Pierre-Henri Conac, professeur de droit commercial et des sociétés à l’Université du Luxembourg et Jacques Graas, counsel chez Allen & Overy (Photo: Studio / Maison Moderne)

Pierre-Henri Conac, professeur de droit commercial et des sociétés à l’Université du Luxembourg et Jacques Graas, counsel chez Allen & Overy (Photo: Studio / Maison Moderne)

« Oui… mais on peut (évidemment) faire mieux! », Jacques Graas, counsel chez Allen & Overy

Le cadre du droit des sociétés luxembourgeois reste la loi du 10 août 1915 (la LSC) qui a connu de nombreux amendements et notamment une modernisation profonde en 2016 (la Réforme de 2016). Si le droit luxembourgeois a ainsi su répondre au fil du temps au défi de la compétitivité en s’adaptant aux exigences changeantes des acteurs économiques, le maintien de cette compétitivité reste un défi permanent. 

Cependant, il ne s’agit pas à notre sens de se relancer dans un travail de réforme approfondie au risque de tomber dans les excès d’autres juridictions qui, à force de légiférer, sacrifient la lisibilité et la souplesse de leur cadre légal. 

Il convient en effet de garder à l’esprit que le droit des sociétés doit fournir un cadre garantissant la sécurité juridique, sans cependant compromettre le principe essentiel de la liberté contractuelle. Dans cet esprit, il s’agit alors notamment de procéder à des ajustements ponctuels et d’être à l’écoute des exigences du monde des affaires. 

De véritables innovations sont à souhaiter pour renforcer notre compétitivité.

Jacques Graas, counsel chez Allen & Overy

Et contrairement au domaine fiscal et réglementaire sujet à un cadre européen de plus en plus harmonisé et restrictif, la liberté d’action du législateur national dans la sphère du droit des sociétés reste relativement large. 

Le législateur ne devrait dès lors pas tarder à apporter des clarifications souhaitables afin de remédier à certaines incohérences dans la LSC (en particulier en rapport avec l’article 1500-7 concernant l’assistance financière et avec l’article 710-12 concernant la clause d’agrément dans les Sàrl).

Au-delà de ces ajustements, de véritables innovations sont à souhaiter pour renforcer notre compétitivité. Citons à ce titre notamment la généralisation de la langue anglaise pour les dépôts RESA, la codification de la LSC et de ses lois annexes, ainsi que l’élargissement de certains concepts existants (p. ex., la reconnaissance généralisée des droits de vote multiples et des fusions triangulaires).

Le succès d’une économie est aussi le résultat de l’attractivité de ses systèmes juridiques et judiciaires.

Jacques Graas, counsel chez Allen & Overy

Mais la compétitivité continue requiert aussi, d’une part, des cabinets actifs sur le marché luxembourgeois disposant d’une technicité adéquate et, d’autre part, des juridictions spécialisées, maîtrisant la langue anglaise et étant capables de rendre des décisions de qualité tant en première instance qu’en appel endéans des délais raisonnables.

Le succès d’une économie est aussi le résultat de l’attractivité de ses systèmes juridiques et judiciaires. Dans un monde de plus en plus compétitif, le développement et l’adaptation régulière du droit des sociétés doit dès lors rester une priorité.

«Pas très compétitif par rapport aux droits étrangers.», Pierre-Henri Conac, professeur de droit commercial et des sociétés à l’Université du Luxembourg

La compétitivité d’un droit s’apprécie à l’égard des autres pays. En apparence, le droit luxembourgeois des sociétés semble bien placé. Il a fait l’objet d’une modernisation de grande ampleur en 2016. Cette modernisation lui a permis de rattraper une partie de son retard sur les droits des sociétés des autres États membres.

En effet, le droit français des sociétés a fait l’objet ces dernières années d’une modernisation à marche forcée, et le succès considérable de la Société par actions simplifiée (SAS) montre qu’il est aussi flexible. Le droit belge des sociétés devrait bientôt être totalement libéralisé et pourrait constituer un concurrent redoutable pour le droit luxembourgeois. Quant au droit néerlandais, l’introduction de la Flex-BV en 2012 l’a rendu très concurrentiel.

Dans ce contexte, le droit luxembourgeois des sociétés apparaît compétitif, mais pas très compétitif par rapport aux droits des sociétés étrangers. En effet, la réforme de 2016 était basée sur l’état du droit étranger en 2007. Il y a donc un effet retard.

La véritable faiblesse du droit luxembourgeois des sociétés réside dans ce qui fait sa force.

Pierre-Henri Conac, professeur de droit commercial et des sociétés à l’Université du Luxembourg

Toutefois, la véritable faiblesse du droit luxembourgeois des sociétés réside dans ce qui fait sa force. En effet, sa flexibilité considérable en raison de nombreuses plages de liberté contractuelle en fait un outil très attractif pour les praticiens. Cette flexibilité doit être conservée, mais elle est aussi une source d’insécurité juridique majeure.

De plus, la jurisprudence luxembourgeoise n’est pas assez développée ou inexistante sur de nombreuses questions pourtant clefs pour le Luxembourg, par exemple, l’intérêt de groupe. La doctrine universitaire ou des praticiens est de qualité, mais éparse et parfois contradictoire. Cela rend le droit luxembourgeois des sociétés peu attractif pour des investisseurs étrangers. La situation n’est donc pas satisfaisante. 

En fait, il conviendrait d’amender plus fréquemment et ponctuellement la loi de 1915, comme c’est le cas au Delaware, pour clarifier les points où des débats apparaissent, ou que la jurisprudence a laissé en jachère, et pour rester compétitif, car les États concurrents du Luxembourg n’attendent pas et les innovations sont permanentes.