Régis Salaris est le head of IT d'IWI (International Wealth Insurer). (Photo: Jessica Theis)

Régis Salaris est le head of IT d'IWI (International Wealth Insurer). (Photo: Jessica Theis)

Monsieur Salaris, après 15 années d’expérience au Luxembourg, comment pouvez-vous résumer l’attrait de l’informatique que vous exercez désormais en tant que head of IT?

«L’informatique implique une gestion de la transformation et du changement, notamment via l’innovation. Il me permet de contribuer à la transformation de l’entreprise et de développer des équipes efficaces pour relever des défis. Pour cela, je travaille principalement sur trois axes: les pro­­cessus, l’architecture et les personnes. L’infor­matique recouvre en effet de nombreux aspects techniques, mais sa composante principale est humaine. La coordination d’une équipe et l’écoute attentive des besoins et des attentes des collaborateurs qui la composent sont importantes pour parvenir aux objectifs ambitieux fixés.

Considérez-vous dès lors votre rôle comme celui d’un tampon entre votre équipe et les demandes de vos collègues du métier?

«Compte tenu du flux de demandes généré par ces derniers et de l’environnement dynamique dans lequel nous évoluons, nous nous devons d’être flexibles. Il est donc nécessaire de mettre en place les méthodes ad hoc pour contrôler ce flux, donner de la visibilité à nos clients internes et offrir aux collaborateurs une vision claire quant aux objectifs qu’ils doivent atteindre. Je considère que ma mission est d’imaginer les méthodes pragmatiques correspondant à nos besoins informatiques, mais aussi au développement des collaborateurs.

Quelles sont ces méthodes?

«Mes expériences précédentes m’ont permis de tester et de me familiariser avec les méthodes agiles, en l’occurrence Scrum. En l’utilisant à la Bil puis chez Lombard, j’ai pu nettement améliorer l’efficacité de l’équipe et répondre beaucoup mieux aux attentes. Je suis sans cesse à la recherche d’optimisation et d’amélioration continue, ce qui m’a conduit à m’inspirer en complément de Scrum, de Kanban, méthode développée par Toyota pour optimiser sa production et réduire le gaspillage.

Je l’ai expérimentée pour gérer le support métier et le release management en définissant notre chaîne de valeur et en fixant des limites à chaque étape pour délivrer au plus vite. Outre ces aspects de productivité, les boards affichés sur nos murs donnent une bonne visibilité à nos collègues hors département de ce qui est dans le flux. C’est du management visuel. Au niveau des ressources humaines, l’approche neurocognitive et comportementale de l’INC (Institute of NeuroCognitivism, ndlr) me permet de mieux cerner les personnalités de mes collaborateurs.

Ce type de change management a-t-il été facile à faire accepter ?

«Lorsque je suis arrivé chez IWI, le département informatique disposait déjà de ses propres méthodes. J’ai procédé par approche progressive. Mais le secret de la gestion du changement et de la réussite des méthodes agiles réside dans l’implication des collaborateurs de l’équipe et, plus largement, de nos collègues du métier.

La communication est dès lors un élément intrinsèque de la réussite de vos projets…

«C’est effectivement un élément essentiel. Nous pratiquons une communication transparente afin d’éviter toute mauvaise compréhension. En faisant des démonstrations toutes les deux semai­nes, nous nous assurons que la réponse que nous apportons répond toujours aux besoins de nos collègues, qui sont aussi nos clients internes. J’estime d’ailleurs que nous devons remplir un contrat moral vis-à-vis d’eux: leur apporter le plus rapidement possible une valeur ajoutée correspondant à leurs attentes.

Nous avons d’ailleurs créé des équipes mixtes dédiées à la gestion de chaque projet et qui réunissent des membres de l’équipe informatique et des collègues du métier. Ce mode de fonctionnement entraîne des habitudes dans les contacts, à savoir susciter la responsabilité de part et d’autre. C’est aussi un moyen pour un service de support de travailler son image en interne.

Est-ce à dire que les fonctions telles que celles que vous coordonnez sont parfois mal perçues?

«Les services de support sont encore souvent considérés comme des centres de coûts. Il nous revient de démontrer que les coûts, parfois importants, de la gestion informatique d’une entreprise s’expliquent et sont justifiés, même s’il est évidemment possible de les réduire en améliorant les processus.

Comment gérez-vous cette composante des coûts à votre niveau?

«Pour optimiser nos processus, réduire nos coûts et nos risques, il faut bien comprendre l’architecture globale du système informatique et la stratégie de l’entreprise. Je pense qu’il est nécessaire de maintenir une certaine simplicité de son système d’information, en évitant de rajouter des couches qui peuvent complexifier l’ensemble et ainsi rendre difficiles les opérations de maintenance. La première année que j’ai passée au sein d’IWI m’a permis de travailler sur ces aspects afin d’éliminer progressivement ce que je qualifierai de dette technique. Mon souci a notamment été de cerner les redondances éventuelles tout en responsabilisant l’équipe afin d’éviter de complexifier davantage l’architecture. Celle-ci doit en effet se résumer à la combinaison d’un système opérationnel et d’une architecture permettant la réutilisation des services (SOA). J’ai alors préféré une remise à plat de nos trois systèmes de gestion de polices d’assurance pour reprendre la maîtrise des données et faciliter l’opérabilité de la plateforme.

Comment définiriez-vous une donnée de bonne qualité?

