Partisan d’une justice plus ouverte et plus à l’écoute des justiciables, Jean-Claude Wiwinius entend accélérer la modernisation en cours en revoyant les procédures et en s’aidant des nouvelles technologies. Objectif : efficacité et qualité. (Photo: Julien Becker)

Partisan d’une justice plus ouverte et plus à l’écoute des justiciables, Jean-Claude Wiwinius entend accélérer la modernisation en cours en revoyant les procédures et en s’aidant des nouvelles technologies. Objectif : efficacité et qualité. (Photo: Julien Becker)

Monsieur Wiwinius, qu’est-ce qui vous a amené à devenir magistrat?

«J’ai choisi le droit l’année du bac, puis j’ai été avocat pendant trois ans. Et comme beaucoup de personnes qui sont entrées dans la magistrature, j’ai constaté que l’avocat doit très souvent plaider dans l’intérêt du client, pratiquement contre son gré. En matière de droit de la famille, par exemple, plaider à tout prix pour que le père ou la mère obtienne la garde d’un enfant quand on est soi-même convaincu que ce n’est pas la bonne solution pour l’enfant, ça ne donne pas satisfaction. C’est une des raisons essentielles pour lesquelles je suis entré dans la magistrature en 1979.

Vous avez connu le tribunal d’arrondissement, la Cour de justice des communautés européennes (aujourd’hui CJUE), le Parquet général, la Cour d’appel, la Cour de cassation… Qu’est-ce qui change lorsqu’on gravit la hiérarchie juridictionnelle?

«Je ne veux pas dire que cela devient de plus en plus guindé, mais il est exact qu’on s’éloigne de plus en plus des faits et des gens. Parfois, à la Cour de cassation, on n’aurait – je le dis bien au conditionnel – même pas besoin de consulter le dossier depuis le début, vu qu’on est saisi uniquement des questions de droit et les faits ne sont plus pris en compte.

Il ne faut pas qu’il y ait une troisième, quatrième, cinquième instance. La Cour de cassation vérifie en dernier lieu si le droit a été correctement appliqué. Intellectuellement, cela devient de plus en plus intéressant.

Vous avez aussi gardé un lien avec l’enseignement qui vous intéressait plus jeune.

«À l’âge de 30 ans, j’ai commencé à enseigner la procédure civile aux Cours complémentaires en droit luxembourgeois. Je dirais que 1.500 jeunes avocats ou magistrats sont passés par mes mains. J’ai enseigné, par la suite, le droit international privé – mon dada, j’ai d’ailleurs écrit un livre sur le droit international privé luxembourgeois. Depuis une dizaine d’années, j’enseigne la déontologie et l’éthique aux attachés, aux jeunes magistrats, ce qui me semble être une charge et un devoir importants et essentiels également et que je fais avec beaucoup de plaisir et d’engagement.

Que vous apporte l’enseignement?

«Quand j’ai commencé, ça m’apportait un contact humain très intéressant avec les avocats. Les jeunes avocats qui avaient fréquenté mes cours venaient en premier lieu plaider devant le juge de paix. J’étais juge de paix à l’époque, je les côtoyais, on avait de très bonnes relations. C’était l’époque où on avait une vingtaine ou une trentaine de jeunes avocats par an. À la fin j’en avais plus de 200 dans mes cours… J’ai arrêté depuis quatre ou cinq ans puisque mes charges à la Cour ont augmenté et puis, place aux jeunes! Au moment où j’ai constaté que j’étais le doyen des CCDL et qu’un grand nombre d’enseignants avaient eux-mêmes suivi mes cours, je me suis dit que le moment était venu d’arrêter.

Le président de la Cour représente le troisième pouvoir.

Jean-Claude Wiwinius, président de la Cour supérieure de justice et de la Cour constitutionnelle 

Comment percevez-vous vos nouvelles fonctions de président de la Cour supérieure de justice et de la Cour constitutionnelle?

