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Plusieurs directeurs des ressources humaines dans le secteur financier ont choisi de quitter la sphère de l’entreprise pour proposer leurs compétences autrement. Durcissement du régime, changement d’approche, perte d’autonomie, la fonction a changé. Elle doit désormais répondre à de nouveaux enjeux, exige d’autres compétences et une autre forme de créativité.

Depuis environ trois ans, au Luxembourg, on a pu voir plusieurs hauts responsables des ressour­ces humaines de divers établissements financiers quitter leur poste, afin de proposer leurs compétences en tant qu’indépendants ou consultants dans des cabinets de conseil.

Quelle a été la cause de ces mouvements con­sta­tés sur la Place ? « Avec la crise, le climat s’est durci au sein de la place financière, avance Thierry Plompen, ancien deputy HR director à la Banque de Luxembourg, et désormais consultant en ressources humaines chez CoProcess. D’une situation où l’on recrutait beaucoup et facilement pour combler les besoins en compétences, les banques sont passées à une autre, où les embauches ont été fortement ralenties, voire gelées. Dans les cas les plus difficiles, il a même fallu procéder à des plans sociaux. De nombreux responsables de ressources humaines ne se sont plus retrouvés dans cet environnement bien différent de celui qu’ils connaissaient précédemment. »

Si cela fait partie du métier de gestionnaire en ressources humaines, mettre en place des plans sociaux exige d’autres compétences que celles requises pour, par exemple, développer une politique de recrutement performante. «  Les processus de licenciement, observés au sein des institutions financières luxembourgeoises, constituent en effet quelque chose d’assez nouveau, confirme Olivier Noblot, président du POG, communauté fédérant les responsables RH au Luxembourg, et managing director de Masselotte, cabinet de conseil en stratégies et organisation qu’il a fondé. Bien sûr, on attend d’un DRH qu’il puisse aussi assumer ce pan du métier. Mais je pense toutefois qu’ici, au Luxembourg, sur une place restreinte où tout le monde se connaît, certains ont éprouvé des difficultés à se placer dans cette position. »

Question de marges de manœuvre

Au-delà des exigences en terme de downsizing – réduction de taille et donc de coûts –, souvent imposées par un siège central situé ailleurs qu’à Luxembourg, le métier dans son ensemble s’est transformé. «  Les RH sont passées d’une politique d’expansion, avec des recrutements en nombre, à une autre pour laquelle les maîtres-mots sont l’optimisation, la vérification et le contrôle des coûts, pouvant, dans les cas les plus délicats, entraîner des licenciements, explique Thierry Schuman, membre du comité de direction de BGL BNP Paribas, en charge des ressources humaines pour le groupe au Luxembourg. Ce sont deux conceptions du métier très différentes qui n’exigent pas les mêmes compétences et qualités. On peut comprendre que certains de mes collègues, dès lors, ne s’y sont pas retrouvés. »

Thierry Schuman, lui, a choisi de rester à son poste, dans la mesure où le groupe bancaire lui laisse « toute la liberté nécessaire » dans la manière d’appliquer les politiques RH. « Cette autonomie, le fait de pouvoir participer à la prise de décisions, de pouvoir réfléchir et développer des solutions adaptées, pour répondre aux objectifs du groupe tout en tenant compte des spécificités du marché local est source de motivation et permet de préserver tout l’attrait de la fonction, explique-t-il. Mais certains de mes collègues ont vu leur autonomie diminuer, leurs marges de manœuvre se réduire suite à la crise. Si je m’étais retrouvé dans une position où je n’avais plus cette liberté, sans doute aurais-je participé au mouvement.  »

C’est un des effets souvent constatés dans des périodes plus difficiles : les vis se resserrent, les contrôles se durcissent, les marges de manœuvre des filiales se réduisent. « Un des changements qui s’est opéré au niveau du métier réside, pour de nombreux cas, dans le passage d’une gestion de groupe très décentralisée à une autre plus centralisée. Dans certains cas, cela se traduit par une perte d’autonomie réelle des acteurs locaux, dans d’autres, par un partage des responsabilités globales du groupe entre les acteurs dispersés en Europe, estime Christian Scharff, associé Human Resource Services chez PwC Luxembourg depuis 2010, et auparavant membre du comité de direction de Dexia-BIL, en tant que responsable des ressources humaines. Dans certains groupes, les acteurs locaux ont perdu en autonomie sur un certain nombre de sujets, mais d’un autre côté, peut-être ont-ils gagné en responsabilité sur des projets qui concernent l’entièreté du groupe. »

