Nicolas Hurlin (à gauche) est founding partner de The Recruiter et Eric Busch (à droite) est CEO & founder de Nexten.io. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Nicolas Hurlin (à gauche) est founding partner de The Recruiter et Eric Busch (à droite) est CEO & founder de Nexten.io. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Pourtant, selon Nicolas Hurlin, founding partner de The Recruiter, et Eric Busch, CEO & founder de Nexten.io, le Grand-Duché, fort de son climat socio-économique favorable et de son environnement de vie agréable, regorge d’atouts pour attirer les talents.

Selon les dernières statistiques de l’Adem, plus de 1.400 postes étaient à pourvoir dans l’ICT au Luxembourg l’an dernier, les métiers liés aux études et au développement informatiques étant ceux pour lesquels l’agence a recensé le plus d’offres. Nombreux sont les employeurs qui ne parviennent pas à trouver de candidats pour répondre à leurs besoins. Cette situation peut-elle, à terme, représenter un frein au développement du secteur et du pays, en général?

Eric Busch: «Ce chiffre est en effet important au regard du nombre total de postes dans l’ICT au Luxembourg (plus de 15.000) et pourrait, s’il se maintient, constituer un frein au développement économique futur du Luxembourg. Quelques sociétés ont d’ailleurs déjà quitté le territoire grand-ducal, car elles ne parvenaient pas à y trouver les ressources nécessaires à leur business. Nous manquons cruellement d’ingénieurs, par exemple. L’Université du Luxembourg étant assez récente, nous avons longtemps «outsourcé» cette formation vers nos pays voisins. Il faut désormais parvenir à former davantage de spécialistes ICT sur notre territoire pour pouvoir répondre aux besoins du marché. 

Nicolas Hurlin: «Pour autant, il faut se rendre compte que ce manque de compétences est loin de ne toucher que le Luxembourg. La plupart des autres villes ou pays engagés dans un processus de transformation digitale et ayant le même type de besoins sont eux aussi confrontés à cette difficulté. Nous sommes un peu tous dans le même bateau, chacun cherchant à séduire les candidats disponibles sur le marché de l’emploi. 

Le Grand-Duché propose à ses résidents un certain équilibre entre vie privée et vie professionnelle, un bien-être social et économique supérieur à la moyenne européenne.

Eric Busch, CEO & founder de Nexten.io

Quelles sont les forces du Luxembourg, quels sont les atouts qui lui permettent d’attirer des talents? 

N.H.: «Alors que dans d’autres pays, il faut pouvoir parler la langue officielle, seul l’anglais suffit au Grand-Duché pour de nombreux postes dans le secteur ICT. Cette situation assez unique permet d’ouvrir beaucoup plus le champ des possibles en matière de recrutement, d’aller chercher des ressources à travers le monde entier. Le Luxembourg offre également de plus en plus de jobs d’envergure européenne, voire internationale, permettant de capter davantage l’attention des profils seniors. 

E.B.: «D’un point de vue plus général, le Grand-Duché propose à ses résidents un certain équilibre entre vie privée et vie professionnelle, un bien-être social et économique supérieur à la moyenne européenne. Même si l’on parle beaucoup des embouteillages, par exemple, ils sont en réalité bien plus importants à Londres, Paris ou même Lyon. Le pays bénéficie de services sociaux extraordinaires, uniques au monde, que ce soit au niveau des soins de santé, des transports en commun, des crèches et maisons relais, des retraites… Il y a aussi une vraie communauté d’expatriés qui s’est créée à Luxembourg et qui rend la ville multiculturelle. Pour un jeune ou une famille qui arrive de l’étranger, cette diversité est extrêmement riche et permet de rapidement trouver ses repères.