«Le Conseil consultatif des juges européens auprès du Conseil de l’Europe, dont je fais partie depuis ses débuts en l’an 2000, travaille justement sur un avis sur le rôle des présidents de juridictions suprêmes. Une des idées-clés qui va ressortir de cet avis est que le président est là pour représenter la justice, mais aussi pour servir la justice. Au Luxembourg, le président continue à travailler comme les trois autres magistrats de la Cour de cassation, ce qui est une bonne chose. Cela ne me satisferait pas si je n’avais qu’à représenter la justice le jour de la Fête nationale. Il est important de noter qu’au niveau national, le président de la Cour représente le troisième pouvoir.

Quels sont les chantiers que vous comptez mettre en œuvre?

«J’ai l’intention d’accentuer la visibilité de la justice, si c’est possible et nécessaire. Nous continuons à assumer un service public. La confiance du public, du citoyen, du justiciable dans la justice est très importante. Peut-être que là, il y a encore des choses à faire pour montrer ce qu’est la justice.

Dans l’immédiat, ma tâche essentielle sera de gérer la Cour supérieure de justice. Nous sommes actuellement 36 magistrats et en raison de départs à la retraite et de la création d’une chambre (trois magistrats) pour assumer les fonctions du Conseil supérieur de la sécurité sociale, il y aura sous peu sept nouveaux magistrats à la Cour. Ce qui du point de vue administration et gestion représente une tâche importante, étant entendu par ailleurs qu’au Luxembourg un chef de corps n’a aucune formation en matière de ressources humaines.

Il manque également un magistrat permanent à la Cour de cassation…

«La Cour de cassation siège à cinq magistrats, mais en réalité, il n’y a que quatre conseillers. Le cinquième est un magistrat 'volant' qui vient de la Cour d’appel. Essayez d’expliquer cela aux collègues étrangers...

Cela me chagrine aussi du point de la transparence et de l’indépendance de la Cour d’appel et de la Cour de cassation. La séparation entre les deux instances doit être plus visible. Le Barreau s’en offusque depuis longtemps. J’ai d’ores et déjà sollicité la création du poste d’un cinquième conseiller à la Cour de cassation. J’espère que cela se fera en 2017, sinon en 2018 au plus tard.

L’indépendance de la justice réside aussi dans celle de ses magistrats par rapport au pouvoir législatif et exécutif…

«Bien sûr. Tous les magistrats sont nommés par arrêté grand-ducal, en d’autres mots par le gouvernement. En fait, le problème est plus théorique que pratique. Nous sommes indépendants, mais il faut le montrer. C’est la raison pour laquelle je suis un fervent adepte de la création d’un Conseil national de la justice, car une de ses attributions majeures sera la nomination, la promotion et la sélection de tous les magistrats. Ce qui donnera d’ailleurs également l’occasion à ce conseil de privilégier un peu plus un critère qui ne l’est pas suffisamment au Luxembourg – c’est d’ailleurs un reproche qu’on nous fait de l’étranger –: le mérite.

En principe, c’est le critère de l’ancienneté qui fait avancer le juge luxembourgeois jusqu’au sommet de la hiérarchie. Pour le moment, on estime que c’est le moins mauvais système, puisque la politique ne peut pas y entrer. Mais si on ajoute le critère du mérite, cela ne signifie pas qu’il puisse y avoir une influence des autres pouvoirs.

La composition du Conseil national de la justice (CNJ) fait encore débat. Quelle est votre position?

«Dans son avis il y a trois ans, la Cour a estimé qu’il fallait 15 personnes, dont deux tiers de magistrats et un tiers de non-magistrats. Entretemps, je me rends compte qu’avec 15 personnes, la prise de décision risque d’être difficile. En ordre subsidiaire, nous avions dit neuf personnes, dont six juges et trois non-juges (professeurs d’université, médiateurs, juristes…) qui ne feraient pas partie des autres pouvoirs. Donc pas de parlementaires, de ministres, ni de conseillers de gouvernement. Ce serait une solution tout à fait acceptable.

Il se peut que le pouvoir politique veuille encore une composition plus réduite. Je crois qu’avec neuf personnes, ce ne serait pas trop, à condition que ce conseil ait des attributions conséquentes. Il devrait également prendre en charge les questions de déontologie et d’éthique. Nous avons élaboré des règles plus ou moins précises à ce sujet, mais il manque encore un organe que tout magistrat puisse consulter s’il a un problème. Ce conseil pourrait aussi se voir confier les problèmes disciplinaires.

