Nicolas Henckes déclare avoir beaucoup appris auprès de Michel Wurth et de Jean-Jacques Rommes, les président et administrateur délégué de l’UEL. (Photo: Mike Zenari)

Nicolas Henckes déclare avoir beaucoup appris auprès de Michel Wurth et de Jean-Jacques Rommes, les président et administrateur délégué de l’UEL. (Photo: Mike Zenari)

Après trois ans en tant que secrétaire général de l’UEL, avez-vous changé de point de vue quant au dialogue social au Luxembourg?

«J’ai surtout découvert le dialogue social au niveau national dans la mesure où je l’avais déjà pratiqué en entreprise lorsque je dirigeais Legitech. Cela m’avait d’ailleurs permis de boucler avec succès une négociation de convention collective que j’avais initiée avec l’OGBL. J’ai vu par contre que le dialogue se passait beaucoup moins bien au niveau national, où la bataille se concentre autour de grands principes et de postures peu réconciliables avec les réalités.

C’est donc un constat d’échec du dialogue social national…

«C’est très compliqué d’avoir une discussion un tant soit peu raisonnable, avec une exception notable au niveau de la Caisse nationale de santé pour laquelle chaque partie a su faire preuve de responsabilité en écartant les désaccords pour aller de l’avant. C’est ce qui nous a permis de bien gérer cette caisse, de produire un excédent et d’envisager l’avenir avec sérénité, tout en augmentant des prestations sur un certain nombre d’actes médicaux. Même du côté patronal, nous avons donc aussi été prêts à faire un effort.

La réforme de 2012 allait dans le bon sens, elle a en effet fait reculer un peu le ‘mur des pensions’, mais pas assez loin.

Nicolas Henckes, secrétaire général de l’UEL et directeur de la CLC

Comment faut-il gérer ces réserves compte tenu des projections de l’évolution de la population?

«Il ne faut pas décider de tout dépenser trop vite et prévoir le vieillissement de la population, même active. Cette population qui va vieillir aura de plus en plus recours aux soins médicaux, les dépenses vont donc continuer à augmenter. J’ajoute que la négociation des nouvelles conventions collectives dans le secteur de la santé, les nouvelles lois, par exemple pour la psychothérapie, ou encore la construction de nouveaux hôpitaux vont également générer des dépenses supplémentaires. J’espère que les progrès techniques permettront de maîtriser quelque peu les dépenses.

La robotique peut donc être introduite dans le secteur médical sans briser ce consensus autour de la Caisse nationale de santé…

«Si nous arrivons à le faire progressivement en maintenant le niveau de notre sécurité sociale qui est la meilleure au monde, le consensus demeurera. Si on doit faire évoluer rapidement le système et que celui-ci se retrouve sous pression, nous risquons d’avoir un souci. C’est dans cette même optique que nous avons demandé une réforme anticipée au niveau des pensions afin d’éviter de reporter des choix douloureux sine die. La réforme de 2012 allait dans le bon sens, elle a en effet fait reculer un peu le «mur des pensions», mais pas assez loin.

Or, ce risque lié aux pensions est le principal risque pointé par les agences de notation lors de l’évaluation du pays…

«C’est notre principal risque et c’est la dette à long terme la plus dangereuse que nous ayons. Sans compter que ce système de Ponzi est celui qui nous force à produire une croissance quantitative effrénée, sans quoi le beau château de cartes s’écroulerait.

Les derniers mois ont aussi été marqués par des questionnements et des débats autour du développement du pays vers le million d’habitants. Est-ce un mirage ou une évolution inéluctable?

«C’est une véritable problématique. Les infrastructures progressent plus vite que précédemment, mais toujours pas assez vite au regard de la croissance du pays. L’horizon du million d’habitants en 2060 doit nous pousser à nous demander si nous voulons évoluer vers une cité-État faite de béton. Je ne peux pas imaginer que le Luxembourg devienne cela, avec quelque 350.000 frontaliers projetés par la Fondation Idea vers ce même horizon. Dans le même temps, on pourrait voir des résidents actuels être repoussés vers les frontières… Cette dynamique ne pourra pas être arrêtée totalement, mais nous devons en maîtriser certains éléments pour éviter d’aller trop vite, trop loin.