Des compétences, jusqu’à la surqualification

Comme le précise Christian Scharff, les motivations de départ de chacun sont variées : les changements d’orientation peuvent aussi être guidés par une envie personnelle de se lancer dans une autre carrière, d’entreprendre, d’explorer d’autres horizons, qu’il y ait eu crise ou non. « On ne peut pas parler de fuite de cerveaux ou de fuite de responsables en ressources humaines, même si l’on a constaté certains mouvements sur la place, précise-t-il. J’ai par ailleurs le sentiment que, dans de nombreux cas, les compétences en ressources humaines au Grand-Duché ont évolué positivement, que les personnes en place dans ces institutions ont, aujour­d’hui plus qu’hier, une vraie fonction de gestionnaires RH et non plus seulement de gestion administrative. »

Pour Thierry Plompen, les cadres des ressources humaines qui quittent leurs fonctions au sein d’une institution bancaire, le font généralement autour de 40 ans. Ils franchissent souvent le pas dans le but de reprendre leur vie professionnelle en main, de redonner du sens à leur activité et de mettre l’expérience capitalisée au service d’autres contextes et objectifs. « Après avoir suivi des formations spécialisées, nombre d’entre eux se positionnent ensuite sur le marché en tant que coaches ou dispensent des formations. D’autres encore effectuent des remplacements temporaires de DRH, prenant des fonctions par intérim. Certains enfin choisissent la voie du conseil en RH, notamment dans les domaines de l’accompagnement du changement ou de la gestion des compétences. Ils constituent une réserve de compétences flexibles, prête à venir épauler et soutenir les DRH en place dans les différentes institutions. »

Besoin de véritables relais

La perte d’indépendance au sein des établissements financiers, due notamment à des mouvements de centralisation, a placé certains responsables RH dans des positions d’exécutants, leur permettant moins de faire valoir leurs compétences. « Les fonctions sont moins sûres qu’auparavant, poursuit Olivier Noblot. Certains DRH sont aujourd’hui surqualifiés pour exercer des fonctions de mise en œuvre de plans sociaux décidés jusque dans les moindres détails au niveau de la maison mère et se voient ainsi menacés. Parmi les mouvements constatés au Luxembourg, il y a eu des départs volontaires. À d’autres, on a fait comprendre qu’il serait judicieux de partir. »

Pourtant, dans un contexte international, avec des modes de gestion plus centralisés, de l’avis de Christian Scharff et Nicolas Lefèvre, associé PwC’s Academy, il y aura toujours des marges de manœuvre que les DRH en place pourront exploiter.« On constate que des initiatives qui ont pris corps localement, en matière de ressources humai­nes, ont pu être déclinées à travers des groupes à l’échelle internationale. Aujourd’hui, les gestionnai­res RH peuvent se poser en réels partenaires stratégiques pour le business, explique Christian Scharff. Pour cela, la diplomatie, la persuasion et la prise d’initiative font partie des talents requis. Il faut pouvoir négocier des marges de manœuvre ou se les accorder. Mais aussi jouer sur les différents tableaux, à l’échelle locale mais aussi à celle du groupe dans son ensemble. »

D’autre part, il faut que les DRH se positionnent en véritables relais, sur lesquels les groupes doivent pouvoir s’appuyer, pour prendre des décisions. À eux de trouver les moyens d’appliquer une politique globale à l’échelle locale. « Un plan de restructuration décidé par un anglo-saxon, peu au courant de la législation en vigueur localement, aura toutes les difficultés à être appliqué, assure Thierry Schuman. La préservation de l’autonomie des filiales implantées localement, dans cette perspective, est importante. »

Et la formation est essentielle. Elle doit permettre aux dirigeants actuels de mieux appréhender les nouveaux besoins et exigences. « Aujour­d’hui, il faut que les responsables RH locaux puissent acquérir les compétences dont l’organisation, au niveau du groupe, aura besoin à l’avenir. Aujourd’hui, le métier est sans doute de plus en plus complexe, mais certainement plus passionnant, assure Nicolas Lefèvre. Le DRH, malgré une conjoncture difficile, doit mener des politiques différentes dans un univers qui a changé. La formation doit lui permettre de se faire entendre au cœur du groupe, de préserver son autonomie en développant de nouveaux projets stratégiques, de transformation et d’innovation. »

Mais, au fond, les DRH ont-ils encore le temps et l’opportunité de créer, de prendre des initiatives nouvelles ? « En entreprise, le département des ressources humaines occupe une position délicate, entre salariés et direction. Le contexte économique se ressent alors de façon plus amplifiée au sein du département. Les décisions de réorganisation, de réduction ou d’abandon d’activité finissent toujours par aboutir au DRH, explique Thierry Plompen. Et en période de crise, le métier est plus tendu. »

Cette pression pourrait-elle, au moins partiellement, expliquer le faible nombre de dossiers de qualité introduits dans le cadre du Grand Prix paperJam - RH, annulé faute de substance ? « Il est vrai que, actuellement, les gestionnaires de ressources humaines que j’ai eu l’occasion de rencontrer travaillent dur et n’ont peut-être pas le temps de préparer des dossiers dans ce cadre précis », assure Olivier Noblot.