Reste la question des doléances du justiciable. Il y a parfois, à tort ou à raison, des gens qui ont à se plaindre du comportement de certains magistrats et également du système, par exemple des délais qui sont parfois assez longs. Les gens écrivent au ministre de la Justice, au président de la Cour, au procureur général, un peu à droite et à gauche… On ne sait jamais exactement qui doit leur répondre. Le CNJ pourrait être le destinataire de ces doléances.

Le Groupement des magistrats luxembourgeois (GML) est favorable à ce que les magistrats du CNJ soient élus et non nommés d’office de par leurs fonctions. Qu’en pensez-vous?

«D’après mon sentiment, un bon mélange serait l’idéal avec un certain nombre de chefs de corps, au moins quatre sur six. L’idée sous-jacente dans la plupart des autres conseils de la justice est qu’une majorité de membres siège ex officio avec un ou deux juges élus par leurs pairs. Nous avions proposé qu’il y ait au moins un représentant élu par ses pairs, qui pourrait venir du GML.

Dans la plupart des autres conseils, le président du conseil est aussi le président de la juridiction suprême. Le conseil doit profiter de cette autorité.

Cela retomberait donc dans votre escarcelle…

«Ce serait une charge en plus. J’ai 63 ans, je me sens en très bonne santé, j’ai l’intention de rester jusqu’à la fin (c’est-à-dire jusqu’à 68 ans, l’âge de la retraite pour cette fonction, ndlr) et j’espère que je verrai la création du CNJ ! Je souhaite depuis longtemps pouvoir participer à la création et à la mise en place pratique de ce conseil. Je suis vraiment heureux de pouvoir le faire en tant que juge suprême et de voir que ce chantier est une des priorités du ministre de la Justice. Je suis confiant à ce sujet.

Le rapport Biever lançant des pistes de réflexion en vue d’une justice plus efficace retient que l’un des principaux reproches à l’encontre de la justice luxembourgeoise réside dans la longueur des délais. Qu’en pensez-vous?

«Times Magazine a récemment publié une étude de la Banque mondiale comparant les pays ayant un grand nombre d’avocats et les autres. Le constat est que plus il y a d’avocats, plus les délais sont longs… sauf au Luxembourg, où les délais ne sont pas exceptionnellement longs. Le Luxembourg n’est donc pas particulièrement mauvais élève à ce sujet.

Il y a évidemment toujours des affaires où les délais sont trop longs. Comment y remédier? En matière pénale, je suis tout à fait d’accord avec M. Biever: pour le contentieux de masse (circulation, ordonnances de paiement, etc., ndlr), il doit y avoir la possibilité de revoir certaines procédures à l’ère des technologies nouvelles.

Robert Biever et Martine Solovieff – la procureure générale, dans son projet de programme pluriannuel – proposent aussi d’augmenter le nombre de magistrats. Au tribunal de la jeunesse et des tutelles, par exemple, le nombre des affaires augmente à un tel rythme qu’il n’y a pas d’autre moyen que d’ajouter des magistrats. Même chose pour les contraventions dressées à la suite de l’introduction des radars automatiques.

Mais l’augmentation des effectifs n’est pas la seule solution, car si l’on recrute à tout prix, il n’est pas évident qu’on ait seulement des personnes d’excellence.

Que pourrait-on changer au niveau des procédures?

«Nous avons depuis une vingtaine d’années, en matière civile, la procédure de mise en état grâce à laquelle le juge a un peu plus de pouvoir sur le dossier. Mais il y a quand même encore des hiatus à ce niveau, car la procédure n’est pas suffisamment bien fixée.

Pratiquement chaque magistrat a sa propre approche de cette procédure. Le texte pourrait être un peu plus strict. Il existe suffisamment d’exemples dont on pourrait facilement s’inspirer, que ce soient les procédures devant les juridictions administratives et internationales, ou même devant la Cour constitutionnelle: un mémoire, une réponse, une réplique, une duplique, et tout cela enfermé dans des délais stricts. Il y a des groupes de travail qui se penchent sur cette question.

