Au-delà de leur aspect spéculatif, le réel intérêt des cryptomonnaies serait donc technologique. (Illustration: José Carsí / Maison Moderne)

Au-delà de leur aspect spéculatif, le réel intérêt des cryptomonnaies serait donc technologique. (Illustration: José Carsí / Maison Moderne)

Certains investisseurs en herbe, qui ont cru profiter de l’opportunité du siècle en acquérant du bitcoin, s’en sont mordu les doigts. Après s’être envolée de manière spectaculaire tout au long de l’année 2017, la mère des cryptomonnaies s’est fracassée en fin d’année et sur les premiers mois de 2018. «Le problème, c’est que les investisseurs ont souvent tendance à être alléchés par les possibilités de gains faciles, sans prendre en compte les importants risques de pertes qui existent par ailleurs, indique Emilie Allaert, head of operations and projects à la Luxembourg House of Financial Technology (Lhoft). Selon nous, ce ne sont pas tant les possibilités d’investissement qui sont intéressantes que la manière dont la technologie sous-jacente à ces cryptomonnaies – la ‘blockchain’ – permet de faciliter une série de procédures, comme la levée de fonds.»

En permettant de se passer d’intermédiaires, la «blockchain» accélère en effet l’échange de cash tout en réduisant les coûts de traitement de ces opérations. «Cette technologie, à terme, rendra les transactions plus efficaces pour tous les acteurs, précise Pascal Denis, head of advisory chez KPMG. Et cette dynamique sera encore accélérée par l’adoption de réglementations telles que PSD2. Il y a pour moi une vraie convergence entre la technologie blockchain et l’ouverture du monde bancaire que permettront ces réglementations.»

La première étape d’une vraie (r)évolution

Au-delà de leur aspect spéculatif, le réel intérêt des cryptomonnaies serait donc technologique. «Il y a là un véritable sujet de fond, confirme Natacha Oskian, head of marketing & BD chez Allen & Overy. L’adoption de la blockchain et d’autres protocoles de registres distribués représente la première étape d’une série d’évolutions futures. Les smart contracts, qui permettent la création de nouveaux services, ou la possibilité d’échanger des données entre les machines dans le domaine de l’internet of things via une technologie basée sur le système de graphe orienté acyclique (‘DAG – Directed Acyclic Graph’) ne sont que les premiers jalons de cette évolution.»

Une évolution que certains n’hésitent pas à qualifier de révolution. «La dynamique créée par l’émergence des cryptomonnaies peut être comparée à celle vécue lors de l’apparition des bourses. On assiste à une réelle redistribution du marché, avec la naissance de nouvelles pratiques», affirme ainsi Emilie Allaert.

Pascal Denis, pour sa part, établit une autre comparaison. «Les premières pièces de monnaie ont remplacé des biens ou denrées que l’on troquait, et qui avaient une valeur propre, indique-t-il. Le bitcoin et les autres cryptomonnaies font la même chose: elles figurent, virtuellement, une certaine valeur. La seule différence, c’est que les cryptomonnaies ne disposent pas d’un étalon qui permet de garantir leur valeur intrinsèque et de protéger ainsi les investisseurs. Pour l’or ou l’argent, la valeur du métal constituait cette garantie.»

Comment réguler les cryptomonnaies?

Encadrer les cryptomonnaies, les réguler pour protéger l’investisseur, voilà un impératif qui se fait brûlant, notamment depuis que plusieurs plateformes asiatiques permettant l’échange de cryptomonnaies ont été littéralement braquées. Mais encore faut-il trouver un consensus sur la manière de réglementer ce secteur. «Il existe déjà un cadre légal qui pourrait s’appliquer en partie aux cryptomonnaies. La difficulté, c’est de l’adapter à ce nouveau phénomène qui dépasse les frontières et de trouver un accord global sur le sujet. La réflexion est déjà lancée à l’international», explique Natacha Oskian. «Il faut aussi veiller à ne pas limiter la capacité d’innovation que représentent les cryptomonnaies et la blockchain en mettant au point une réglementation trop restrictive», enchérit Emilie Allaert.

