La Villa Churchill faisait partie du portefeuille d'Immo-Croissance. Elle a été vendue à EHP, qui veut la démolir. (Photo: Olivier Minaire / archives)

La Villa Churchill faisait partie du portefeuille d'Immo-Croissance. Elle a été vendue à EHP, qui veut la démolir. (Photo: Olivier Minaire / archives)

Vu le «risque réel» de voir le fonds d’investissement spécialisé (FIS) Immo-Croissance se «vider de sa substance», la Cour d’appel, siégeant en matière de référé, a fait droit à la demande d’Umberto Ronsisvalle et de sa société R Capital, de confier les manettes du pouvoir à l’avocat Yann Baden en le nommant administrateur provisoire. Sa mission de «conservation de la société» en garantissant sa gestion courante se terminera lorsque le litige principal sera définitivement tranché: il met aux prises deux camps, avec R Capital d’un côté et Pillar Securitisation (la structure de défaisance accueillant les actifs pourris de l’ex-banque Kaupthing Luxembourg, désormais Banque Havilland) de l’autre, qui revendiquent chacun la propriété de la Sicav.

Un premier jugement est intervenu en juillet 2013, donnant raison à Umberto Ronsisvalle et condamnant Pillar à lui restituer Immo-Croissance, à lui payer 15.000 euros de dommages et intérêts et se faire infliger une astreinte de 10.000 euros par jour en cas de non-exécution de la sentence. La décision fut frappée d’appel. Depuis lors c’est l’attente.

Du bourbier islandais...

Pour éviter que, dans l’intervalle, Pillar vende ce qui reste d’actifs du portefeuille d’Immo-Croissance (qui fut dans les années 1990 un des plus gros fonds immobiliers luxembourgeois), la Cour d’appel a donc placé des verrous sur la société en nommant un administrateur provisoire. Son arrêt n’a fait d’ailleurs que confirmer une première décision de placer les actions sous séquestre, alors que sur les huit immeubles que le fonds avait en portefeuille à la fin décembre 2009, il n’en restait plus que quatre au 31 décembre 2012. Une des «belles pièces» de l’actif fut l’immeuble Villa Churchill vendu par Pillar à la société Conimar, appartenant à l’étude EHP, qui entendait le détruire pour lui substituer un bâtiment ultra design conçu par un célèbre cabinet d’architectes de Miami. La Ville de Luxembourg s’oppose toutefois à cette destruction au nom de la protection de ce quartier à proximité du parc municipal.

Immo-Croissance a connu un destin chaotique depuis son rachat en 2007 par BG Real Estate Europe, filiale de la société islandaise Baugur Group appartenant elle-même à Kaupthing. Pour en financer l’acquisition, la banque lui accorda un prêt de 122 millions d’euros, mais sans aucune garantie. Une subtile opération financière entre BG Real Estate et Kaupthing va faire qu’Immo-Croissance se retrouvera débitrice du prêt de 122 millions ayant servi à financer l’acquisition de ses actions propres. Mais à l’échéance du prêt fin octobre 2008, la Sicav s'est trouvée incapable de le rembourser. Et le 9 octobre de cette année, la banque Kaupthing Luxembourg, en panne de liquidités, était placée en sursis de paiement.   

... au pigeon italien

La banque cherche alors un repreneur pour Immo-Croissance. Le sort tombe sur un «pigeon» nommé Umberto Ronsisvalle qui signe un contrat de rachat pour 5,5 millions d’euros. Le contrat est toutefois assorti de conditions, notamment un refinancement du premier prêt.

Aussi, Kaupthing accorde un prêt de 123 millions d’euros à Immo-Croissance, mais s’entoure cette fois de garanties et de sûretés sur des biens immobiliers ainsi que sur le patrimoine de l’investisseur italien. Il n’y a pas eu de sorties d’argent pour la banque islandaise, car ce prêt allait servir à refinancer le précédent, accordé sans garanties. C’est donc une bonne affaire pour Kaupthing. Moins bonne pour le repreneur transalpin.

Car, en février 2009, 50 minutes après avoir accordé une mise de fonds à Ronsisvalle et R Capital, la banque se rétracte brusquement et lance dès le lendemain des poursuites via des saisies-arrêts dans plusieurs banques luxembourgeoises pour réaliser les gages mis en garantie par l’Italien. Kaupthing lui réclame alors 35 millions d’euros.

Immo-Croissance revient dans le giron de Pillar Securitisation, car dans l’intervalle Kaupthing a été vendu à des investisseurs britanniques et les actifs «pourris», dont fait partie la Sicav, ont été cantonnés dans cette «bad bank». Ainsi dépossédé, Umberto Ronsisvalle, se bat depuis lors pour remettre la main sur la société et son portefeuille immobilier.

Circonstances frauduleuses

En première instance, les juges luxembourgeois avaient qualifié les circonstances de sa dépossession de «frauduleuses» et avaient – grande première sur la place financière – fait annuler les gages sur Immo-Croissance.

En parallèle, les actions de la Sicav avaient été placées sous séquestre par le juge des référés le 17 décembre 2013 et Yann Baden avait été nommé une première fois administrateur provisoire, mais Pillar avait fait appel de la décision.

La Cour supérieure de justice a confirmé le 22 octobre dernier sa désignation avec «la mission de gérer et administrer la société en attendant de voir toiser au fond la question de la propriété des actions actuellement détenues par Pillar Securitisation sàrl dans Immo-Croissance Sicav-Fis ou en attendant un accord à intervenir entre parties».

Le régime de l’administration provisoire, assez rare au Luxembourg, a été officialisé cette semaine par le Registre de commerce et des sociétés.