À Luxembourg, les autorités se sont toujours montrées réservées face à une éventuelle exploitation des fichiers volés, comme ceux de HSBC en Suisse. (photo: Jessica Theis / archives)

À Luxembourg, les autorités se sont toujours montrées réservées face à une éventuelle exploitation des fichiers volés, comme ceux de HSBC en Suisse. (photo: Jessica Theis / archives)

Demain mardi à 9 heures, les membres de la commission parlementaire des finances et du budget se réuniront à huis clos pour discuter avec le ministre des Finances Pierre Gramegna des «questions soumises par la sensibilité politique Déi Lénk au sujet des décisions anticipées». Mais l’affaire LuxLeaks risque de passer au second plan après les révélations de ce dimanche sur un autre scandale du nom de SwissLeaks, portant sur la publication par le même consortium de journalistes d’investigation, ICIJ.org, du listing volé par un ex-employé de HSBC en Suisse comprenant l'identité des clients de l’établissement.

Outre le ministre des Finances, Guy Heintz, le directeur de l’Administration des contributions directes (ACD) a été invité à cette réunion qui se tiendra à huis clos, au grand dam d’ailleurs de son instigateur, le député Déi Lenk Justin Turpel qui rêvait d’un débat public. Guy Heintz devrait révéler, entre autres, le nombre de rescrits fiscaux qui ont été établis par ses services au cours des dernières années.

«Il n’y a pas encore eu de demande de mise à l’ordre du jour au sujet de SwissLeaks», a indiqué à Paperjam.lu le président de la Cofibu, Eugène Berger (DP), qui s’interroge sur l’opportunité de mettre cette affaire au menu de la réunion de demain. Et si les fichiers dérobés en Suisse par Hervé Falciani (ex-informaticien chez HSBC) qui ont dévoilé l'existence de plus de 250 comptes de Luxembourgeois ou résidents fiscaux grand-ducaux (personnes physiques et morales) devaient jouer les invités surprises devant les membres de la Cofibu, il est probable que les discussions se feront là aussi dans le secret du huis clos.

«Si demain, il y avait dans le point 'divers' des questions sur le SwissLeaks, nous resterions dans le huis clos», confirme Eugène Berger.  

Une des questions que les députés devraient se poser spontanément est celle de savoir si l’administration fiscale française, qui a obtenu les fichiers de Falciani fin 2008, ont déjà transmis les informations relatives aux 222 clients luxembourgeois pour des avoirs de près de 3 milliards de dollars à leurs homologues grand-ducaux. Le fisc français a d’ailleurs communiqué des données en Belgique notamment, où la banque HSBC Suisse a été inculpée de fraude fiscale.

Secret fiscal

Interrogé lundi par Paperjam.lu sur l’existence d’échange d’informations entre les deux administrations luxembourgeoise et française sur les données de HSBC, Guy Heintz, le directeur de l’ACD, s’est retranché derrière son «secret fiscal» en renvoyant la balle vers le ministère des Finances.

Arsène Jacoby, le monsieur Compliance du ministère des Finances, n’était pas joignable ce lundi matin, ni Pascale Toussing, la directrice des affaires fiscales.

Le député LSAP Alex Bodry a demandé au ministre des Finances de sortir du bois. Dans une question parlementaire, il veut savoir si le Luxembourg s'est vu proposer les données bancaires et si oui, si Pierre Gramegna peut confirmer les chiffres avancés par le site ICIJ (222 clients pour des dépôts de 2,9 milliards de dollars dont près de la moitié en relation avec un seul client). Et si le ministre répond par la négative, Alex Bodry l'interroge sur les intentions soit du gouvernement soit de l'ACD de se procurer ces informations et «d'y donner, le cas échéant, les suites qui s'imposent».

Sollicité par Paperjam.lu en milieu d'après midi, le porte parole du ministère des Finances, Bob Kieffer, fait savoir que l'Administrationdes contributions ne dispose pas des fameuses listes. Il a indiqué qu'il appartiendra à l'administration fiscale de prendre attitude au mieux dans ce dossier.

Il est assez probable que les autorités luxembourgeoises feront le dos rond dans cette affaire SwissLeaks, malgré la volonté affichée du gouvernement de lutter plus efficacement contre la fraude et l’évasion fiscale à l’échelle nationale, qui s'est concrétisée par un renforcement des effectifs des agents de contrôle à l’ACD.

«Les réticences devraient davantage être morales que juridiques, car il sera très problématique pour un pays ayant fait de la fraude fiscale à une échelle industrielle d’utiliser les fichiers, car si on s’intéresse aux fraudeurs en Suisse, il faudrait le faire au Luxembourg», signale ironiquement un avocat, qui requiert l’anonymat.

On peut dans ce contexte imaginer les réticences que les autorités pourraient avoir à obtenir une copie des fichiers et à les exploiter pour vérifier si les détenteurs de comptes en Suisse ont bien déclaré leur existence au fisc luxembourgeois. D’autant plus que l’origine du listing (un vol) – et qui pose des problèmes juridiques en France – ne va pas encourager la curiosité des agents de l’ACD, ni la fibre investigatrice de la justice.

Acte illégal

Les responsables politiques luxembourgeois se sont toujours montrés très réservés face à l’usage qu’ils pourraient être amenés à faire de CD ou de fichiers à l’origine douteuse. L’ancien ministre des Finances Luc Frieden avait eu l’occasion d’affirmer à plusieurs reprises son refus catégorique de considérer ces documents en tant que pièces légales.

En 2011, lors d’une réunion de la Cofibu, notamment en présence des dirigeants de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), la question des fichiers volés de HSBC avait été évoquée, comme en témoigne un procès-verbal de réunion: «Le vol des fichiers auprès de HSBC soulève plusieurs problèmes qui ne concernent pas la CSSF. Il s’agit d’un acte illégal (le code pénal sanctionne la révélation non autorisée d’informations confiées par le client à son banquier), rendu possible en raison d’une lacune de sécurité. Par ailleurs, les données volées concerneraient, du moins en partie, des clients de l’établissement financier qui ne seraient pas en situation régulière avec leurs administrations fiscales».

En disant cela, les dirigeants de la CSSF, qui manient à merveille la langue de bois, ne prenaient pas de risque de se compromettre par rapport aux banquiers. Sauf que dans l’intervalle, des quantités d’eau sont passées sous les ponts du Grand-Duché, qui ne peut plus opposer le secret bancaire aux clients des banques, à tout le moins les étrangers.