À quels éléments pensez-vous?

«Nous avons la chance d’avoir encore la capacité d’agir avant d’étouffer dans notre propre circulation. Nous devons notamment agir sur la productivité des entreprises, organiser le travail de manière plus souple. Bref, faire plus avec moins.

Les discussions autour de la réforme sur le temps de travail resteront une déception de votre côté?

«Surtout sur la manière… Il aurait été préférable que le gouvernement nous indique dès le départ ses intentions.

Le patronat se remet-il souvent en question quant à son positionnement?

«Surtout lorsque nous connaissons un échec. Il faut savoir remettre les choses à plat et réajuster les paramètres autour des positions fondamentales. Je note d’ailleurs que la position sur la croissance qualitative, par opposition à une croissance quantitative, a été évoquée pour la première fois au début de l’année 2016 à l’occasion d’une réunion dans le cadre du Semestre européen par notre président Michel Wurth. C’est donc le patronat qui a déclenché ce débat, qui a connu une accélération avec l’étude Rifkin. La majorité gouvernementale s’est emparée du sujet, de même que l’opposition, mais je n’imagine pas qu’il y a 10 ans le patronat aurait été capable d’envisager un autre type de croissance pour le pays. C’est la preuve que nous savons évoluer en fonction de la donne socio-économique.

Que faut-il faire désormais du fameux rapport Rifkin?

«Il faut trouver la façon de l’appliquer et de le vivre. Il faut réaliser les investissements nécessaires pour qu’il devienne réalité auprès des acteurs économiques que sont les entreprises et les consommateurs. Des décisions ont déjà été prises en matière de constructions passives, par exemple, ou encore de stations de chargement de voitures électriques. Ce sont des choses positives qu’il faudra amplifier, car elles mettent le pays dans un mode de progression pour nous permettre de courir de plus en plus vite.

Nous devons être plus ouverts au changement et être réactifs pour nous remettre en question.

Nicolas Henckes

Le sujet et les conclusions du rapport ont-ils toutefois atteint la population?

«Je ne pense pas que le sujet soit forcément redescendu jusqu’au citoyen lambda, d’autant que les solutions émanant du rapport Rifkin ne sont pas toujours simples à mettre en place ni à expliquer dans la mesure où elles peuvent être moins agréables à court terme. Mais elles permettraient de maintenir notre qualité de vie. Il n’existe pas de formule magique pour expliquer cette démarche dans tous les foyers. Je pense qu’il ne faut pas se limiter à des messages simplistes sur des sujets complexes comme celui-là. Nous devons profiter de toutes les occasions pour expliquer que le Luxembourg est extrêmement soumis au contexte économique international. Nous profitons d’une dynamique qui semble repartir à la hausse, mais si cela bascule dans le mauvais sens, nous pouvons en subir les conséquences de plein fouet. Nous devons donc être plus ouverts au changement et être réactifs pour nous remettre en question.

La place financière est naturellement exposée à ces fluctuations internationales...

«Elle se remet justement en cause en tentant de développer, par exemple, les fintech pour compenser des activités plus traditionnelles de back-office. Le secteur financier vit le moment présent tout en essayant constamment de voir ce qui peut se faire pour rester au-dessus de la vague.

La réforme fiscale, une occasion manquée?

«Il y a de bonnes choses, comme le pouvoir d’achat supplémentaire qui a été donné aux personnes privées. Je note aussi des bonnes mesures pour les PME. Nous n’avons toutefois pas connu de modification fondamentale pour la compétitivité du pays. Mais des sujets plus pointus sont élaborés actuellement, comme l’IP Box ou une incitation fiscale pour le financement des start-up. Nous espérons que les travaux seront livrés dans le courant de l’année.