Je crois que si tout le monde était de bonne volonté – et là j’inclus expressément le Barreau, j’ai suffisamment longtemps siégé dans une chambre civile pour savoir de quoi je parle –, on pourrait arriver à une très nette amélioration de cette question des délais.

Certains militent pour la création d’une Cour suprême. Y êtes-vous favorable?

«La Cour a émis un avis négatif à ce sujet. Ce qui ne nous plaît pas, c’est que la Cour constitutionnelle serait abolie. Elle fonctionne bien. En 20 ans, cette Cour a rendu 125 arrêts, dont un certain nombre d’arrêts très importants. Il n’y a donc pas de raison d’abolir la Cour constitutionnelle.

Ceux qui proposent une Cour suprême veulent donner la possibilité à tout juge de dire 'cette loi est anticonstitutionnelle, je ne l’applique pas'. Cela va créer du désordre inutile. Il a été prévu que le Parquet général puisse alors faire un recours dans l’intérêt de la loi. Mais, est-ce que le Parquet général ira contrôler les milliers de décisions qui sont prises à tous les niveaux? Une question aussi importante que la vérification de la constitutionnalité d’une loi devrait rester dans les attributions d’une juridiction suprême, c’est-à-dire de la Cour constitutionnelle.

Les nouvelles technologies concourent à la modernisation de la justice.

Jean-Claude Wiwinius, président de la Cour supérieure de justice et de la Cour constitutionnelle 

L’avantage d’une Cour suprême serait tout de même d’offrir une juridiction de dernier ressort aux contentieux administratif, qui ne compte pour l’heure que le tribunal administratif et la Cour administrative.

«À l’époque, nous nous sommes abstenus de prendre position à ce sujet puisqu’en principe cela ne nous regarde pas. La Cour administrative a émis un avis négatif en disant qu’elle est déjà pratiquement la troisième instance: il y a une décision au niveau administratif, puis la première instance, puis la Cour administrative.

Actuellement,  je crois savoir qu’il commence à y avoir un certain consensus sur la question de savoir s’il ne faudrait quand même pas une vérification au sommet, également pour les décisions de la Cour administrative. Car, finalement, la Cour administrative est une cour d’appel, elle juge également le fait. Je dirais à ce sujet pourquoi, au lieu d’avoir une Cour suprême, ne pas simplement introduire le recours en cassation contre les décisions de la Cour administrative, recours qui viendrait alors devant notre Cour de cassation? Cela me semble être une solution tout à fait convenable, viable et possible.

Le rapport Biever a encore évoqué le long débat autour de la disparition de l’arrondissement de Diekirch pour qu’il n’y ait plus qu’un arrondissement couvrant tout le Grand-Duché…

«C’est une question qui est en débat depuis longtemps. Peut-être qu’il y aurait moyen de le faire de façon très ‘smooth’ en disant par exemple qu’il n’existe qu’un seul tribunal d’arrondissement au Grand-Duché et que tous les magistrats de ce tribunal peuvent, sans délégation particulière, siéger à Luxembourg et/ou à Diekirch.

Permettez-moi une petite observation sur ce sujet: tout au début de mes fonctions comme juge de paix à Esch-sur-Alzette, je siégeais également dans ce qu’on appelait des audiences foraines à Differdange, à Dudelange et à Capellen. Il s’agissait de rapprocher la justice du justiciable – ces audiences avaient été créées à l’époque où on se déplaçait encore à cheval. Il y a une trentaine d’années, on se déplaçait en voiture et la raison d’être de ces audiences foraines diminuait de plus en plus. Il n’y avait finalement que les bourgmestres des villes en question qui essayaient de garder encore 'leur' justice de paix. On a quand même réussi à abolir ces audiences foraines.

Pour le tribunal de Diekirch, on pourrait peut-être raisonner de la même façon, ce d’autant plus que, dans la plupart des cas, en matière civile, les gens ne se déplacent de toute façon pas au tribunal, ce sont les avocats qui plaident.

