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PhD en littérature moderne et littérature comparée, titulaire d’une licence de droit public, Karine Touati a plus d’un tour dans son sac! Après différents emplois dans des agences de communication et un cabinet de recrutement, Karine prend son destin en main et crée sa propre agence, Kosmo Communications, appréciant la liberté de mouvement et de création de cette petite agence, qui fait tout sauf l’événementiel!
Karine Touati, qu’est-ce qui vous décide à étudier le chant classique?

«C’est dans la famille! Mon grand-père, colonel dans l’armée française, était violoniste. Certes un violoniste du dimanche, mais il y a cet espèce d’archétype familial tourné vers la musique. Maman chantait dans un chœur classique à Metz qui s’appelle l’A.L.A.M. (Association lorraine des amis de la musique, ndlr.). A la maison, nous avons toujours eu deux sortes de musiques; L’opéra du côté de maman, qui écoutait à plein volume, en faisant le ménage, Nabucco de Verdi, et Ella Fitzgerald avec mon père… aussi à tue-tête! J’ai donc été bercée dans les deux ambiances.

Comme tous les enfants, j’ai commencé à chanter dans les chorales et j’ai été repérée par une professeur de chant qui dirigeait, à ses heures perdues, l’ensemble vocal dont je faisais partie. Elle a été intéressée par ma voix, assez rare en classique, car je suis contralto. Mais leur répertoire n’était pas très large, pas vraiment fun voyez-vous, genre malheur, tristesse, etc. Du coup, je m’étais spécialisée dans le baroque anglais, pas mal de Purcell, et aussi des morceaux originellement écrits pour des ténors. L’ambitus du contralto rejoint presque celui du ténor et ce que chante un ténor, je peux le chanter. Pendant 5 ou 6 ans, j’ai régulièrement pris des cours. On a monté Carmen au théâtre de Metz et j’ai interprété une partie du rôle, nous étions trois à le partager. Il fallait une grande discipline, mais c’était déjà une passion.

C’est alors qu’en 1992 arrive la «catastrophe», vous commencez à fumer?

«J’avais une vingtaine d’années, j’étais jeune, bête et je voulais faire comme mes copines (rires)! C’est là que ma prof de chant m’a dit: «Tu dois choisir, tu ne peux pas faire les deux, alors au revoir». A l’époque, j’avais deux à trois heures d’exercices par jour…

…donc un rapport évident avec l’évolution vers un autre timbre de voix…

«En faisant du rangement, j’ai retrouvé d’anciennes partitions que j’ai essayé de chanter. Cela ne donnait plus rien, la voix n’était plus entraînée, ce n’était plus le même travail. J’ai eu alors l’opportunité de rentrer dans le groupe de jazz Continuum: onze musiciens avec une magnifique section de cuivres. Ils cherchaient une chanteuse et m’ont proposé de passer une audition. Je dis en arrivant que je viens du classique. Je connaissais les standards que papa écoutait à fond, les Summertime, My Funny Valentine etc. Je les ai donc interprétés au casting, mais à la manière classique. Ils m’ont regardée et m’ont dit que ce n’était pas du tout cela qu’il fallait faire, que je retourne à mes disques avant de revenir les voir. J’ai donc abandonné cette façon classique de chanter. Mon père m’a écoutée interpréter Summertime et m’a confirmé que c’était mieux.

Une transition somme toute assez aisée? «Disons naturelle, car c’était un type de musique que j’avais dans l’oreille, des sons qui venaient de l’enfance. L’oreille s’habitue à certaines sonorités, pour certains cela peut être l’accordéon ou les airs populaires. Alors, même sous la douche, je ne fredonnais plus des airs d’opéra, mais des standards de jazz et j’ai remisé mes disques classiques.

En 1995, chanteuse dans le Big Band de jazz à Metz?

«Les musiciens de Continuum faisaient des renforts lors de concerts assez prestigieux à l’Arsenal. Un jour, le Big Band se produit dans une soirée spéciale Gershwin, pain bénit pour moi. Ils me demandent si je suis intéressée. Une soirée à l’Arsenal, c’était fantastique et une très belle expérience pour moi. Imaginez, vous êtes chanteuse, avec derrière vous une vingtaine de gaillards qui soufflent, plus la rythmique, une trentaine sur scène. C’était le big band classique, à la Claude Bolling. Faire un truc comme cela, j’adore! J’aime le jazz actuel, mais je suis très attachée, comme vous l’avez compris, à Count Basie, Bolling et autres du genre, avec des trompettes fulgurantes, des saxos, des trombones… J’aime beaucoup!

Vous avez parlé du travail personnel dans le classique. Et pour le jazz?

«Ce n’est pas la même chose, c’est un peu de la musique pour paresseux (rires). Une fois qu’on connaît son standard et que l’on reste dans le répertoire, on lui donne la couleur que l’on veut en fonction de son humeur. J’ai chanté à peu près trois cents fois Summertime, mon morceau fétiche, jamais deux fois de la même façon. On connaît la "grille de chant" et après on fait ce qu’on veut. On se cale sur les musiciens, sur le tempo, la tonalité. C’est souvent de l’improvisation et c’est ce que j’aime dans cette musique.

