Ingénieur industriel de formation, Marc Poncé a repris en main la division luxembourgeoise de Sodexo à un moment crucial. (Photo: Mike Zenari)

Ingénieur industriel de formation, Marc Poncé a repris en main la division luxembourgeoise de Sodexo à un moment crucial. (Photo: Mike Zenari)

Monsieur Poncé, dans la large palette des métiers de Sodexo, quels sont ceux qui sont développés au Luxembourg?

«Nous sommes fondamentalement une société de services. Nous avons fait le choix de nous différencier de nos concurrents en proposant des articles de qualité de vie, parce que nous sommes convaincus que c’est un facteur de bien-être pour les individus au travail. Et donc de performance pour les entreprises. La stratégie de Sodexo Luxembourg s’inscrit dans la philosophie du groupe et est donc orientée sur trois activités principales. Premièrement, les services sur site. Nous essayons de proposer des offres globales de services qui vont de notre métier de base, la restauration, à d’autres offres comme le gardiennage, les espaces verts, la maintenance technique, le nettoyage ou la conciergerie. Deuxièmement, les services avantages et récompenses, via les Pass repas et chèques cadeaux. Ces deux services sont fortement représentés au Luxembourg. Les services sur site touchent environ 30.000 personnes par jour et 30 à 35.000 personnes bénéficient de ‘chèques’. Enfin, nous commençons à développer le pilier des services aux particuliers à domicile.

Devez-vous tenir compte, dans votre approche, de spécificités propres au marché luxembourgeois?

«C’est un petit pays où tout se sait. Ce qu’on fait bien se sait vite; ce qu’on fait mal se sait encore plus vite. Nous devons donc être en permanence très performants parce que le bouche-à-oreille est très important. Un autre élément non négligeable est que le Luxembourg est un pays riche qui a les moyens de s’offrir des services de qualité. Par rapport à mes collègues qui gèrent d’autres pays, la situation est très différente. Eux commencent à discuter prix, puis accessoirement qualité. Nous, nous parlons avant tout de qualité et un peu de prix.

Vous gérez aussi des structures d’hébergement pour personnes âgées…

«Oui, ce n’est pas tout à fait un métier de Sodexo, mais nous nous sommes lancés dans cette niche au début des années 1990, quand le gouvernement de l’époque a voulu créer rapidement des lits de soins pour personnes âgées. Ce sont des partenariats de type public-privé à travers lesquels il fallait concevoir, construire, financer et gérer des établissements destinés à accueillir des personnes âgées médicalisées. Nous en gérons six et disposons de 600 lits. C’est d’ailleurs une activité qui représente entre 35% et 40% de notre chiffre d’affaires.

Est-ce que certains métiers ont particulièrement le vent en poupe?

«Je ne pense pas qu’il y ait un service qui se développe plus qu’un autre. Par contre, je constate une tendance plus lourde à l’externalisation de tous les services. Cela dit, le Luxembourg a toujours eu tendance à externaliser plus que les autres pays d’Europe. Mais cette tendance continue à avancer vu que tout le monde a besoin de se recentrer sur son core business et que, souvent, des économies d’échelle peuvent être réalisées par cette voie-là.

D’où vient ce souci d’externaliser?

«De nombreuses sociétés, écoles ou hôpitaux se sont rendu compte que ça ne servait à rien de vouloir s’occuper de services dans lesquels ils ne sont pas des experts. Concernant la restauration collective au sens large, un des éléments qui ont joué est l’ensemble des lois concernant l’hygiène et la sécurité alimentaire apparu après les incidents alimentaires qu’on a connus dans un passé récent. La restauration est un domaine complexe qui touche à la santé des gens. Les entreprises veulent donc s’appuyer sur des experts. Et, de fait, nous avons des équipes qui ne font que de la veille sanitaire, qui sont en contact avec l’inspection sanitaire, les administrations, etc.

Jusqu’à une époque pas si lointaine, la restauration collective était liée à un certain paternalisme de la part des employeurs.

Quelles sont actuellement les motivations pour offrir un repas à ses employés?

