La volonté du Luxembourg d'aller vers une plus grande transparence est appréciée en Belgique selon l'avocat fiscaliste. (Photo: DR)

La volonté du Luxembourg d'aller vers une plus grande transparence est appréciée en Belgique selon l'avocat fiscaliste. (Photo: DR)

Monsieur Philippe, après votre passage devant les membres de la Chambre des députés belge au sujet des LuxLeaks, comment est perçue selon vous la position du gouvernement luxembourgeois dans la continuité de cette affaire?

«De manière générale, la volonté du Luxembourg d'aller vers une plus grande transparence est appréciée. L'échange automatique d'informations concernant des données bancaires, que le Luxembourg a accepté de mettre en œuvre, a été félicité. Le fait que le gouvernement luxembourgeois se montre à présent disposé à fournir des informations concernant sa pratique de rulings est également une excellente nouvelle. C'est d'ailleurs, à mon estime, une réaction adéquate à l'affaire LuxLeaks.

Quel est, selon vous, le fond du problème dans le dossier des rulings mis au jour via les LuxLeaks?

«Le problème découle du fait que les rulings ont été accordés par l'administration fiscale luxembourgeoise de manière secrète, sans même être publiés de façon anonyme, comme c'est le cas en Belgique. Ceci dit, la Belgique doit aussi balayer devant sa porte. La presse belge a ainsi révélé l'existence de rulings non publiés, octroyés par le Service des décisions anticipées belge à des multinationales telles que Total et AB InBev. Cette affaire, qui a été baptisée BelgoLeaks, a d'ailleurs fait l'objet de vifs débats au cours de la commission des finances de la Chambre consacrée à LuxLeaks, mercredi dernier. Dans ce contexte, les récentes déclarations du ministre des Finances luxembourgeois, accueillant favorablement la proposition de directive sur l'échange automatique d'informations en matière de tax rulings, constituent une avancée majeure pour le Grand-Duché. Cet instrument permettra de lutter efficacement contre l'évasion et la fraude fiscales. L'intérêt est que l'administration fiscale belge, en cas d'octroi d'un ruling par le fisc luxembourgeois à un résident belge, soit informée et puisse réagir, le cas échéant, en invoquant ses mesures anti-abus.

Pour le fiscaliste que vous êtes, le ruling garde-t-il son utilité dans ce contexte?

«Sans aucun doute. Le ruling est l'un des enjeux majeurs de la concurrence fiscale internationale. Il constitue un instrument permettant d'attirer des capitaux étrangers. Force est ainsi de constater que les rulings sont l'un des principaux leviers (avec le taux d'imposition effectif) déterminant la stratégie de localisation d'une entreprise multinationale. Concrètement, un investisseur étranger désireux d'investir au Luxembourg souhaitera le plus souvent savoir à quelle «sauce fiscale» il sera mangé, avant de prendre sa décision de s'implanter ou non sur le sol luxembourgeois. Certaines études montrent ainsi que l'impossibilité d'obtenir un ruling pendant la période d'implantation décourage les investisseurs.

Quel serait le ruling idéal?

«À mon avis, pour qu'un ruling soit idéal, il doit satisfaire plusieurs conditions tenant à sa validité formelle – c'est-à-dire sa conformité avec le droit fiscal luxembourgeois et les normes supranationales – et à sa transparence – le ruling doit être rendu public. S'agissant de cette deuxième exigence, il est possible d'adopter deux postures. On peut tout d'abord considérer que le ruling doit être publié, mais en aucun cas que les noms des personnes concernées ne soient publiés. Telle est la situation qui prévaut en Belgique. On peut aussi choisir d'aller plus loin en publiant les noms des parties concernées. Je suis personnellement favorable à la première piste, car elle offre l'avantage d'assurer la confidentialité du bénéficiaire du ruling tout en veillant à l'application uniforme de la loi fiscale. Il est à mon avis crucial de faire en sorte que tous les contribuables soient mis sur un pied d'égalité.

Est-il réaliste pour le fiscaliste que vous êtes d'aller vers une harmonisation fiscale en Europe?

«C'est plutôt peu probable, mais je pense que l'on se dirige vers une lutte plus déterminée contre les pratiques fiscales dommageables. L'idée fait l'objet d'un consensus presque mondial, sous l'impulsion du plan Beps de l'OCDE. Ce champ d'action ambitieux vise à promouvoir une certaine justice fiscale, en mettant fin aux failles susceptibles d'être exploitées par les entreprises pour échapper à l'impôt dans leur pays d'origine, en transférant des bénéfices vers des juridictions où la fiscalité est plus favorable. On peut également citer la récente modification de la directive mère-fille, visant à lutter contre les situations de double non-imposition, telles que des prêts hybrides. Elle vise notamment l'un des schémas qui a provoqué beaucoup de remous au Parlement belge: les Profit Participating Loans (PPL) octroyés à des sociétés belges par des sociétés luxembourgeoises. L'utilisation de ces PPL présente l'intérêt fiscal suivant: le rendement est qualifié d'intérêt déductible en Belgique, et de dividende exonéré au Luxembourg. La modification de la directive mère-fille rendra ce type de montage inopérant à partir de 2016.

Pensez-vous que les États-Unis vont souscrire ce mouvement?

«Cette question renvoie à la position du gouvernement luxembourgeois, suivant laquelle il soutenait le plan d'action Beps, sous réserve du respect d'un 'level playing field': le Grand-Duché demande que les règles soient applicables par toutes les économies développées et sur toutes les grandes places financières. Cette position est à mon avis parfaitement justifiée et équitable.

La Belgique envisagera-t-elle d'après vos contacts de mettre des mesures pour lutter contre les rulings?

«Il a été question mercredi dernier, en commission des finances de la Chambre, de l'instauration de nouvelles mesures anti-abus. Cette piste ne me semble toutefois pas être la réponse appropriée: l'arsenal de mesures anti-abus belges existant me paraît être suffisant pour combattre les schémas d'optimisation fiscale agressifs.

Vos clients qui sont actifs de part et d'autre de la frontière se montrent-ils inquiets par les discussions en cours?

«Certains de mes clients m'ont en effet contacté en panique suite à l'affaire LuxLeaks. Il y a d'abord ceux qui ont obtenu un ruling et qui s'interrogent sur le risque qu'il soit remis en cause, par exemple par la Commission européenne, le cas échéant avec effet rétroactif. Et puis il y a aussi ceux qui envisagent d'utiliser une structure luxembourgeoise dans le futur proche. Je pense, en particulier, à une multinationale belge qui souhaiterait constituer une sous-holding au Luxembourg. De manière générale, certains clients se sont demandés si l'administration fiscale luxembourgeoise allait encore être encline à octroyer des rulings, après la secousse tellurique provoquée par l'affaire LuxLeaks. Aussi, je ne peux que féliciter l'administration fiscale luxembourgeoise d'avoir confirmé officiellement, par voie de newsletter, qu'elle continuerait à émettre de manière régulière et ininterrompue des décisions anticipées. On voit que le Grand-Duché ne veut rien perdre de sa réactivité et de son pragmatisme!»