N.H.: «La position géographique du Luxembourg, au cœur de l’Europe, est très intéressante d’un point de vue culturel. En quelques heures, on peut être en Forêt-Noire allemande, à la côte belge, à Paris, à Stuttgart… Peu de pays peuvent se targuer d’une aussi bonne situation. Tous ces atouts nous permettent de séduire et recruter des personnes là où se trouvent les pôles de talents, dans nos pays voisins, mais également en Europe de l’Est et du Sud, ou encore au Canada et aux États-Unis. Si les gens ont parfois du mal à faire le pas pour venir au Grand-Duché, globalement, une fois qu’ils sont là, ils n’en repartent pas.

A contrario, quelles sont les difficultés auxquelles le Luxembourg doit faire face dans son recrutement de profils ICT? 

E.B.: «D’un côté, se tourner vers le Grand-Duché, pour un jeune diplômé d’un pays tel que la France, l’Allemagne ou le Canada, n’est pas forcément un réflexe. Luxembourg ne figure en effet pas sur la cartographie des villes auxquelles les candidats pensent en premier lieu. D’un autre côté, certains employeurs peinent encore à comprendre qu’il faut aller vite, qu’il faut adapter nos processus de recrutement à la situation du marché en pénurie. Le recrutement et l’engagement doivent ainsi être bouclés dans un délai de deux à quatre semaines si l’entreprise veut pouvoir sélectionner la bonne personne.

N.H.: «Malheureusement, nous devons parfois lutter contre des informations erronées qui circulent sur internet et ne jouent pas en faveur du Luxembourg. Certaines plates-formes proposent, par exemple, de calculer automatiquement le ratio coût de la vie/salaire. Les données prises en compte pour ces calculs se concentrent dans certains cas uniquement sur le centre de Luxembourg-ville et ne reflètent pas la vie dans la Grande Région. En tant que cabinet de recrutement, nous devons alors contrer ces informations, en prenant bien le temps d’expliquer la situation réelle au Grand-Duché, au delà de ce qui est visible sur le net ou ancré dans les stéréotypes. 

Même si le marché est plus petit au Luxembourg, toutes les fonctions liées au marketing digital (...) sont elles aussi difficiles à trouver, car elles exigent des compétences hybrides.

Nicolas Hurlin, founding partner de The Recruiter

À l’heure actuelle, quels sont les profils les plus recherchés? Et les plus difficiles à trouver?

N.H.: «Les demandes pour des postes liés à la sécurité informatique explosent, qu’il s’agisse de l’aborder d’un point de vue technique ou réglementaire. Ce marché s’était un peu calmé ces derniers temps, mais il est à nouveau très tendu. Nous avons également beaucoup de difficultés à recruter des commerciaux dans le secteur informatique, car, contrairement à d’autres postes, ceux-ci exigent la plupart du temps de parler plusieurs langues. Même si le marché est plus petit au Luxembourg, toutes les fonctions liées au marketing digital – chefs de produit, responsables de contenu, spécialistes du marketing automation… – sont elles aussi difficiles à trouver, car elles exigent des compétences hybrides. 

E.B.: «Parallèlement, on constate une progression importante concernant les profils spécialisés dans le design informatique (UX et UI designers). Avec la montée en puissance de l’analyse data et de l’intelligence artificielle, les profils de data scientists commencent eux aussi à être recherchés. Enfin, les développeurs constituent sans aucun doute les profils les plus demandés, les plus difficiles à trouver et à convaincre.

Quel est le positionnement du Grand-Duché du point de vue salarial dans le secteur ICT? 

E.B.: «Les salaires ont bien progressé ces dernières années. Les entreprises ne proposent plus de postes de développeurs à 40-45.000 euros (brut annuel) si le candidat possède un peu d’expérience, c’est-à-dire entre trois à cinq ans. On tourne davantage autour des 50.000 à 65.000 euros. Un même développeur gagnera entre 120.000 et 140.000 euros à San Francisco ou New York, mais entre 80.000 et 90.000 euros à Zurich et entre 70.000 et 80.000 euros à Londres. Le Luxembourg n’est donc pas si mal situé par rapport à ces grandes villes européennes. 

