Laurent Jossart, Executive vice-president Finance, LuxairGroup (Photo : David Laurent/Wide)

Laurent Jossart, Executive vice-president Finance, LuxairGroup (Photo : David Laurent/Wide)

Monsieur Jossart, quel est le rôle du CFO dans une société comme LuxairGroup ?

« Pour moi un CFO est quelqu’un qui comprend la complexité de chaque métier de l’entreprise. En fait, il doit comprendre le modèle économique en plus de maîtriser l’aspect financier.

Luxair est une société qui n’est pas qu’une compagnie aérienne : elle a six métiers, qui certes sont tous liés au domaine du transport aérien, mais qui sont tous très différents les uns des autres. L’activité de tour-opérateur, avec LuxairTours est la plus importante en chiffre d’affaires, avec 200 mil­lions d’euros environ. L’activité Airline, elle, pèse environ 125 millions d’euros annuels. En termes de main-d’œuvre, c’est l’activité cargo qui est la plus importante avec environ 1.150 salariés. Si l’activité aérienne est la plus visible, ce n’est qu’une activité parmi les trois grandes autres. À côté de ça, il y a encore des activités de catering, les shops dans l’aéroport, et les activités d’assistance à l’escale, pour les passagers et les bagages.

Le cargo est une activité purement logistique, le catering une activité de production, les shops une activité de retail, LuxairTours est dans le tourisme, mais la compagnie aérienne s’adresse plus à une clientèle d’affaires… Ce sont des mondes différents, et mon service doit servir de support à chacun.
En plus d’être le CFO, je suis également le res­ponsable opérationnel des activités de restauration et des magasins. Cela m’oblige à être dans l’opérationnel, sans me limiter à une vue théorique et financière. Je suis également en charge, avec des équipes dédiées bien entendu, des achats et du contrôle de gestion. J’ai un directeur, Marc Fischbach, pour la partie purement financière. De mon point de vue, je suis donc plus un coach, un soutien, pour mes pairs au sein du comité de direction.

Comment soutenez-vous les différentes activi­tés ?

« Depuis 10 ans, l’intensité concurrentielle est en forte augmentation. Il est nécessaire d’être bon partout. Depuis 4 à 5 ans, chaque activité se doit d’être aux meilleurs standards du marché. Ce qui rend notre métier de plus en plus difficile.

C’est aussi la raison pour laquelle j’aide chaque business unit dans sa réflexion stratégique… Je leur sers de contradicteur, leur pose des questions, les oblige à réfléchir plus loin. Mon rôle, bien entendu, évolue selon la personnalité et la matu­rité de chacun de mes interlocuteurs.

Pour cela, nous avons mis au point un niveau d’analyse assez sophistiquée. Chaque activité à son propre compte d’exploitation, et chacune a son système de balanced scorecard. Cela nous permet de faire chaque mois le point, sur des bases objec­tives. En même temps, cela peut don­ner l’impres­sion que mon département a le mau­vais rôle, celui qui vient avec les mauvaises nouvelles. Lors­qu’il y a une variance par rapport aux prévi­sions, il est chaque fois nécessaire de comprendre pourquoi, de mettre en place un plan d’action pour améliorer la situation.

Comment faites-vous votre suivi budgétaire ?

« Nous sommes bien conscients que l’activité n’est pas linéaire tout au long de l’année. Autre­ment dit, le budget mensuel n’est pas un douzième du budget annuel.

Nous menons les comparaisons par rapport à notre expérience passée. Cela permet de faire une gestion à court terme et plus à long terme. Nous ne sommes pas obnubilés par le résultat immédiat. Détenus à 55 % par l’État, nous sommes conscients que nous avons une respon­sa­bilité sociale. Et comme nous ne sommes pas cotés en Bourse, il n’y a pas la pression du cours ou du résultat trimestriel. Ceci dit, le suivi mensuel de l’activité nous permet d’avoir des indices de performance, de corriger et d’anticiper les problèmes.

Le groupe Luxair achète ses propres avions, alors que la plupart des compagnies aériennes utilisent le leasing… Pourquoi ?

« Oui, nous avons décidé d’être propriétaires de nos avions. Le fait est que nous avons une trésorerie importante. Nous avons les moyens de choisir entre leasing et achat. Et, d’après nous, l’achat est en fait une politique prudente. Pourquoi ? D’abord parce que nous pouvons le faire sans remettre en cause notre équilibre financier. Ensuite, parce qu’à terme la revente des avions permet de générer une plus-value. De plus, au Luxembourg, il y a des systèmes de bonification fiscale pour les investissements. Un avion, c’est 50 millions de dollars, avec un amortissement sur 10 ans, et une espérance d’uti­li­sation en exploitation d’environ 20 ans.