Il s’agit donc de trouver le bon équilibre. Mais, pour Pascal Denis, cela ne pourra pas se faire en utilisant les réglementations existantes. «Il est inconcevable de réguler les cryptomonnaies comme on le fait pour le système financier classique, explique-t-il. Il faut inventer une nouvelle forme de réglementation, davantage basée sur la technologie. Celle-ci sera forcément en retard sur la réalité car les différents acteurs chargés de mettre en place ce cadre doivent d’abord s’informer sur le sujet. Pour moi, il est important de favoriser l’émergence de nœuds forts dans la blockchain qui soutient la cryptomonnaie, au-delà des principaux nœuds actuellement retail et distribués majoritairement en Inde ou en Chine.» Ainsi, le concept de «FundsDLT» développé par KPMG, InTech et Fundsquare pour la distribution de fonds d’investissement, s’appuie sur une «blockchain» luxembourgeoise. Les nœuds indispensables au fonctionnement de la solution sont situés au sein de la Bourse de Luxembourg, ce qui apporte une certaine confiance aux investisseurs. 

Certaines de ces monnaies vont certainement disparaître

Natacha Oskian, head of marketing & BD chez Allen & Overy

Autre élément de régulation qui permettrait d’éviter une chute du «cours» de ces monnaies: le maintien d’une valeur réelle équivalente à celle de la cryptomonnaie. «En Israël, la bourse du diamant va créer sa propre cryptomonnaie qui permettra d’échanger ces pierres précieuses, illustre Pascal Denis. La fluidité, la facilité et la rapidité des échanges en seront ainsi améliorées, avec en prime une forme d’étalonnage de la monnaie. Comment? En maintenant dans des coffres une valeur étalon de la cryptomonnaie en circulation, sous forme de diamants.»

Ouverture et vigilance

En l’absence d’une véritable réglementation globale sur le sujet, chaque pays a commencé à avancer ses pions. C’est le cas du Luxembourg, où plusieurs sociétés actives dans le secteur des cryptomonnaies, comme bitFlyer, se sont vu accorder une licence d’établissement de paiement par la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF). Faut-il faire plus pour accueillir des sociétés de ce type sur le territoire grand-ducal? «Le Luxembourg doit évidemment pouvoir se positionner par rapport aux cryptomonnaies, mais cela ne signifie pas qu’il faille dire ‘oui’ à toutes les sociétés actives dans le secteur et qui souhaitent s’installer ici, prévient Emilie Allaert. Il faut rester très prudent et, à cet égard, je trouve que la CSSF a une bonne attitude. Elle n’interdit pas la création d’ICO par exemple, une méthode de levée de fonds fonctionnant via l’émission d’actifs numériques échangeables contre des cryptomonnaies. Mais elle fait le nécessaire pour protéger les investisseurs en s’assurant que la technologie qui soutient l’activité est suffisamment solide.»

Pour Pascal Denis également, continuer à attirer les sociétés actives dans le domaine des cryptomonnaies est une nécessité. «On ne peut pas freiner l’innovation, explique-t-il. On n’arrêtera donc pas le développement des cryptomonnaies. Il faut pouvoir enrichir l’écosystème luxembourgeois avec des sociétés actives dans le secteur afin de rester en première ligne dans ce domaine.»

L’avenir des cryptomonnaies

Les cryptomonnaies vont-elles poursuivre leur développement? À l’heure actuelle, personne ne peut le dire. Toutefois, on peut se risquer à évoquer quelques scénarios probables. Pour Natacha Oskian, «certaines de ces monnaies vont certainement disparaître. Mais les différentes technologies qu’elles auront contribué à mettre en place continueront à être utilisées. Elles auront ouvert certaines portes, rendu possibles de nouvelles choses.» Une situation comparable à la bulle internet qui a secoué les marchés au début des années 2000: elle a financé l’émergence d’une technologie aujourd’hui au cœur de nos vies quotidiennes.

On ne peut toutefois pas exclure que, face à la régulation croissante des cryptomonnaies «mainstream», de nouvelles monnaies virtuelles soient créées de façon à échapper à toute réglementation. «Les monnaies virtuelles disposant d’un bon cadre, capables d’apporter la confiance nécessaire, vont certainement tirer leur épingle du jeu, estime Pascal Denis. Mais, parallèlement, de nombreuses nouvelles représentations monétaires vont éclore. Au-delà des monnaies servant les intérêts de groupes à la limite de la légalité, on peut imaginer l’émergence d’autres écosystèmes d’échange, bien légitimes. Par exemple, des fabricants de voitures pourraient lancer une monnaie pour les échanges de cash entre toutes les parties prenantes au processus de confection de leurs véhicules. Les possibilités sont très nombreuses.»