L’urgent d’abord, l’innovation ensuite

La conjoncture est sans doute moins favorable à l’échange, aux réflexions sur les métiers à même de nourrir de nouveaux projets. « Dans le cadre d’un marché qui se consolide, ou tout du moins qui a connu d’importants changements, le DRH a sans doute d’autres priorités, confirme Thierry Schuman. Il faut d’abord travailler sur l’urgent et sur l’important, avant de tenter de développer de nouvelles choses. Pour certains, cette urgence, cela peut être la mise en œuvre de plans sociaux – ce qui ne s’est pas appliqué chez nous, qui avons vécu une intégration réussie des différentes composantes d’un groupe dans une structure consolidée. »

La volonté d’innover, dans le chef des DRH, n’a pas pour autant disparu. Au contraire. Mais dans un monde qui a changé, sans doute faut-il un temps pour s’adapter avant d’innover. « Aujour­d’hui, il faut travailler sur de nouveaux aspects, comme l’optimisation ou la réduction de coûts, le gain en flexibilité pour le personnel comme pour l’entreprise. Les enjeux actuels exigent d’être créatifs », assure Thierry Schuman.

On ne peut toutefois pas comparer l’innovation RH à celle constatée dans le secteur des technologies de l’information et de la communication. « L’innovation dans le domaine RH nécessite un temps de maturation plus long. Et plus la société dans laquelle est initiée un projet est importante, plus c’est compliqué », assure Olivier Noblot. Mais tous se veulent optimistes, des projets novateurs continueront à prendre corps au Luxembourg. « Les compétences sont là et les enjeux, nombreux, vont exiger des DRH de se réinventer, de faire preuve de créativité : faire mieux avec moins de moyens, continuer à fidéliser, faire progresser et mobiliser les collaborateurs, rester attractif pour les profils recherchés... », conclut Thierry Plompen.

 

Marché - Coaches en pagaille

L’offre de services en ressources humaines s’est largement élargie ces dernières années. Au-delà des mouvements constatés au niveau des DRH, de manière générale, de nombreux travailleurs actifs dans les ressources humaines ont décidé de tenter l’aventure en tant qu’indépendants. « La grande majorité s’est positionnée dans le coaching. L’accompagnement personnel, sans doute, est un domaine vers lequel ceux qui ont capitalisé une expertise RH se tournent naturellement. Beaucoup se sont donc lancés, voire improvisés, en tant que coach », explique Olivier Noblot, président du POG.
Conséquence : ils sont nombreux, peut-être trop nombreux. D’aucuns évoquent aujourd’hui un marché saturé, avec des acteurs qui ne parviennent pas à se différencier. « Ils sont moins à avoir développé des services en conseil et en développement stratégique et organisationnel, poursuit le président du POG. Sans doute parce que ces métiers doivent faire appel à des compétences élargies au-delà de la gestion des ressources humaines, comme la définition d’une vision d’entreprise et d’un business model, le pilotage et la mise en œuvre d’organisations et de solutions alignées sur une stratégie d’entreprise. » Sur ce créneau précis, au cœur duquel on peut soutenir les dirigeants d’entreprise sur des projets organisationnels d’envergure, il reste de la place.

Rémunération - Fonctions moins attractives

Il est toujours délicat de parler salaire au Grand-Duché. Une des raisons qui a peut-être poussé plusieurs responsables de ressources humaines à se positionner autrement réside dans la perte d’attractivité salariale de la fonction de DRH au cœur de la place financière. Thierry Schuman, qui est pourtant resté en place, évoque notamment de nouvelles réglementations relatives à la rémunération des dirigeants dans le secteur bancaire. « Aujourd’hui, une part de la rémunération variable octroyée est reportée sur plusieurs années et dépend en partie des résultats du groupe, de sa cotation boursière, explique-t-il. Dans une conjoncture difficile, peu favorable aux acteurs bancaires, c’est donc la rémunération qui se dégrade. Aujour­d’hui, la position de DRH est plus difficile à tenir, les business model ont changé et les rémunérations sont moins sûres. On peut comprendre que certains soient attirés vers d’autres horizons. » D’un autre côté, dans la consultance, les fonctions sont très attractives de même que les rémunérations. En tant qu’indépendant, beaucoup ont fait leur compte, s’assurant de la réussite de leur projet, arrivant parfois même à préserver un contrat avec leur ancien employeur.