Le Conseil d'Etat a rendu un avis pour le moins mitigé quant au projet de loi portant création de l'Université de Luxembourg. La pondération de la haute corporation n'a, ainsi, guère apprécié l'impression d'urgence qui se dégage dans le traitement législatif de ce texte. Et elle ne s'est pas privée pour le dire, ne serait-ce que pour regretter l'absence totale de traitement du volet financier au sein même du projet de loi. Mais au-delà de quelques considérations purement "matérielles", elle n'en reste pas moins relativement favorable à un texte pour lequel elle ne souhaite apporter que quelques menues retouches.
La principale de ces retouches concerne la composition du rectorat de l'Université, autrement dit son organe exécutif, et plus particulièrement les compétences attribuées au recteur. Le Conseil d'Etat a, ainsi, marqué son "étonnement devant son pouvoir à engager, par sa seule signature, une somme jusqu'à concurrence de 250.000 Euro pour autant qu'à son jugement ces affaires correspondent à la politique générale définie parle conseil de gouvernance. (...) Pour une institution nouvellement créée et d'une importance telle que la nouvelle Université, il est impensable de confier le pouvoir exécutif à une seule personne".
Aussi le Conseil souhaite-t-il, préférentiellement, que l'exécutif de l'Université soit de type collégial, ce système étant, à ses yeux, "la seule forme décisionnelle actuellement admise pour la gouvernance des grandes entités publiques ou privées. (...) Le principe dit 'des quatre yeux' constitue la meilleure mesure préventive de décisions arbitraires, voire de dysfonctionnements graves, notamment en matière de gestion financière" assure la haute corporation, qui ne conteste pas, par ailleurs, que certaines compétences exclusives soient réservées au recteur. Son domaine d'action pourrait ainsi se "limiter" à la présidence du rectorat et du conseil universitaire; à la représentation de l'Université à l'égard de tiers ainsi qu'en justice; à la liaison avec les autorités nationales et le conseil de gouvernance; à la garde du sceau de l'Université, pour la délivrance de grades, diplômes et certificats; au respect du maintien de l'ordre dans les locaux de l'Université et à la mise en oeuvre du règlement d'ordre intérieur.
Il reviendrait alors au rectorat l'élaboration de toutes les politiques générales et choix stratégiques; les budgets; les rapports annuels; les créations de structures; les affiliations des personnels ou les négociations de contrats.
La composition du conseil universitaire est également dans le viseur du Conseil d'Etat, qui souhaite réduire sensiblement le nombre de ses membres. D'après ses calculs, ce conseil serait composé de plus d'une trentaine de personnes, parmi lesquelles les représentants des étudiants seraient majoritaires (deux représentants par faculté et par niveau, ce qui ferait 18 en comptant trois Facultés et trois niveaux par Faculté).
Le Conseil suggère donc de "revenir à des proportions plus raisonnables", en réduisant le nombre de représentants des enseignants chercheurs à deux par Faculté, et celui des représentants des étudiants également à deux par Faculté, sans égard à leur niveau.
Enfin, concernant la validation des acquis professionnels "pour justifier tout ou partie des connaissances et aptitudes exigées pour l'obtention d'un diplôme ou d'un titre délivré", le Conseil d'Etat marque son profond désaccord avec cette idée, trouvant inconcevable qu'une personne puisse obtenir un diplôme (ou titre de l'Université à créer) sur la base de la seule validation de tous les acquis de son expérience professionnelle, sans y avoir suivi le moindre enseignement ni s'être soumis à la moindre épreuve. Il demande donc à ce que cette validation se limite à justifier, seulement, une partie des aptitudes exigées pour l'obtention d'un diplôme ou d'un titre.
Dans ses considérations générales, le Conseil d'Etat marque sa totale approbation au principe de mettre sur pied une université spécialisée alliant recherche et enseignement de taille réduite et à rayonnement international, ce qui lui conférerait "une identité propre, visible, axée sur l'exploitation optimale des potentialités offertes par notre pays". Il se montre, en revanche, guère convaincu de la répartition des trois facultés (celles des Sciences, de la Technologie et de la Communication; la Faculté de Droit, d'Economie et des Finances et celle des Lettres, des Sciences humaines, des Arts et des Sciences de l'éducation) en trois lieux distincts, y voyant plus d'inconvénients qu'autre chose: difficulté d'identification de l'institution par d'autres pays et communautés académiques; coûts de fonctionnement accrus; risque d'absence de masse estudiantine critique par site; risque de retombées culturelles connexes moindres, découlant de la limitation de cette présence estudiantine.
Enfin, la haute corporation souhaite qu'une association plus étroite soit menée entre les centres de recherche publics existants et l'Université, et non pas une simple "concertation', ceci afin d'éviter des doubles emplois. "Par ailleurs, des centres de recherche publics liés plus intimement à l'Université pourraient jouer le rôle des Institutes for Advanced Studies dans des universités renommées" estime-t-elle.
A la lecture de cet avis, Erna Hennicot-Schopeges, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, n'a pas caché sa satisfaction. C'était la semaine dernière, lors de la présentation officielle du portail Internet de l'innovation et de la Recherche. "Le projet d'Université constitue un projet d'avenir porteur dans le cadre des activités de recherche" a-t-elle insisté, souhaitant que l'avancée du dossier soit rapide.
La fiche financière du projet, éditée en marge du texte du projet de loi, indique que le coût total (comprenant l'existant et les nouveaux développements) pour 2003 est de 33,69 millions d'Euro pour l'ensemble des institutions (Centre universitaire, Institut Supérieur de Technologie et Institut Supérieur d'Etudes et de Recherches pédagogiques).
Le législateur table ensuite sur une progression de 12% par année sur une période de 7 ans, ce qui équivaut à la mise en place de 4 nouveaux enseignements par année. "Cette progression permet la définition de priorités dans 8 disciplines" prévoit le texte, qui établit alors le coût total du projet à 74,457 millions d'Euro.
Concernant la rémunération du recteur, le projet de loi préconise une fourchette assez large comprise entre 110.500 Euro et 172.000 Euro par an. Les membres du conseil de gouvernance, eux, se verraient attribuer une indemnité de 500 Euro par séance (bimensuelles). L'indemnité du président serait, elle, de 650 Euro par séance.