N.H.: «Pour les profils seniors ou plus pointus, tels que les développeurs sur mobile par exemple, on peut même aller jusqu’à 80.000 euros. Si la personne est employée dans une banque, son salaire sera d’autant plus élevé. Rares sont les banques qui recrutent toutefois encore en direct. Elles ont externalisé leur département informatique dans des sociétés, des filiales dédiées, afin de ne plus être dépendantes des conventions bancaires pour la rémunération de leurs employés ICT. Si la qualité de vie au Luxembourg représente un atout, elle peut également se retourner contre nous. Nous devons en effet faire face à une concurrence accrue venant de certains autres pays européens, où les salaires dans l’ICT sont élevés comparativement au coût global de la vie: logement, alimentation, habillement, loisirs... Un développeur, par exemple, pourra posséder un train de vie supérieur en Pologne par rapport au Luxembourg. Ici, les collaborateurs sont employés pour une rémunération équivalente à celle en vigueur à Paris, Bruxelles ou Berlin quand on met en perspective le salaire et le coût de la vie. 

Les entreprises doivent trouver des candidats à l’étranger. Le recruteur propose donc pratiquement toujours un package de relocalisation.

Nicolas Hurlin, founding partner de The Recruiter

Aujourd’hui, le salaire n’est plus le seul critère pris en compte par un candidat dans le choix de son futur employeur. Quels sont les autres avantages que les recruteurs sont prêts à proposer à leurs collaborateurs pour susciter leur intérêt?

N.H.: «Parce que le marché est en pleine pénurie, les entreprises doivent trouver des candidats à l’étranger. Le recruteur propose donc pratiquement toujours un package de relocalisation. Celui-ci peut être basique et comprendre uniquement le remboursement des frais de déplacement depuis l’ancien lieu de résidence du collaborateur jusqu’à Luxembourg. Mais dans la plupart des cas, ce pack est plus élaboré.

Il intègre alors, outre la prise en charge des coûts liés au voyage, un accompagnement pour le logement au cours des premières semaines ou premiers mois, via le paiement d’un hôtel ou la location d’un appartement, la recherche d’une crèche ou d’une école pour les enfants, une aide pour effectuer les démarches administratives nécessaires… Si l’employeur est fermé à ce type de propositions, cela devient extrêmement difficile de recruter. Parce que les candidats sont extrêmement sollicités et parce qu’il s’agit pour certains d’un vrai projet de changement de vie, impliquant souvent le déménagement de toute la famille, l’accompagnement humain et le travail de promotion du pays par le recruteur sont essentiels. 

La marque employeur est primordiale.

Eric Busch, CEO & founder de Nexten.io

E.B.: «Nous ne sommes plus dans une relation à sens unique, où c’est le patron qui décide d’embaucher quelqu’un. Nous sommes, dans l’ICT du moins, dans une logique gagnant-gagnant, dans un jeu de sélection mais également de séduction. Le marché est totalement «candidate driven». Une annonce publiée sur un job board n’apportera aucune candidature qualifiée: les bons développeurs n’y répondent plus, cette approche de recrutement est complètement dépassée. Les développeurs reçoivent en effet en moyenne une dizaine de sollicitations par semaine, par mail ou téléphone. Ils ont l’embarras du choix.

Dans ce contexte, la marque employeur est primordiale. Au-delà du salaire, c’est principalement ce que l’on appelle la «work-life balance» qui permet aux candidats d’accepter ou de refuser un nouveau poste. Trois critères précèdent ainsi le salaire dans le processus de décision: la flexibilité offerte par l’employeur (horaires flexibles, télétravail…), l’intérêt des projets de l’entreprise, ainsi que le fait de pouvoir évoluer et travailler avec des «smart people». Pour attirer de futurs collaborateurs, il faut donc parvenir à vendre la société en toute transparence, comme on vendrait son propre produit ou service.»