«Il s’agit d’une donnée à la fois pertinente, complète et précise. D’où l’importance de pouvoir prendre le contrôle de son modèle pour gagner en efficacité opérationnelle et une meilleure prise de décision. Elle est au centre de notre pratique.

La simplicité est-elle votre atout principal?

«Absolument. Elle implique notamment la mise en place de bonnes pratiques pour assurer un socle solide au système d’information.

Une fois cette base établie, nous pouvons nous concentrer sur la création des systèmes innovants; notre différentiateur et valeur ajoutée sur le marché.

La simplicité est également un enjeu dans un contexte réglementaire qui va vers une complexité croissante, qu’il s’agisse de Solvency II, Fatca, Twin Peaks II ou de la directive Emir. Chaque année, nous sommes concernés, d’une manière ou d’une autre, par plusieurs nouvelles règlementations qui ont des répercussions sur la gestion de nos données et sur nos processus.

Que recouvre selon vous la notion de big data?

«Chaque année amène sont lot de tendances qui entrent ensuite dans l’usage du métier, qu’il s’agisse d’EAI, SOA, des méthodes agiles, cloud ou désormais du big data. C’est du reste un enjeu qui ouvre des perspectives intéressantes pour de l’analyse et l’aide à la décision. On voit déjà apparaître des premières applications, notamment celle d’IBMavec Watson, qui a pour objectif de construire un ordinateur capable de penser comme un humain. En résumé, cette application comprend le langage naturel, d’où sa capacité de répondre à des questions avec un taux de réussite assez impressionnant. La médecine, les assurances et tout autre domaine peuvent y trouver un intérêt. L’intelligence artificielle va enfin pouvoir sortir des laboratoires.

Quelle est la valeur ajoutée que vous comptez apporter en tant que head of IT pour les clients finaux d’IWI?

«Je dirais tout d’abord que je dois assurer une certaine veille technologique tout en me tenant suffisamment au courant des évolutions du métier pour trouver les réponses adéquates aux besoins du moment. Concernant nos clients, nous opérons dans un contexte B2B avec des revendeurs de nos produits qui sont eux-mêmes au contact des preneurs d’assurance. L’un de nos défis majeurs est d’offrir à nos intermédiaires une information de qualité, facilement accessible, afin qu’ils puissent fournir la meilleure solution à leurs clients.

Comment se passe la communication avec la direction de votre société, notamment en matière de gestion du changement?

«Je travaille en ligne directe avec notre CFO, Benoit Felten; il est mon supérieur hiérarchique. Ce qui m’amène à évoquer la notion de sponsor qui me paraît indispensable pour la réussite d’un projet, a fortiori dans la gestion du changement. Nous travaillons en binôme lorsqu’il s’agit de faire valider des projets au niveau du comité de direction, et j’avoue qu’il est rassurant de pouvoir compter sur un supérieur qui comprend vos impératifs. C’est du reste aux professionnels des services de support d’adapter leur communication auprès de leur cible pour obtenir leur compréhension et approbation.

Trouvez-vous facilement les services dont vous avez besoin auprès des fournisseurs luxembourgeois?

«Concernant les infrastructures (IaaS et PaaS), je constate que les investissements publics des dernières années ont percolé auprès des opérateurs privés qui se sont considérablement améliorés. En revanche, avec la spécificité luxembourgeoise de devoir garder les données sur le territoire, il reste du chemin à parcourir pour le Software as a Service (SaaS). De nombreuses sociétés veulent investir ce créneau, sans toujours être capables d’apporter la réponse adéquate. Il est, cependant, possible de trouver des réponses aux besoins des ressources humaines, par exemple. Je pense que l’offre va s’étoffer au fur et à mesure, d’autant plus que le Luxembourg a une belle carte à jouer en la matière, précisément en capitalisant sur son infrastructure sécurisée.

Quelle est votre perception du marché de l’assurance par le filtre de votre métier?

«Il y aura forcément toujours un marché pour les produits d’assurance qui sont essentiels pour chaque segment de la population. J’observe dans le même temps que les changements réglementaires impliquent une gestion des coûts de plus en plus rigoureuse et de nouveaux coûts qui ne sont pas forcément compressibles. D’où ma prévision de voir, à moyen terme, le marché évoluer vers un regroupement de certains acteurs ou la disparition de plus petits au profit de structures de plus grande taille.»

Parcours

Combiner efficience et bien-être

Actif au Luxembourg depuis une quinzaine d’années, Régis Salaris (40 ans) est tout d’abord entré dans l’informatique d’entreprise via la banque. Ses missions en tant que consultant l’ont conduit auprès de la Bil (à l’époque encore intégré au groupe Dexia) qu’il a même rejoint en 2000 pour assumer des missions d’architecture technique. Il a ensuite endossé durant trois ans le rôle de chef de projet au sein de l’institution bancaire pour chapeauter différents chantiers, dont la mise en place d’une plateforme dédiée à la sphère du private banking. Sa première approche du monde de l’assurance s’est opérée chez Lombard, entre 2010 et 2012, comme head of IT development. Début 2013, il a intégré IWI (International Wealth Insurer), filiale de Belfius Assurances, pour devenir head of IT aux côtés d’une équipe de 12 personnes. Motivé par les notions d’efficience et de bien-être des équipes, Régis Salaris nourrit ses réflexions par les ouvrages de différents auteurs, lorsqu’il ne pratique pas du sport. Son prochain objectif est d’ailleurs de se remettre à l’aïkido.