Après, la question est de savoir si nous payons à partir de notre trésorerie, ou si nous empruntons. De manière générale, nous tentons d’emprunter un minimum. Nous avons un ratio d’endettement infé­rieur à 30 %.

La crise vous a-t-elle touché ? Y a-t-il de nou­veaux concurrents ?

« Dans le domaine des affaires, on a beaucoup fantasmé sur la vidéo­confé­rence, comme moyen de substititution au dépla­ce­ment professionnel. Concrètement, dans l’Union européenne, le transport aérien est en croissance permanente. Les gens voyagent encore. En 2011, nous avons encore transporté entre 6 et 7 % de passagers supplémentaires.

Par contre, il y a pour nous d’autres mauvaises nouvelles, comme l’arrivée de la concurrence du train. Air France, dans l’Hexagone, l’a déjà bien constaté depuis de longues années. Avec le TGV Est, nous avons été obligés de réduire la voilure vers Paris, sur une ligne qui nous apportait entre 6 et 8 millions de bénéfice net par an. Mais nous avons dû retravailler notre plan de route vers la France. Les vols qui ont été conservés servent en fait de connexion avec le hub d’Air France.

Sur d’autres lignes, il y a plus de concurrence, comme vers Munich ou Genève, avec des com­pag­nies qui ont développé leur offre. Enfin, le prix du carburant a augmenté, et entraîné des surcharges sur le prix du billet.

Le transport aérien de manière générale n’est-il pas en difficulté ?

« Il y a en tout cas une grande pression sur les prix unitaires des déplacements. En 2009, avec la crise, il y a eu une forte décé­lération sur les business class. Continuer à prendre l’avion donnait presque mauvaise presse. Il fallait faire des économies, et le faire savoir. On pouvait penser à un rebond avec la reprise de l’activité économique, mais la crise a changé certains comportements. Auparavant, même en choisissant la classe économique, on réservait trois jours avant son départ avec un billet à 800 euros. Maintenant, on réserve un mois avant, en laissant tomber la flexibilité, pour avoir un tarif clairement moins onéreux. Tout cela amène à une recette unitaire par passager qui diminue.

Et, pendant ce temps, les coûts augmentent. Le prix du carburant monte chaque année. Le baril de pétrole qui pouvait naviguer entre 60 et 90 dollars a connu des pointes à 150, et s’il est moins haut aujourd’hui, on sait que la tendance structurelle est à la hausse. Nous avons des accords avec des pétroliers, ce qui nous permet de stabiliser les prix sur des périodes de un ou deux ans, mais nous savons qu’à terme nous allons rattraper le prix du marché. Alors qu’il est impossible de véritablement répercuter l’intégralité de la surcharge carburant vers les passagers… La demande n’a pas une élasticité suffisante.

Ensuite, nous avons une hausse de 5 à 6 % de nos charges salariales chaque année. Il n’y a donc pas de secret : nous devons augmenter nos recettes et notre productivité dans la même proportion !

Enfin, il y a la concurrence des aéroports et des compagnies à bas coûts. Entre Hahn et Charleroi, nous avons perdu un certain nombre de passagers. Sur l’activité Airline, en 2010, nous avons perdu 11 millions d’euros, et en 2011 nous allons en perdre environ 16…

Le secteur aérien est un secteur en difficulté. On ne compte plus les sociétés qui ont fait faillite, celles qui font de grosses pertes, ou celles qui attendent encore quelques mois avant d’annoncer des restructurations.

Les perspectives sont donc plutôt sombres ?

« Attention, tout n’est pas noir ! En 2011 nous continuons à générer un résultat financier de l’ordre de 4 à 7 millions d’euros. Et notre trésorerie reste largement excédentaire. L’activité cargo a beaucoup souffert avec la crise économique. De plus, nous avons prévu des investissements importants, à un terme relativement proche. Si nous avons besoin d’acheter de nouveaux Boeing pour LuxairTours, cela voudra dire 100 millions de dollars. Et si l’on parle de l’Airline, cela veut dire potentiellement quatre Q400 de Bombardier, soit à nouveau une centaine de millions de dollars… Enfin, sur le cargo, nous réfléchissons à certains développements stratégiques, qui amè­ne­ront d’autres investissements importants… Si nous avons beaucoup de trésorerie, nous avons des perspectives de dépense qui sont également importantes. »