Dans le classique, on te dit quand respirer, comment moduler, quel vibrato tu dois placer, la puissance que tu dois mettre dans chaque note. Après, c’est l’émotion de la chanteuse, le grain de la voix qui va faire la différence. Une Montserrat Caballé ou une Callas chanteront de la même façon, elles respirent au même moment et de la même manière, les pauses sont écrites. En jazz, on fait ce qu’on veut, c’est une grande liberté. Mais, j’ai un peu la nostalgie des années 50, Cotton Club, un piano dans un coin, une chanteuse, belle dans une longue robe. Le jazz actuel a perdu son côté très feutré, il est devenu très technique.

N’avez-vous pas de problèmes avec l’orchestre?

«Avec le Big Band, un peu. Ils sont nombreux et ils ont des partitions. Par contre, en quartet ou en trio, on se suit, une sorte de gentleman’s agreement. On se regarde, on se fait des clins d’œil, c’est très libre. Bon, je sais que j’ai parfois un petit problème de rythme, je ne suis pas "carrée", ils doivent me suivre, sinon ça part n’importe comment et tous les batteurs me le disent! Alors, je me défausse avec ça, car je sais que la plupart des chanteuses ont ce problème. Celles qui sont toujours calées, comme Diana Krall, sont avant tout pianistes. Elles ont un métronome dans la tête.

Jouez-vous du piano ou de tout autre instrument de musique?

«Non. J’ai une bonne oreille, je pourrais d’une main jouer le thème d’un standard sans trop me tromper, mais je ne suis pas musicienne.

2002-2004, vous êtes la chanteuse du groupe Orange Noire, quels souvenirs?

«Les premiers concerts à Luxembourg. J’ai toujours eu la chance de chanter avec des musiciens exceptionnels, qui ont un vrai sens professionnel, à l’écoute, avec l’envie de donner et qui m’ont amenée à me dépasser. C’est important, surtout dans le jazz, et je leur rends vraiment hommage à tous. Du reste, depuis 2004, je joue toujours dans Bullit avec le bassiste d’Orange Noire. Leur batteur fait une carrière internationale, il part en tournée dans le monde entier. Benoit, leur guitariste, est en tournée à Cuba. Je ne pourrai pas citer un souvenir particulier, car chaque concert, même le plus intime, est unique… On a fait aussi des "bides" monumentaux.

Cela doit être déstabilisant?

«La première fois, on a l’impression d’être sur une autre planète. On est sur scène, donnant le meilleur de soi, il y a des gens qui tournent le dos et qui, après, vous disent que c’était super. Ils n’ont pas regardé! On s’habitue à cela. Le meilleur concert que j’ai en mémoire, c’est celui de la NAMSA, l’année dernière. Un public exceptionnel qui est tout de suite rentré dans le jeu. Et là, on n’a plus envie de descendre de scène! On donne quelque chose aux gens et on est content qu’ils le reçoivent, qu’ils le gardent.

Comment vous préparez-vous avant un concert?

«D’abord le choix du style en fonction de la moyenne d’âge, car si elle est autour de 30-35 ans, le jazz risque de tomber à plat. Dans notre groupe, on a un large répertoire qui va du jazz à la variété, qu’on a transformée en jazz. De la sorte, on ne perd pas notre identité. Pour en revenir à la préparation, les musiciens font un travail d’arrangement en amont, car refaire comme sur le disque n’offre aucun intérêt. On va donner une couleur un peu différente, ensuite, d’après l’ambiance, et si les gens ont envie de danser, on interprète des morceaux un peu plus chaloupés. En résumé, nous avons une feuille de route et ensuite, nous dosons. On se concerte souvent.

On n’a pas parlé du Blues!

«J’en ai fait aussi, avec des copains, des vieux blues bien "graisseux". C’est une musique qui me parle aussi, mais j’avoue que je n’ai pas une culture blues très riche, bien que je connaisse mes classiques. Un blues en "bœuf" dans une soirée, les musiciens démarrent, et toi après, tu fais du "yaourt" en mi ou en ré à côté, pour le plaisir. Mais, de toute façon, le jazz vient du blues mais pour ce dernier, c’est beaucoup plus de l’improvisation, on peut rester sur l’accord pendant trois minutes.

Un souhait pour l’avenir musical?

«J’aime les grandes formations, la communion, l’élan. Chanter en français ne m’a jamais intéressée, écrire des textes je l’ai déjà fait, donc mon souhait sera simplement de continuer à faire ce que j’aime avec des gens qui aiment le faire. Aussi, j’adorerais faire du doublage de film afin d’exploiter tout le côté unique de la voix, le côté émotion. La voix est un vecteur de communication exceptionnel.

On se rapproche là de votre métier?

Oui, on peut faire passer n’importe quelle idée avec une voix!»