Le projet de loi a été déposé le 31 janvier 2012 par le ministre Mars Di Bartolomeo. (Photo : Luc Deflorenne / archives)

Le projet de loi a été déposé le 31 janvier 2012 par le ministre Mars Di Bartolomeo. (Photo : Luc Deflorenne / archives)

Le ministre de la Sécurité sociale Mars Di Bartolomeo a déposé à la Chambre des Députés, en date du 31 janvier 2012, le projet de loi de la réforme de l'assurance pension dont l'entrée en vigueur est prévue au 1er janvier 2013. Le projet va dans la bonne direction, mais ne constitue qu'un premier pas… La présente contribution vise à fournir un état des lieux du système actuel, une analyse de quelques points du projet de réforme et une comparaison avec les systèmes à l'étranger.

Avant de se lancer dans une analyse de certains aspects du projet de loi, il importe de rappeler les grandes lignes du système de pension actuel à Luxembourg qui est fondé sur trois piliers. Le premier pilier est celui de la Sécurité sociale, le système public, où chaque salarié et les membres de sa famille sont affiliés d’office. Le deuxième pilier représente les régimes complémentaires de pension où l’employeur met en place un plan de pension en faveur de ses salariés ou d’une certaine catégorie de ses salariés. Un des principaux avantages de ce système (à côté de l'élément social et de la fidélisation des salariés) est le régime d'imposition: taxation des primes au taux forfaitaire de 20 % et prestations non imposables sur le revenu au Luxembourg, la prime et l'impôt constituant une charge déductible pour l'entreprise. En plus, l'affilié a encore la possibilité de verser des cotisations personnelles (jusqu'à 1.200 euros par an, déductibles fiscalement). Le troisième pilier est constitué par les assurances épargne prévoyance conclues à titre privé, telle que l’assurance pension soumise à l’article LIR 111bis, qui a l’avantage de profiter d’une taxation favorable.

Il est aussi important de savoir que notre système de pension est un système de répartition. Les affiliés actifs d'aujourd'hui financent les rentiers d'aujourd'hui. Or, ce système a été mis en place il y a plus de 100 ans, quand la mortalité était plus conséquente qu'aujourd'hui. À cette époque, beaucoup d'actifs finançaient donc peu de retraités. Cette situation est complètement renversée de nos jours où la période de contribution devient de plus en plus courte (formation, départ en retraite anticipée) et la survie en retraite beaucoup plus longue. À moyen voire long terme, de moins en moins d'actifs risquent de devoir financer de plus en plus de retraités. Ce "problème" de longévité est d'ailleurs un des problèmes principaux de notre système actuel, ce qui a notamment motivé la réforme.

Conditions d'entrée en retraite inchangées

Le projet de réforme ne prévoit pas de changer les conditions d'entrée en retraite. En effet, en fonction de la carrière d'assurance, les gens auront toujours la possibilité de partir en retraite (anticipée) à 57 ans, respectivement à 60 ans, et ce, bien que l'âge légal de la retraite soit de 65 ans. À noter que l’âge effectif de départ à la retraite moyen au Luxembourg n’est que de 57,3 ans pour les hommes et de 58 ans pour les femmes (statistiques de 2004 — 2009). À titre de comparaison, dans les pays de l’OCDE, cet âge effectif moyen est de 63,9 ans pour les hommes et de 62,5 ans pour les femmes !

Cet écart est notamment dû à une "faille" dans notre système : quelqu'un qui part par exemple en retraite à l'âge de 58 ans, reçoit la même rente nominale que quelqu'un qui part à 65 ans (à condition d'avoir une carrière d'assurance identique). Or, la rente du premier doit être payée pendant 7 années supplémentaires ! Pour utiliser le jargon technique : aujourd’hui, il n'y a donc pas de réduction actuarielle.

Le projet de réforme laisse en résumé les choix suivants à l'assuré : ou bien partir à la retraite avec une pension moins élevée ou prolonger la vie active afin de profiter d'une prestation majorée. Le ministre parle de "pension à la carte". En gros, quelqu'un qui commence à travailler maintenant, devra travailler +/- 3 ans de plus pour avoir le même niveau de prestation sinon il aura une pension réduite de +/- 15 %.

Le système actuel repose sur des cotisations dont le taux est fixé depuis 1985 à 24 % avec une répartition égale de financement entre le salarié, l’employeur et l’État. Bien qu'étant un système de répartition, il est prévu qu'il y ait une réserve de compensation d'au moins 1,5 fois, les dépenses annulent. Pour le moment, le Luxembourg est dans la situation confortable d'avoir une réserve d'environ quatre fois les réserves annuelles ce qui équivaut à 11 milliards d’euros. À noter que certains de nos pays voisins ont des réserves qui équivalent à des dépenses de quelques jours et non pas de 4 ans…

Il n'est pas évident de comprendre la nécessité d'une réforme immédiate si on se limite à regarder la seule photo d’aujourd'hui. Or, les projections du gouvernement montrent que la situation va se détériorer de sorte que, le système deviendra déficitaire à partir de 2022, et qu'à partir de l'année 2030, toutes les réserves seront consommées. En plus, il faut préciser que les hypothèses de projection pour arriver à ces dates butoir, à savoir croissance annuelle du PIB de 3,0 % et taux de création d'emplois de 1,5 %, ont déjà été largement critiquées notamment par le patronat. Dans le contexte des dettes "cachées", on peut aussi citer une étude de la "Stiftung Marktwirtschaft" en Allemagne qui montre la situation du Luxembourg dans une autre lumière. Dans leur ranking de gestion durable (« Nachhaltigkeitsranking »), le Luxembourg figure en avant-dernière position à cause d'une dette implicite de 1.096,5 % du PIB, cette dette représentant les obligations non couvertes résultant des dépenses liées au vieillissement de la population !

Taux de remplacement élevé au Luxembourg

La brochure "Une Retraite pour tous" publiée par l'UEL indique que "Le taux de remplacement brut moyen au Luxembourg est de 87,40 % en 2010. Ce taux n’est que de 57,30 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. L’écart est particulièrement sensible avec les trois pays voisins : en France, ce taux de remplacement brut moyen n’est que de 49,10 %, en Belgique et en Allemagne il atteint seulement 42 %." Au Luxembourg, le phénomène de « pauvreté des rentiers » est peu répandu : d'après des études du Statec en 2011, uniquement 6 % des personnes âgées de plus de 65 ans sont sous risque, ce qui est également le résultat de l'indexation automatique des rentes ainsi que de l'ajustement. Il s'agit ici de l'ajustement au niveau réel des salaires qui fait que les retraités bénéficient de l’augmentation de la productivité de la population active. Malgré les coûts de cet ajustement, le projet de réforme ne prévoit d’y toucher seulement au moment où les dépenses dépassent les recettes, donc beaucoup plus tard…

Pour conclure, notre système a une base financière saine pour le moment, mais il est excessivement généreux. Le projet de réforme est un premier pas dans la bonne direction, notamment en incitant les gens à travailler plus longtemps. Par contre afin de sécuriser le système sur le long terme, il faudrait des changements conséquents comme l’introduction de la "réduction actuarielle" précitée ou encore réduire plus tôt le facteur d'ajustement. Il serait également intéressant de penser à rendre plus attractif les deux autres piliers facultatifs, par exemple en diminuant le taux d'imposition forfaitaire de 20 % du 2e pilier ou encore en augmentant le seuil de 1.200 euros de cotisations personnelles possibles dans ce 2e pilier (et son champ d'application). Sinon, dans quelques années les discussions portant sur la réforme du système de pension reprendront de plus belle…