Il est vrai que c’est un problème très délicat. Vous avez constaté que M. Biever dans ses pistes de réflexion en a parlé sur une demi-page seulement (sur un total de 47 pages). Mais dans la presse, certains ont pratiquement fait leur une sur cette question-là. Personnellement, je n’aurais aucune objection mais cela ne rentre pas dans mes attributions de me prononcer à ce sujet. C’est au pouvoir politique de prendre une décision.

Les travaux autour de la dématérialisation de la justice – paperless justice – vous tiennent beaucoup à cœur. Comment ce dossier avance-t-il?

«Les nouvelles technologies concourent à la modernisation de la justice. J’ai l’impression que nous sommes sur la bonne voie. Le ministre de la Justice l’a plusieurs fois évoqué et nous avons plusieurs groupes de travail là-dessus.
Quand j’ai commencé, les juges rédigeaient leurs jugements à la main et le greffier les dactylographiait par après. Depuis un certain nombre d’années, tous les juges rédigent sur ordinateur – même les plus anciens. Et nous faisons de plus en plus nos recherches sur internet. D’une façon générale, la nécessité d’aller dans ce sens me semble une évidence. Le leitmotiv, c’est l’efficacité de la justice. Ce n’est pas pour nous faciliter la tâche, mais pour améliorer la qualité de la justice.

À quand la dématérialisation des communications avec les avocats?

«Là, il reste encore beaucoup à faire. Pour le moment, les communications se font par des lettres, des informations écrites mises dans les cases des avocats.

Je peux vous citer un exemple très concret. En matière civile, nous reprenons dans l’exposé des faits les arguments du demandeur et ceux du défendeur. Nous retapons donc ce que l’avocat nous écrit. Pourquoi l’avocat qui nous remet des conclusions écrites en triple exemplaire ne nous envoie-t-il pas un e-mail avec ses conclusions pour que l’on fasse un copier-coller? Cela nous épargnerait beaucoup de temps. C’est une petite chose, mais importante du point de vue pratique.

Vous êtes également sensible à une publication élargie des décisions de justice…

«Les décisions de la Cour de cassation et de la Cour constitutionnelle sont toutes publiées sur le site justice.public.lu. Les décisions importantes des autres juridictions figurent dans la Pasicrisie (le recueil de la jurisprudence, ndlr) et d’autres recueils comme le Journal des tribunaux.

Bien sûr, tout cela pourrait être encore plus systématisé. Il y a, cependant, un problème d’ordre pratique: c’est l’anonymisation qui est faite par nos soins, c’est-à-dire par les greffiers et par le service de documentation. C’est un travail énorme. Les avocats sont demandeurs, car il est exact que parfois, surtout au niveau pénal, les juridictions, le Parquet et le Parquet général sont mieux informés de la jurisprudence. Alors, pourquoi ne pas impliquer les avocats dans ce travail d’anonymisation?

Une remarque personnelle à ce sujet: je suis favorable à l’anonymisation en matière de divorce, par exemple. Il ne faut pas que tout soit jeté à la vue du public. Mais d’un autre côté, il ne faut pas exagérer. Le grand défenseur des droits de l’Homme et des droits de la défense, la CEDH à Strasbourg, voit tous ses arrêts publiés, et ces arrêts ne sont pas anonymisés. On cite les arrêts des cours internationales par le nom de la personne impliquée et non par un numéro (par exemple, l’arrêt Procola, l’arrêt Kemp, etc.).

D’où peut venir la solution?

Le Parquet général a la haute main sur tout ce qui est service de documentation et administration de la justice. Je crois que d’un commun accord, et avec le Barreau qui est demandeur, on pourrait arriver à une solution viable.

La justice luxembourgeoise a été particulièrement exposée lors du procès LuxLeaks. Comment l’avez-vous vécu?