«Effectivement, il y a 15 ou 20 ans, on était dans des pratiques liées au paternalisme. Les entreprises se sentaient un peu obligées de participer d’une manière ou d’une autre à la restauration de leur personnel. Aujourd’hui, c’est clairement un plus que les employeurs veulent offrir à leurs employés. Si on regarde les investissements consentis par les entreprises dans les formules de restauration en faveur de leur personnel, on n’est plus du tout dans la configuration ‘soupe / plat du jour / dessert’. Il s’agit de prestations très évoluées, relativement complexes, variées et qui répondent aussi à certaines habitudes du moment. Sur le plan qualitatif, l’offre a aussi fortement évolué. On propose des possibilités variées et de qualité. En fait, le management veut faire passer le message qu’il considère son personnel. Il met donc les moyens pour qu’il soit le plus productif au travail en offrant des repas de qualité, mais aussi des services qui lui facilitent la vie professionnelle et privée. Au Luxembourg particulièrement, les entreprises ont besoin de retenir leur personnel. Il faut mettre des atouts dans son jeu pour conserver ses talents.

Ça veut donc dire qu’un restaurant de collectivité doit pouvoir se renouveler comme le fait un restaurateur traditionnel?

«Nous sommes effectivement tous les jours confrontés à la même question: que faire de différent? Nous questionnons donc régulièrement nos clients. Ils sont à l’affût de nouveautés. Ils veulent des choses jamais vues dans des restaurants d’entreprise, mais qu’ils savent exister dans la restauration classique.

Si on n’est pas capable de se renouveler, on a un souci. La restauration collective évolue donc fortement dans ce sens-là.

Un restaurant d’entreprise ne peut plus compter sur une clientèle captive?

«Dans certains cas, ça reste captif. Notamment, si vous gérez un restaurant d’entreprise dans une zone industrielle autour de laquelle il n’y a rien. Par contre, si on prend le cas d’une banque en plein centre de Luxembourg, le personnel a tout le choix qu’il veut dès qu’il sort dans la rue. Nous devons donc encore plus nous surpasser.

Il y a aujourd’hui une concurrence réelle entre la restauration publique et collective.

Une société comme Sodexo est confrontée au besoin de trouver le personnel adéquat. Connaissez-vous des difficultés de recrutement?

«Nous employons 1.800 collaborateurs, ce qui fait de nous le neuvième employeur privé du pays. Donc, effectivement, nous devons recruter entre 200 et 250 personnes par an. Rien que l’an dernier, nous avons dépassé les 260 personnes recrutées. Mais, si nos besoins sont importants, la spécificité de Sodexo vient du fait que ces emplois sont très variés. Il y a du personnel de restauration, mais aussi tous les autres métiers que nous assurons. Nous recrutons donc également des infirmières, des aides-soignantes, des kinésithérapeutes, des éducateurs, des concierges, des réceptionnistes, du personnel de nettoyage… Nous avons dû adapter nos méthodes de recrutement. Avant, nous étions assez traditionalistes, on travaillait par annonces ou via des forums pour l’emploi. Nous avons depuis peu amorcé d’autres méthodes, notamment une méthode par simulation qui porte ses fruits.

En quoi consiste cette méthode par simulation?

«Elle permet de recruter des candidats adaptés au poste de travail sans tenir compte de l’expérience ni du CV, mais en se focalisant uniquement sur les compétences et les aptitudes, en comparant les résultats des tests de candidats à ceux obtenus par notre personnel. Nous avons pu la mettre en place grâce à nos excellents rapports avec Pôle emploi, l’Adem et Eures. Depuis 2012, nous avons recruté une bonne cinquantaine de gens via cette méthode innovante. Parallèlement, il y a un an, nous avons lancé un programme d’engagement de jeunes en situation difficile. Avec l’Adem et le ministère du Travail, nous avons recruté 14 personnes et nous les avons formées pendant un an. En avril prochain, elles recevront un CDI. Cette expérience sera reconduite cette année.

Quand on travaille avec un spectre aussi large de professions, quel est le secret pour fédérer les gens autour d’un même projet?

«Ce n’est pas toujours évident. La difficulté d’une entreprise comme la nôtre est que nous sommes présents sur une centaine de sites répartis sur l’ensemble du territoire. Il faut donc faire en sorte que le personnel employé s’identifie à Sodexo et pas à nos clients. Or, ceux-ci, lorsqu’ils en sont contents, ont tendance à les assimiler à leur propre personnel. Il faut donc trouver un juste milieu. Nos employés sur site doivent évidemment être orientés clients, mais ils doivent aussi faire partie de notre entreprise. Pour faire le relais, nous comptons beaucoup sur les district managers qui chapeautent plusieurs sites. Ils sont le ciment de l’entreprise. Nous devons aussi clairement faire comprendre que le capital humain, c’est notre capital. Nous ne devons jamais oublier de reconnaître le travail que les gens font tous les jours sur tous les sites. Pour mieux consolider l’esprit Sodexo, nous favorisons par exemple la promotion interne, lorsqu’un remplacement se présente.

