Me William Bourdon a dénié au premier avocat général et à la partie civile le droit d'ajouter des nouveaux critères à ceux établis par la Cour européenne des droits de l'homme. (Photo: Maison Moderne)

Me William Bourdon a dénié au premier avocat général et à la partie civile le droit d'ajouter des nouveaux critères à ceux établis par la Cour européenne des droits de l'homme. (Photo: Maison Moderne)

La troisième journée d’audience du procès LuxLeaks en appel a vu les différentes parties dévoiler leur jeu et tenter de gagner la Cour à leur cause.

Dans une plaidoirie somme toute très semblable à celle défendue en première instance, la partie civile, PwC, s’est attachée à renvoyer Antoine Deltour et Raphaël Halet dos à dos. «Raphaël Halet n’est depuis le départ rien d’autre qu’un opportuniste», répète Me Hervé Hansen, soulignant sa «transformation stupéfiante» en lanceur d’alerte alors que son attitude en interne relevait plutôt d’un «zèle particulier» à chercher la taupe à l’origine de la première fuite de documents exposés dans l’émission Cash Investigation en mai 2011.

Quant à Antoine Deltour, «il n’est pas de bonne foi», estime la partie civile, puisqu’en copiant les documents internes de formation la veille de son départ de PwC, «il a agi dans son propre intérêt en pillant le know-how de PwC». Comme le Parquet, Me Hansen considère que l’ancien auditeur n’était pas dans la démarche du lanceur d’alerte le jour où il a copié 20.000 pages de rulings depuis le serveur de PwC. «La qualité de lanceur d’alerte ne s’invente pas ex post facto», appuie-t-il. Et d’insister sur la violation du secret professionnel perpétrée par le prévenu, dans le sillage d’un premier avocat général qui a élevé le respect du secret professionnel au niveau du secret défense ou médical.

Nous plaidons que si l’un des critères n’est pas respecté, ce n’est pas un lanceur d’alerte.

Me Hervé Hansen

Se lançant dans une interprétation de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur la définition du lanceur d’alerte, Me Hansen va droit au but: «Nous plaidons que si l’un des critères n’est pas respecté, ce n’est pas un lanceur d’alerte.» Et à ce titre ni Antoine Deltour, dont la bonne foi est entachée et qui a d’abord nié les faits reprochés lors de son interpellation, ni Raphaël Halet, qui a sorti des «documents inutiles» puisque moins sensibles que les rescrits, ne méritent le label de lanceur d’alerte. «Il est malvenu de la part de Raphaël Halet d’invoquer la qualité de lanceur d’alerte vu l’insignifiance de son apport» aux révélations LuxLeaks, estime l’avocat.

Un développement qui vaudra à Me William Bourdon, défenseur d’Antoine Deltour, d’ironiser sur le «futur manuel du lanceur d’alerte» élaboré par PwC.

S’il avait vendu ses informations à un fisc étranger ou s’il avait fait chanter PwC, ç’aurait été le vrai méchant.

Me Philippe Penning

«Je défends l’ennemi public numéro un», lance Me Philippe Penning, l’avocat luxembourgeois d’Antoine Deltour, qui témoigne du peu d’estime manifesté par ses confrères à l’endroit du lanceur d’alerte. «Il n’est pas donneur de leçons comme l’intelligentsia française», souligne-t-il pourtant. «S’il avait vendu ses informations à un fisc étranger ou s’il avait fait chanter PwC, ç’aurait été le vrai méchant.» Pourtant son action reste incomprise et méprisée au Luxembourg, au point que l’avocat pénaliste s’est vu retirer des mandats.

Place au showman Me Bourdon, crinière blanche et éloquence malicieuse, qui interpelle, comme en première instance, les juges sur la portée historique de leur décision finale. «La seule décision juste en droit, c’est l’acquittement car si Antoine Deltour n’est pas acquitté, alors jamais personne au Luxembourg ne le sera», répète-t-il en écho à chacune de ses interventions devant la presse.

Comme un héros ou un saint, comme saint Paul qui a dû passer par Damas, Antoine Deltour est passé par le doute.

Me William Bourdon

L’avocat, qui défend également Edward Snowden, dénonce le «bricolage juridique» opéré par le premier avocat général pour justifier une condamnation d’Antoine Deltour. Celui-ci serait lanceur d’alerte au moment de divulguer les documents copiés mais pas lors du vol proprement dit. «Comme un héros ou un saint, comme saint Paul qui a dû passer par Damas, Antoine Deltour est passé par le doute», avance son avocat. «L’effet pervers de la proposition du premier avocat général, c’est de dire qu’il faut que le lanceur d’alerte agisse soit sous l’action du Saint-Esprit, soit de façon préméditée – et pour le coup on entre dans la stratégie et la malfaisance.»

De même, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme n’exige pas de divulgation a minima comme le présente le premier avocat général. Et elle ne sacralise surtout pas le secret professionnel comme le recommande ce dernier. «Tous les lanceurs d’alerte de la jurisprudence de la CEDH ont violé le secret professionnel», plaide au contraire Me Bourdon. Les juges de Strasbourg ont même avalisé la violation d’un secret militaire – bien loin du secret professionnel protégeant des intérêts privés comme dans le cas de PwC.

Me Bourdon retourne s’asseoir sous les applaudissements nourris d’une partie du public. Le juge, Michel Reiffers, laisse faire sans broncher, et poursuit avec le calme imperturbable et l’autorité tranquille qui le caractérisent depuis la première audience.

Les plaidoiries reprendront le 4 janvier avec à la barre la défense de Raphaël Halet et d’Édouard Perrin. Une dernière audience pourrait être nécessaire le 9 janvier.