Jeannot Krecké a admis avoir retranché de sa propre initiative les informations sensibles de son rapport sur la fraude fiscale. (Photo: David Laurent / archives)

Jeannot Krecké a admis avoir retranché de sa propre initiative les informations sensibles de son rapport sur la fraude fiscale. (Photo: David Laurent / archives)

Le président de la Commission européenne était sur le grill jeudi lors de son audition par les membres des commissions économique et monétaire et spéciale taxe du Parlement européen. Le député allemand de Die Linke, Fabio de Masi, est revenu à la charge au sujet d’un rapport sur la fraude fiscale au Luxembourg que le député LSAP Jeannot Krecké (qui deviendra en 2004 ministre de l’Économie de son gouvernement) avait rédigé en 1997 à la demande de l’ancien Premier ministre luxembourgeois.  

Jeannot Krecké avait révélé à Paperjam à l’automne 2014 que son rapport officiel avait été expurgé d’une page sur la question des tax rulings en raison de la sensibilité du sujet. L’ancien ministre socialiste avait toutefois assuré que plusieurs versions, en édition limitée, existaient du rapport, dont un exemplaire fut remis à Jean-Claude Juncker.

Toutefois, la version de ce rapport était restée introuvable dans les archives du ministère d’État, malgré la demande formulée par la commission spéciale taxe au gouvernement de le produire.

Jeudi, Juncker a assuré aux eurodéputés ne pas avoir été au courant du fait qu’une page manquait et qu’il n’en a été informé que bien plus tard par la presse, lorsque Paperjam a publié l’interview de son ancien ministre de l’Économie qui avait admis l’existence de deux versions de son rapport. «Je ne savais pas que cette page existait», a déclaré le chef de l’exécutif européen, tout en niant toute responsabilité dans le retrait de la page faisant référence aux pratiques des rulings au Luxembourg.

«Je ne lui ai pas ordonné d’enlever cette page de son rapport, car j’ignorais l’existence d’une telle page», a rappelé Juncker, en précisant que son gouvernement n’avait pas exigé sa suppression, l’initiative étant venue de Jeannot Krecké lui-même afin d’épargner le Luxembourg de la critique de ses partenaires européens, à un moment où le pays allait prendre la présidence européenne pour six mois et s’apprêtait à prendre des initiatives fiscales (le code de conduite des entreprises en matière de fiscalité).

Trois exemplaires, dont deux perdus

L’ancien ministre et député aurait eu mercredi, la veille de l’audition, une explication avec Juncker et lui aurait confié avoir retranché la fameuse page afin de ne pas entraver le cadre d’action du Premier ministre et ministre des Finances d’alors si des informations sur la politique du gouvernement luxembourgeois en matière de rulings avaient été publiées.

Contacté jeudi par Paperjam.lu, Jeannot Krecké a confirmé partiellement cette version, tout en réaffirmant avoir donné en 1997 une version non expurgée de son rapport au Premier ministre. Une assertion qui contredit les propos de Juncker, selon lesquels il n’aurait pas reçu ni vu cette mystérieuse page.

Une chose est sûre: Jeannot Krecké, qui avait conservé précieusement l’original pendant toutes ces années, affirme lui avoir redonné récemment une version originale de son rapport sur la fraude fiscale, étant donné que l’exemplaire remis à l’époque au Premier ministre reste introuvable.

Trois versions complètes existaient: une remise à Juncker, une seconde confiée au député LSAP Lucien Lux (ce dernier aurait également perdu le sien) et la troisième conservée par son auteur lui-même.

Pourtant, le président de la Commission européenne a dit aux eurodéputés qu’il n'était pas utile de l’accompagner dans les caves et les archives et leur a conseillé de convoquer l’auteur du rapport de 1997 pour qu’il vienne s’expliquer devant eux. Krecké se refuse à fournir des copies.

La séance d'explications interviendrait probablement trop tard, dans la mesure où le mandat de la commission taxe vient à échéance. Rien n’exclut pourtant que le Parlement européen joue les prolongations, car, outre le rapport Krecké, d’autres documents bien plus sensibles ne leur ont toujours pas été transmis, notamment 500 pages de comptes rendus et procès verbaux des réunions du groupe consacré au Code de conduite sur la fiscalité des entreprises.

Les députés voudraient savoir quels furent les États membres qui montraient le plus de réticences dans les travaux. À l’époque, le Luxembourg était représenté par Luc Frieden, ministre CSV du Budget.