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 Crédit Photo: Castegnaro-lus Laboris Luxembourg

En l’espèce1, l’employeur reprochait à son salarié, responsable juridique, qui avait déjà fait l’objet d’un licenciement avec préavis pour d’autres faits, d’avoir:

  • envoyé à sa compagne avocate, depuis sa messagerie professionnelle, des e-mails contenant des fichiers relatifs à des documents internes à l’entreprise et aux clients de l’employeur
  • reçu sur son adresse e-mail professionnelle, des e-mails professionnels de la part de sa compagne, contenant des modèles d’un contrat de licence de marque, d’une procuration et d’une délégation de pouvoirs ainsi que des procès-verbaux de liquidation d’une société.

Ces faits, qui avaient été commis avant le licenciement avec préavis, mais découverts par l’employeur durant le préavis, ont entraîné la rupture pour faute grave du contrat de travail du salarié, qui interdisait expressément l’usage privé du matériel informatique mis à sa disposition par l’employeur.

Selon l’avocat du salarié, ces e-mails ne pouvaient pas faire l’objet d’un contrôle de l’employeur sur base du principe du secret des correspondances, et ne constituaient donc pas un moyen de preuve licite. A fortiori, ils ne pouvaient pas, selon lui, justifier un licenciement avec effet immédiat.

Les juridictions ont toujours reconnu l’applicabilité du principe du secret des correspondances2 sur le lieu de travail, empêchant ainsi l’employeur de lire la correspondance personnelle et privée de ses salariés, bien qu’émise et reçue depuis l’ordinateur professionnel3.

Cependant, il est admis que l’employeur puisse porter atteinte à la vie privée de son salarié si les conditions de l’entreprise l’exigent et sous réserve de respecter certaines conditions, le garde-fou étant le respect de l’intimité de la vie privée du salarié.

Pour la Cour:

  • constitue une preuve illicite, le document qui porte sur des données à caractère personnel et privé du salarié;
  • il n’est pas permis à l’employeur de mettre l’ordinateur de travail du salarié, y compris sa messagerie, sous un contrôle exclusif et régulier.

En application de ces principes, la Cour reconnaît les e-mails litigieux comme modes de preuve valables, alors qu’il ne ressort pas des faits de l’espèce:

-       que ces e-mails (sauf un4) auraient été stockés dans un fichier «privé», et

-       que l’employeur aurait enregistré les données du salarié et effectué une surveillance continue et exclusive de sa messagerie.

En effet, l’employeur avait découvert ces e-mails en effectuant une recherche ponctuelle dans la messagerie professionnelle du salarié durant le préavis de ce dernier, dans le cadre de la clôture des affaires en cours.

La Cour juge toutefois que le licenciement avec effet immédiat motivé par ces e-mails est en l’espèce abusif, faute pour l’employeur d’avoir précisé les conséquences qu’aurait pu avoir l’envoi de ces e-mails, voire le dommage qu’il aurait subi suite à ces échanges.

Cet arrêt confirme la tendance jurisprudentielle actuelle5 qui peut se résumer ainsi:

-       l’employeur peut contrôler occasionnellement l’ordinateur du salarié y compris sa messagerie professionnelle (à condition, selon nous, que des indices ou soupçons préalables le justifient ou si cela est nécessaire pour la poursuite des affaires au moment du départ du salarié dans l’entreprise),

-       tout document découvert dans le cadre de ce contrôle qui porte sur des données strictement professionnelles constitue en principe un moyen de preuve licite.

Vigilance doit dès lors être faite dès que les fichiers dans lesquels sont découverts les échanges sont répertoriés comme «privés» ou dès que les courriers électroniques comportent un objet caractérisé comme «privé» ou laissant manifestement supposer qu’il est privé. Dans ces cas, l’ouverture des e-mails ne devrait en principe pouvoir s’effectuer qu’en présence du salarié et/ou avec son autorisation expresse.

 

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Cour d’appel, 31 mai 2018, n°43972 du rôle

1 Cour d’appel, 31 mai 2018, n°43972 du rôle

2 L’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales du 4 novembre 1950 prévoit que «Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance».

3 Cf. notamment Cour d’appel, 12 novembre 2015, n°41245 du rôle; Cour d’appel, 3 mars 2011, n°35462 du rôle; Cour de cassation, 2 octobre 2001, n° de pourvoi 99-42942 (arrêt Nikon). Ce principe a également été rappelé par la CEDH dans son arrêt du 22 février 2018, n°588/13, Libert c/ France.

4 Un e-mail avait été envoyé par le salarié depuis sa boîte professionnelle sur l’adresse e-mail privée de sa compagne.

5 Cour d’appel, 12 novembre 2015, n°41245 du rôle; Cour d’appel, 3 mars 2011, n°35462 du rôle.