Quelle est votre vision de la diversification économique du pays autour des secteurs ciblés?

«L’avenir rime avec haute valeur ajoutée. Nous allons vers des technologies et des métiers de pointe et non vers un recours à des masses d’emplois. Nous aurons besoin de chercheurs, d’ingénieurs de haut vol… Ce sont des techniciens que nous devrons aller chercher et qui vont faire que la structure de la population active va fortement évoluer.

Il faudra les attirer… ou les former.

«Si le pays est compétitif, les entreprises vont avoir un intérêt à venir ici avec ce genre de professionnels qui pourront avoir un salaire plus élevé ainsi qu’un environnement social confortable. Cette mutation de la population active va permettre au pays de finir sa mue de pays d’industrie classique vers un pays de haute technologie.

Que vous apportent vos expériences, dont l’UEL, pour votre nouveau challenge à la CLC?

«Chaque expérience apporte un plus pour la suite, permet d’avoir une autre sensibilité, une meilleure empathie pour différents secteurs. L’UEL est une structure qui est très composite avec notamment six fédérations sectorielles. La CLC rassemble une cinquantaine de fédérations qui ont toutes leurs spécificités, certaines étant en plein boom, d’autres en repli économique. C’est toute cette richesse qui doit être appréhendée et qui ne peut l’être que si on a longuement pratiqué cette complexité.

Notre époque est marquée par le besoin d’être capable de prendre une décision sans avoir toutes les infos en main et sans pouvoir maîtriser toutes les conséquences. C’est là qu’intervient le bénéfice d’évoluer selon une vision à long terme – sur 5 ans et plus – pour maintenir le cap. C’est ce type de projet que j’ai proposé au conseil d’administration de la CLC.

Nous constatons que ces derniers temps, le gouvernement a été très à l’écoute de l’OGBL et beaucoup plus méfiant à l’égard des représentants patronaux.

Nicolas Henckes

Le gouvernement s’était montré plutôt pro-patronat au début de son mandat, quel est votre ressenti actuellement?

«Il est difficile d’avoir un sentiment global. Je note de bonnes choses, comme récemment avec les aides pour les PME, les projets d’infrastructures… Il y a aussi eu du moins bon avec le temps de travail, la Mutualité des PME ou encore l’indexation. On ne peut donc pas qualifier les choses de noires ou blanches, une fois de plus en raison de la complexité des dossiers. Néanmoins, nous constatons que ces derniers temps le gouvernement a été très à l’écoute de l’OGBL et beaucoup plus méfiant à l’égard des représentants patronaux. In fine, ce sont les électeurs qui feront le bilan, pas les entreprises, et ceci explique probablement cela. Ce qui nous intéresse avant tout, c’est le programme économique du gouvernement ou des partis d’opposition.

De quoi ont besoin les PME pour prospérer davantage?

«Le 4e Plan PME adresse un certain nombre de bons points. Il en est de même pour le Pakt Pro Commerce ou le Pakt Pro Artisanat. La priorité pour moi est désormais une incitation fiscale pour l’investissement dans les start-up.

Faut-il sensibiliser les jeunes aux enjeux économiques du pays?

«Absolument. Il en est de même autour des questions d’argent. Je pense à l’ABBL qui a lancé une initiative en la matière.

Il y a un déficit démocratique entre les élites qui utilisent un certain jargon autour de concepts et de sujets économiques, et toute une partie de la population qui ne comprend pas ce jargon, faute de formation, alors qu’elle en est capable. D’où l’importance de la former ou de vraiment lui expliquer dans un message qui dépasse la longueur d’un tweet.

