Franz Fayot est député LSAP. (Photo: EHP / archives)

Franz Fayot est député LSAP. (Photo: EHP / archives)

Le sociologue Ralf Dahrendorf écrivit en 1983 que «le (20e) siècle aura été social et démocratique. À sa fin, nous sommes (presque) tous devenus sociaux-démocrates. Nous avons tous adhéré à certaines représentations qui définissent le thème du siècle social-démocrate, et les avons transformées en des évidences: croissance, égalité, travail, raison, État, internationalisme.»

La conclusion qu’en tira Dahrendorf était que la social-démocratie, ayant atteint tous ses principaux objectifs en construisant, dans la plupart des pays européens, des États-providence avec une redistribution sociale par les impôts, était devenue obsolète et vouée à la disparition.

Quelque 30 ans après cette prédiction, le gouvernement luxembourgeois DP-LSAP-Vert a présenté une réforme qui est marquée du sceau social: la charge fiscale des ménages à petits et moyens revenus vivant avant tout de leur travail est considérablement réduite. Ce résultat est atteint au moyen d'une progression moins rapide du barème des impôts, mais aussi par la mise en œuvre de l'instrument du crédit d'impôt avec sélectivité sociale, qui ne profite qu'aux petits et moyens revenus.

Une priorité particulière est donnée aux monoparentaux, les ménages les plus vulnérables et les plus à risque de pauvreté. La réforme se propose aussi d'agir sur l'offre et la demande du logement par diverses mesures fiscales, en proposant des incitatifs visant à augmenter l'offre, surtout de logements sociaux, et à faciliter l'accès au logement, prioritairement pour les jeunes ménages.

Même au niveau des mesures en faveur de l'économie, on remarque que ce sont avant tout les entreprises de l'économie «réelle» qui profitent des baisses de taux de l'IRC, des mesures favorisant les transmissions d'entreprise, des impositions moindres des entreprises à bas revenus: toutes ces mesures bénéficient avant tout aux PME et aux start-up. De plus, la réforme est contre-financée en partie par l'augmentation de l'impôt sur les soparfi, qui font partie de l'industrie financière.

Mais, répétons-le, la colonne vertébrale de cette réforme fiscale est socialiste: c'est la redistribution de l'impôt du haut vers le bas, par l'effet combiné de l'adaptation des barèmes, avec introduction de deux nouvelles tranches à 41 et 42% en haut du barème, et du crédit d'impôt.

Autres éléments socialistes: la lutte contre la fraude fiscale et le relèvement de l'impôt libératoire sur les revenus d'intérêt.

Partager la richesse générée dans la société de manière équitable.

Franz Fayot, LSAP

Alors, oui, on peut se poser la question: comment surpasser encore cette réforme, du point de vue socialiste? À quoi peut ressembler une réforme fiscale de gauche encore plus équitable, encore plus redistributive? Parce que c'est bien de cela qu'il s'agit: partager la richesse générée dans la société de manière équitable, notamment au moyen de l'impôt.

Est-ce possible et est-ce désirable?

D'abord, il est vrai et il faut le dire, cette réforme est rendue possible par la bonne santé économique du pays, qui est presque insolente dans le contexte européen, avec des taux de croissance à 3,5 – 4%.

Il faut reconnaître aussi les incertitudes qui planent sur l'avenir économique du pays, à commencer par l'impact des mesures Beps et leur transposition européenne, le développement de l'économie mondiale, l’hypothèse de certains scénarios-catastrophes et les cours de bourse dont l'économie luxembourgeoise est largement dépendante. Il se pourrait que, du fait de facteurs externes, notre croissance, et donc notre marge de manœuvre budgétaire, se trouve fortement réduite. Dans ce cas, les 500 millions que coûte la réforme fiscale ne seront plus supportables - c'est, en substance, la critique du FMI exprimée après l'annonce de la réforme.

Il y a encore matière à discussion dans les prochaines années.

Franz Fayot, LSAP

Ce qui soulève la question suivante: une telle réforme serait-elle possible dans un contexte économique plus difficile? Rien n'est moins sûr. Car cela supposerait de s'attaquer à l'épineuse question de l'imposition du capital non productif.

