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Alors que les avertissements sont multipliés à l’adresse des dirigeants politiques pour qu’ils prennent en considération le mur des pensions qui se profile à l’horizon, ces derniers optent pour une réformette, dans le but de gagner du temps.

Dans le cadre de l’initiative « 5 vir 12 », forum rassemblant des personnalités du milieu économique luxembourgeois, Alex Sulkowski, consultant indépendant, s’en est pris avec virulence au projet de loi de réforme de l’assurance pension. Selon l’intéressé, « il sanctionne un statu quo » alors que le gouvernement sait que « le système va s’effondrer dans les 20 prochaines années ». 

Le Luxembourg est en effet pris dans une évolution démographique européenne consécutive au baby-boom des Trente Glorieuses : le Vieux Continent n’aura jamais aussi bien porté son nom que dans les prochaines décennies. En sus, le Grand-Duché a connu ces dernières années, concomitamment à une croissance forte, un large influx migratoire. Par conséquent, le pays comptera, en 2060, plus de deux fois plus de personnes potentiellement bénéficiaires de l’assurance pension. Les retraites constitueront alors un véritable boulet dans les comptes publics. Le Luxembourg consommera 34,2 % de ses richesses dans les dépenses liées à l’âge, soit 17,7 % de plus qu’aujourd’hui, dont l’essentiel dans les pensions.

Droit dans le mur

Au ministère de la Sécurité sociale, chargé de la réforme depuis 2009, on a conscience du problème. On y indique d’ailleurs que, si le système de l’assurance pension n’est pas adapté, il sera déficitaire vers 2020. La réserve – le fonds de compensation aujourd’hui doté de 11 milliards d’euros – sera épuisée vers 2035… et les taux de cotisation dépasseraient les 40 % (contre 24 % actuel­lement) vers 2045.

Et encore : ceci est une vision optimiste de la situation. Les données rassemblées par la Commission européenne, analysées en décembre 2011 par la fondation allemande Marktwirtschaft, mettent en relief le poids de la dette implicite. Celle-ci n’est pas prise en compte dans les comptes nationaux puisque ces derniers se basent sur une définition de la dette publique restrictive.

Si celle-ci est bien conforme à la règle européenne comptable en vigueur, elle considère uniquement la valeur nominale de tous les enga­gements bruts en cours à la fin de l’année du secteur « administrations publiques ». Autrement dit, elle ne retient que les engagements financiers « explicites », c’est-à-dire l’ensemble des engagements financiers que l’État garantit explicitement de payer, de manière contractuelle, comme ses emprunts. Les engagements dits « implicites », comme les retraites futures des fonctionnaires, sont écartés. Or ce point est crucial !

À travers le prisme de la convention statistique de l’UE, la dette luxembourgeoise ne s’élevait en 2010 qu’à 7,673 milliards d’euros, soit 19,1 % du PIB. L’État fait ainsi figure de très bon élève de la zone euro. Mais la dette implicite, celle incluant les dépenses gouvernementales futures non couvertes par les taxes et les cotisations sociales, représente quasiment 11 fois le PIB, à tel point que l’institut de recherche allemand fait du Grand-Duché la prochaine Grèce… À l’Inspection générale de la sécurité sociale (IGSS), on met en doute la pertinence de ces calculs. « Ils prennent l’ensemble des dépenses et des flux jusqu’à l’infini, et ramènent tout à aujourd’hui. C’est normal qu’on soit les champions puisque notre système est actuellement l’un des plus généreux. » On n’y pense pas moins qu’il faut inverser la tendance.

Ainsi, le ministre de la Sécurité sociale, Mars Di Bartolomeo, a présenté le 2 février 2012 la réforme de l’assurance pension telle qu’adoptée le 20 janvier par le Conseil de gouvernement. Mais elle est basée sur des perspectives de croissance jugées surestimées (3 %) par les observateurs. Pour se donner un ordre d’idée, le PIB luxembourgeois devrait croître de 1,4 % en 2012.

Pour ce qui concerne le régime général des retraites, 90 % des pensionnés, l’âge légal de la retraite (65 ans) n’est pas modifié, la pension anticipée à 57 et à 60 ans non plus, et le projet confirme le maintien des régimes de préretraite, ainsi que des périodes complémentaires (éducation, formation, soins). Les pensions du régime spécial pour la fonction publique (État, communes, CFL) sont, elles, incidemment abordées et leurs statistiques ostensiblement occultées.

Pour l’instant, le gouvernement ménage surtout la chèvre : ses électeurs. Pour le chou, ou plutôt les futurs cotisants du régime par répartition, on verra plus tard. Le site du ministère de la Sécurité sociale en fait même l’aveu à mots couverts. « Le gouvernement ne veille pas seulement à la viabilité financière, mais aussi à la viabilité sociale et politique du système. » De quoi pousser M. Sulkowski – et il n’est pas le seul – à prédire qu’aucun politicien ne touchera aux pensions du secteur public avant les prochaines élections, prévues pour 2014.