À l’instar des explications nécessaires autour d’un projet ambitieux comme le space mining…

«Ce projet fait partie des éléments que nous trouvons positifs pour le futur du pays. Nous n’irons peut-être pas chercher tous les minéraux espérés dans l’espace, mais les avancées technologiques que ce projet produira sur terre permettront certainement de nouvelles activités et de nouvelles applications dans notre quotidien.

Le ministre du Travail veut s’attaquer au chômage de longue durée, quelles seraient les mesures à mettre en place?

«Je pense à la formation et à l’accompagnement des chômeurs pour remotiver certains d’entre eux et pour redonner de la confiance en soi à d’autres. On se rend compte que si l’on a été longtemps au chômage et que l’on a toujours reçu des refus, cela a un impact sur l’estime de soi.

Comment percevez-vous les effets de l’accord conclu entre l’Adem et l’UEL pour favoriser la mise à l’emploi de chômeurs?

«Je disais qu’il était difficile de faire le bilan du gouvernement. Il y a des réalisations très positives comme cet accord qui est un réel succès, mais nous avons aussi connu le plus grand fiasco avec le même ministre autour du temps de travail.

Va-t-on vers une révolution ou une évolution de la CLC?

«J’ai envie de porter un changement qui avait déjà été initié par mon prédécesseur (Thierry Nothum, ndlr). Le service aux membres sera au cœur de mon action. 

Qu’avez-vous appris en côtoyant un président de l’UEL comme Michel Wurth?

«L’apprentissage de la maturité. C’est probablement avoir la main plus calme sur certains dossiers, être moins constamment dans l’action ou la réaction. Il m’a appris, ainsi que Jean-Jacques Rommes, à voir les problématiques sous un autre angle. L’UEL est gérée au quotidien par ce trio président, administrateur délégué et secrétaire général, et c’est une des meilleures écoles dont je pouvais rêver.»

Profil idéal

«Je n’étais pas candidat à ce poste», précise Nicolas Henckes quant à l’accession à la direction de la CLC. «C’eût été inconvenant dans ma position. Mais les deux présidents de l’UEL, Michel Wurth, et de la CLC, Fernand Ernster, m’ont manifesté leur intérêt pour cette solution et j’ai très vite vu que cela faisait du sens tout en me permettant de me rapprocher de nouveau des entreprises sur le terrain.»

Job description

Le (ou la) futur secrétaire général de l’UEL devra avant tout en être son porte-voix. «Nous sommes à la recherche d’une personnalité qui soit tout sauf un fonctionnaire du patronat, indique Nicolas Henckes. La Fedil évolue, la Fédération des artisans évolue… l’UEL doit continuer à évoluer, dans un état d’esprit de remise en cause permanent.»

Réalisation

Lorsque nous lui demandons de citer une des réalisations dont il est fier, Nicolas Henckes évoque le fait que «sur les trois dernières années, le patronat s’est fortement unifié dans ses relations entre secteurs. Le dialogue se passe de façon constructive, nous envisageons beaucoup de projets ensemble tout en permettant à chacun de vivre sa spécificité. C’est une vision que je veux poursuivre à la CLC.»

Bio express

  • 1974 Naissance à Luxembourg
  • 2001 Début de la carrière professionnelle en tant qu’avocat au Barreau de Paris après une double formation en droit et chez HEC à Paris.
  • 2002 Retour au Luxembourg en tant qu’assistant personnel du président de la Banque centrale du Luxembourg.
  • 2005 Plongée dans le monde des entreprises avec Legitech, qu’il a dirigée depuis sa création.
  • 2013 Entrée en fonction en tant que secrétaire général de l’Union des entreprises luxembourgeoises. Nicolas Henckes est aussi devenu en cette même année président de la Mutualité des employeurs et secrétaire général de l’Institut national pour le développement durable et la responsabilité sociale des entreprises (INDR).
  • 2014 Il prend en février la vice-présidence de la Caisse nationale de santé (CNS).
  • 2017 Il devient directeur de l’INDR en février et prend le relais de Thierry Nothum à la direction de la CLC le 1er juin.