Le Luxembourg est un mix de nombreuses cultures. Comment gérez-vous cela?

«Ma devise est de dire que si tout le monde me ressemblait dans l’entreprise, elle n’existerait plus depuis très longtemps. 

La mixité pour moi, c’est une incroyable source d’innovation, de développement. 

Nous nous remettons en question tous les jours parce que les gens ont différentes manières de penser. La diversité est un élément fort d’une société. Au départ, ça peut faire un peu peur, mais ça apporte beaucoup plus de réponses à des problèmes que cela en crée. Nous recensons 42 nationalités qui viennent des cinq continents; 35% de nos cadres sont des femmes alors que, a priori, nous sommes plutôt dans des métiers d’hommes.

Dans des groupes internationaux, on constate de plus en plus de concentrations dans des structures Belux, voire Benelux. Vous maintenez le choix d’une structure nationale au Luxembourg. C’est important?

«Le groupe est en train de bouger. Auparavant Sodexo était plutôt organisé en continents. Ainsi, le Luxembourg dépendait de la région Europe occidentale, en dessous de laquelle on trouvait le Benelux puis le Luxembourg. Cette organisation est en train d’évoluer. Mais plutôt que de retirer les patrons de pays, on supprime la structure Europe. Nous resterons donc intégrés au Benelux, mais qui rapportera directement à la structure Monde. En fait, nous avons décidé de créer 14 régions dans le monde, dont le Benelux. Il est évident que nous profitons tous de notre organisation mondiale, il y a des synergies à aller chercher. Mais le neuvième employeur du Luxembourg ne peut pas être laissé sans patron alors que c’est lui qui fait le lien entre les clients, l’administration, le personnel, etc. Le groupe est bien conscient qu’un DG sur place est un plus.

Par contre, quand vous avez été engagé, en 1989, Sodexo, qui était au Luxembourg depuis 1980, hésitait à rester…

«Oui, pendant 10 ans le chiffre d’affaires n’avait quasi pas décollé. Le groupe s’est donc rendu compte qu’il fallait un vrai patron à Luxembourg, qu’il ne pouvait pas se contenter de déléguer le marché à des gens qui venaient occasionnellement de Belgique. Quand je suis arrivé, l’activité a commencé à décoller et a pris une belle vitesse. Il fallait quelqu’un qui connaisse le marché, les gens et puisse percevoir les opportunités. C’est peut-être plus difficile ici. Tout le monde se connaît, il faut donc être intégré. Par contre, une fois que les gens vous font confiance, les relations durent bien plus longtemps qu’ailleurs. La durée de nos contrats n’a rien à voir avec ce que l’on voit en Belgique ou en France. Pour autant, évidemment, que l’on reste capables de s’adapter aux souhaits des clients.»

Parcours
Un aller simple
Marc Poncé est ce qu’on appelle un fidèle. Il est entré chez Sodexo Luxembourg en 1989 en tant que directeur général et occupe toujours les mêmes fonctions 25 ans plus tard.

Originaire d’Arlon, le directeur général de Sodexo affiche ce qu’il appelle lui-même «un parcours on ne peut plus simple». À la suite d’études à l’Isi de Pierrard (Virton) où il obtient un diplôme d’ingénieur industriel (1980), il entre d’abord au sein de la société luxembourgeoise Lamesch. Il y a géré le département Recyclage. Il effectue ensuite un passage assez rapide chez Elco, une autre firme grand-ducale spécialisée dans les installations électriques et de ventilation. «J’étais dans mon domaine, mais ça ne m’a pas beaucoup plu», admet-il rétrospectivement. Bien que se qualifiant de bricoleur, aimant faire des choses de ses mains, il s’est rapidement découvert de plus grandes affinités avec les métiers du commerce. Ainsi, lorsqu’il apprend que Sodexo, présent au Luxembourg depuis 1980, se cherche un directeur général, il postule et obtient le poste. «Le haut management hésitait entre poursuivre avec un manager local ou arrêter les frais», explique Marc Poncé. Depuis lors, les résultats ont grimpé en flèche et la question du maintien de la division luxembourgeoise ne se pose même plus.