Un représentant du patronat luxembourgeois m'a dit un jour: «Les Luxembourgeois acceptent une imposition, même forte, des flux. Mais ils n'acceptent pas une imposition du capital.»

Les chiffres lui donnent raison: une partie réduite des résidents épaule le gros de la charge fiscale de l'IRPP.  Il y a donc une acceptation de payer beaucoup d'impôts sur les revenus. La contrepartie semble être: «À condition de ne pas être inquiétée au niveau de l'imposition du capital.»

La législation fiscale luxembourgeoise et la réaction des Luxembourgeois à des réflexions autour, par exemple, d'un impôt sur les successions et d'un impôt sur la fortune, le confirment: nous n'avons pas d'impôt sur les successions en ligne directe, et ce depuis 1817 - les gens y sont allergiques et ont l'impression qu'on les volerait; nous avons abrogé l'impôt sur la fortune des personnes physiques il y a quelques années; nous avons une retenue libératoire sur les intérêts à 10%, après la réforme à 20%; nous avons un impôt foncier dérisoire, comparé à la valeur du foncier au Luxembourg; nous avons un secret fiscal qui continue à protéger pleinement les résidents, alors que les non-résidents n'en bénéficient plus depuis certaines réformes récentes. Bref, touche pas à mon capital!

Il y a là, sans en douter, encore matière à discussion dans les prochaines années, dans le contexte d’un débat politique axé de plus en plus, les nombreuses publications sur le sujet le démontrent, sur les questions d’égalité: car en l’absence d’impôt sur la fortune (abrogé en 2005) et d’impôt sur les successions en ligne directe, l’accumulation et la transmission du patrimoine ne sont pas taxées au Luxembourg.

Il faudra mener à bien, enfin, la réforme de l'impôt foncier.

Franz Fayot, LSAP

La réforme fiscale qui sera adoptée avant la fin de l'année réduira l'écart riches-pauvres au Luxembourg de manière considérable, et c'est une bonne nouvelle pour le pays: il n'y a plus besoin aujourd'hui de démontrer l'effet corrosif de l'inégalité sur les sociétés, et je suis fier de faire partie d'une coalition progressiste qui reconnaît cet état de fait et y remédie.

En même temps, de nombreuses améliorations sont encore possibles dans le domaine de la fiscalité, dans le sens de plus d'égalité, dans l'imposition des personnes vivant de leur travail et celle de celles qui sont dotées de capital, surtout de capital non productif. De même, des incitatifs fiscaux sont possibles pour dissuader de certains comportements indésirables, p. ex. la taxe sur les logements et immeubles vides.

Quels sont ces domaines encore inabordés? On songe d'abord à l'une des principales sources de richesse du Luxembourg, due à sa rareté: le foncier. Il faudra mener à bien, enfin, la réforme de l'impôt foncier. Cet impôt, qui date de 1941 et qui est perçu sur une valeur historique remontant à 1941 et sans aucun rapport à la valeur de marché, doit être réformé afin de constituer une vraie source de financement des communes du pays. Une piste de réflexion pour la réforme de l’impôt foncier serait de privilégier la seule imposition du terrain (Bodensteuer), un modèle préconisé dans une étude de l’Institut der deutschen Wirtschaft de Cologne d’octobre 2015: l’Allemagne tente elle aussi depuis 1995 de réformer l’impôt foncier, avec les mêmes difficultés que chez nous.

Ensuite, en partant du constat que l'appréciation du terrain se réalise par une décision de classement en zone constructible, par décision administrative (PAG ou PAP), il y a lieu de réfléchir à l'opportunité d'un impôt de type «Wertschöpfungsabgabe» - une contribution à la communauté sur la plus-value générée par la seule décision de classement. De tels modèles sont pratiqués avec succès en Allemagne et en Suisse.

On le voit: si le social est bien au cœur de cette réforme fiscale, il restera matière à réflexion et amélioration dans les années à venir. 

 

Prochaine contribution, le 21 avril: Claude Wiseler, Laurent Mosar et Gilles Roth (CSV)