«Je ne vais évidemment pas prendre position sur le dossier lui-même puisqu’il risque de venir un jour sur ma table… J’ai constaté que la presse luxembourgeoise et les citoyens à travers leurs commentaires ont fait des observations plutôt objectives. Quant à la presse étrangère, on entre dans le ‘Luxembourg bashing’ d’ordre général. C’est un exemple important que la presse étrangère a pris pour, à nouveau, nous taper dessus, à tort ou à raison. Et j’ai vu ce qui s’est passé dans la cour de la Cité judiciaire (discours et mises en scène du comité de solidarité pour Antoine Deltour et Edouard Perrin, ndlr). On pourrait avoir l’impression que, par ces agissements, d’aucuns ont essayé d’exercer une certaine influence, indue ou non, sur la justice.

Il est rare que la justice luxembourgeoise soit autant sous les projecteurs.

«C’est exact. La dernière fois qu’on avait vu cela, c’était pour le procès Luxair (en 2012, ndlr). D’ailleurs, dans le microcosme luxembourgeois, on voit de plus en plus souvent les avocats tenter de plaider leur affaire une deuxième fois devant les caméras, les micros et la presse écrite. On a parfois l’impression qu’il s’agit d’une tentative d’influencer les juges pendant leur délibéré. En tout cas, le danger existe et c’est une des choses que j’enseigne dans mes cours de déontologie, à savoir qu’il faut très bien faire attention à ne pas se laisser influencer par l’opinion publique, véhiculée par les médias et, de plus en plus souvent, par les réseaux sociaux.»

Bio express

  • 1953: Né le 2 juillet 1953 à Luxembourg, Jean-Claude Wiwinius est marié. Sa biographie officielle mentionne trois enfants et deux petits-enfants.
  • 1976: Il complète une licence en droit à la Sorbonne et devient avocat. Après trois ans d’exercice, il opte pour la magistrature.
  • 1983: Jean-Claude Wiwinius entame 30 ans d’enseignement aux Cours complémentaires en droit luxembourgeois. Droit civil, procédure civile, droit pénal et surtout droit international privé, son «dada» dont il publiera un livre de référence.
  • 1989: Après quatre années comme juge au tribunal d’arrondissement et cinq comme juge de paix à Esch-sur-Alzette, il entre comme référendaire au cabinet de Romain Schintgen, juge au tribunal de première instance des communautés européennes (aujourd’hui le tribunal de la CJUE).
  • 1994: Vice-président au tribunal de Luxembourg depuis deux ans, il endosse la prestigieuse robe d’avocat général à la Cour supérieure de justice. Il sera ensuite premier conseiller puis président de chambre à la Cour d’appel (criminelle et droit de la famille).
  • 2015 Jean-Claude Wiwinius rejoint la Cour de cassation et devient vice-président de la Cour supérieure de justice. Il siège à la Cour constitutionnelle depuis 2012.
  • 2016: Il succède à Georges Santer à la tête de la Cour supérieure de justice et de la Cour constitutionnelle. Il continue d’enseigner la déontologie et l’éthique aux attachés de justice. Il devient membre du bureau du Comité consultatif des juges européens auprès du Conseil de l’Europe, dont il fait partie depuis 2000.

Verbatim

Enseignement:
«Quand j’ai commencé, ça m’apportait un contact humain très intéressant avec les avocats. J’étais juge de paix, les jeunes avocats que j’avais entre les mains venaient plaider devant moi. C’était à l’époque où on avait une
trentaine de jeunes avocats par année. À la fin, j’en avais 200.»

Passation:
«Au moment où j’ai constaté que j’étais le doyen des enseignants et qu’un grand nombre d’entre eux avait suivi mes cours, je me suis dit que le moment était peut-être venu d’arrêter. Place aux jeunes!»

Jeunesse:
«En tant qu’avocat général, je me suis occupé de la protection de la jeunesse. Cela m’a donné beaucoup de plaisir, mais cela constitue quand même une charge assez lourde. Les enfants sont sortis de leur famille, soit parce qu’ils sont maltraités, soit parce qu’ils ont fait des bêtises.»

Combats:
«Après les événements en Turquie, on voit l’importance que doit avoir dans chaque pays démocratique l’indépendance de la justice. 2.500 collègues ont été soit destitués, soit mis en détention.»