’actifs sous-jacents, a précisé Me Korn, les créanciers ne peuvent faire valoir que le privilège inscrit à l’article 40 de loi sur l’assurance sur les avoirs propres de la compagnie, donc sur les fonds qu’il reste après le passage des créanciers privilégiés (salariés, administrations fiscales et organismes de Sécurité sociale).

«Le principe d’égalité des créanciers n’est pas absolu», a indiqué la liquidatrice, qui estime que «diluer tous les actifs sous-jacents des contrats d’assurance dans une seule masse pour les distribuer entre tous les créanciers d’assurance reviendrait à rendre la situation des demandeurs en tierce opposition plus favorable qu’avant la liquidation judiciaire, et ce au détriment des créanciers investis dans des fonds valorisés et cotés ou bénéficiaires de rentes à versements périodiques.»

Intervenant volontairement, l’avocat belge Robert Wtterwulghe a soutenu cette position: «Le privilège des créanciers d’assurance organisé par l’article 39 doit être compris en ce sens que l’assiette du privilège porte uniquement sur le patrimoine distinct formé par les actifs représentatifs liés à une police d’assurance et non pas sur l’ensemble des patrimoines distincts formés par tous les fonds d’investissement», a-t-il fait valoir. «Soutenir le contraire revient à supprimer le privilège spécial des créanciers d’assurance sur les avoirs du fonds d’investissement auquel est lié leurs polices d’assurance et à collectiviser les différents fonds internes de l’entreprise d’assurance. Une telle interprétation de l’article 39 s’inscrit en totale contradiction avec l’esprit et la technique propres à l’assurance vie de la branche 23.»