Eve Barre, la veuve de l’ancien Premier ministre Raymond Barre, décédé en 2007, et la société luxembourgeoise constituée il y a deux ans par leurs deux enfants Olivier (59 ans) et Nicolas (53 ans), ont engagé un recours devant le tribunal administratif pour s’opposer à la transmission d’informations qui ont été réclamées par le fisc français à l’Administration des contributions directes (ACD). Cette dernière a accepté l’échange, estimant que les conditions de la coopération administrative étaient réunies.
Le recours a été plaidé ce lundi après midi, devant les juges, dans le cadre de la procédure accélérée.
Peu d’informations ont filtré à l’audience publique, puisque la procédure écrite prévaut devant les juridictions administratives.
On a toutefois pu y apprendre que l’ACD a dit oui le 19 mai dernier à une demande d’échange de renseignements en provenance de l’administration française, mais qu'Eve Barre et la société luxembourgeoise ONB Invest, dans laquelle on retrouve ses deux fils, s’y sont opposés en déposant un recours en annulation de la décision devant les juges administratifs.
Des doutes sur la compétence de l’autorité française requérante
L’avocat André Lutgen, qui est passé maître dans ce type d’affaires et qui est parvenu à faire retoquer pas mal de demandes d’échanges d’informations en raison de leur manque de base légale, s’est interrogé lundi à l’audience sur la qualité et la compétence de l’autorité requérante française.
Car celui qui a signé la demande n’est pas l’attaché fiscal Remy Verneau, l’homme de Bercy qui habituellement fait la traque depuis l’ambassade de France à Bruxelles aux exilés fiscaux et aux prétendus fraudeurs des impôts. La demande officielle des autorités françaises est ainsi signée par un certain Cyril Alidor qui, d’après le site de l’ambassade de France à Luxembourg, serait un «adjoint de l’attaché», dépendant du ministère du Budget.
Propriété dans le sud de la France
«C’est un peu comme si la greffière du juge Van Ruymbecke signait les demandes d’entraide en matière pénale», a déploré Me Lutgen en contestant la validité de la procédure administrative. «Ce n’est pas histoire de gagner du temps» que ses clients ont engagé un recours administratif contre la levée du secret bancaire, mais pour que la justice administrative reste «droite dans ses bottes» et fasse respecter la procédure.
Le contentieux entre le fisc français et le «clan» Barre porte sur la vente d’une propriété de l’ancien Premier ministre français dans le sud de la France. Bercy soutient que la veuve de Raymond Barre a fait une donation à ses deux enfants (et réclame donc les taxes en conséquence), alors que ces derniers prétendent avoir acheté la maison et l’avoir placée dans une société luxembourgeoise du nom d'ONB Invest, qui est aussi au cœur de la procédure devant le tribunal administratif.
Rien n’a filtré à l’audience pour savoir si cette structure a profité du régime d’imposition ou plutôt de non-imposition inscrit dans la convention bilatérale existant entre Paris et Luxembourg, qui prévalait pour les biens immobiliers situés dans l’Hexagone et détenus par les entités au Grand-Duché. Le texte a d’ailleurs fait l’objet d’un toilettage récent pour mettre fin aux situations de non-imposition.
Rien d’une officine secrète
Constituée le 16 novembre 2012, la société anonyme ONB Invest n’a rien d’une officine secrète des fils de Raymond Barre. Nicolas et Olivier, qui indiquaient à la constitution de la société de participations une adresse à Genève, y apparaissent ouvertement comme les deux actionnaires uniques, et siègent dans le conseil d’administration aux côtés d’un fiscaliste juriste. De plus, la comptabilité est à jour.
Le bilan 2013 renseigne d’une participation dans Eurl Les Dauphins en France, société qui s’est vu accorder un prêt de 7,619 millions d’euros, lequel prêt avait généré l’année dernière des intérêts de 59.574 euros (taux Euribor à 12 mois augmenté de 0,5%). Une «avance sans intérêt» a été accordée à la structure luxembourgeoise par ses actionnaires pour un montant de 7,565 millions d’euros.
Les comptes ONB Invest signalent en outre le paiement de l’impôt sur le revenu des collectivités (5.500,79 euros) et de l’impôt commercial communal (1.759,50 euros).
Olivier Barre, 59 ans, fut directeur puis président de KBL France. Le fils aîné de Raymond Barre et la filiale française de la KBL avaient été épinglés en 2004 par l’Autorité des marchés financiers en France (AMF) pour infraction à la réglementation financière.
Olivier Barre avait été personnellement mis en cause, selon la presse financière de l’époque, pour ne pas avoir exercé en 2000 et 2002 ses fonctions avec «diligence» et «loyauté», mais la sanction du gendarme français des marchés financiers fut retoquée par le Conseil d’État en 2006. L’amende qui lui fut infligée fut ramenée de 800.000 à 30.000 euros et, de plus, l’AMF fut condamnée à lui payer les frais d’instance (5.000 euros).