Laurent Jaumotte, directeur financier et membre du comité directeur, Axa Luxembourg. (Photo: David Laurent/Wide)

Laurent Jaumotte, directeur financier et membre du comité directeur, Axa Luxembourg. (Photo: David Laurent/Wide)

Monsieur Jaumotte, vous êtes CFO depuis peu chez Axa Luxembourg. Pouvez-nous dresser le contexte de l’entreprise?

«Axa est le leader mondial de l’assurance, mais à Luxembourg, la société, bien cotée pour ses résultats au sein de la maison-mère, reste une société à taille humaine au dynamisme débordant. Il y a là des avantages certains. Le marché local est solide et la taille relativement moyenne de notre structure nous permet une flexibilité et une rapidité de réaction intéressantes.

Nous sommes dans une entreprise qui tourne bien. En 2010, le chiffre d’affaires a été de l’ordre de 176,4 millions d’euros et a dégagé un résultat net qui est proche de 20 millions.

Concrètement, comment fonctionnez-vous, avec quelles équipes?

«Notre personnel compte 205 membres auxquels il ne faut pas oublier d’adjoindre les quelque 400 agents et courtiers indépendants répartis dans le pays.

Le département Finances, dont j’ai la responsabilité, compte un peu moins de 20 personnes. On y retrouve les profils classiques.
En principe, cette équipe est autonome. Mais il n’est pas inutile de parfois s’adjoindre les services de consultants externes, notamment pour développer les projets actuels autour des normes Solvency II. Mais nous avons de bonnes forces au sein d’Axa Luxembourg, il y a beaucoup d’énergie, de projets, un dynamisme assez communicatif. Et nous pouvons évidemment nous appuyer sur l’expérience et sur les ressources internationales du groupe.

Votre travail de CFO rencontre-t-il des spécificités par rapport à l’entreprise?

«Il y a évidemment des spécificités. Axa est une entreprise d’assurances. Il y a des responsabilités classiques (comptabilité, controlling, corporate finance, taxes, recouvrement…), auxquelles ont peut ajouter d’autres aspects, liés notamment au risk management. C’est évidemment un volet très important dans le monde des assurances et encore plus depuis la crise de 2008.

Le régulateur s’est focalisé avec beaucoup de rigueur et d’exigences sur les normes concernant la gestion des risques. Le pilier quantitatif, induit par ces nouvelles normes, est important pour tout le monde, y compris les actionnaires. La garantie de capital, l’évolution du capital requis en fonction de la détermination des risques encourus, tout cela amène des stratégies, des équilibres à trouver, une réflexion sur l’utilisation et la répartition du capital économique.

L’asset management est assez développé. Nous sommes dans une petite structure et donc, ici, ces aspects stratégiques dépendent du CFO. La gestion de nos actifs est importante, car ce poste doit nous permettre de faire face à tout moment à nos engagements d’assureur.
Dans ce cadre, la mise en place d’un asset liability management (ALM) performant est essentielle. Nous pouvons aussi compter sur le support du groupe dans ce domaine. Il y a une stratégie d’allocation d’actifs par rapport aux risques qui peuvent être pris.

Les aspects compliance et juridique ont également toute leur importance. La législation européenne se développe et nous contraint à la mise en place de mesures en matière de détection du blanchiment et du terrorisme.

En quoi le métier de CFO a-t-il évolué ces dernières années?

«La fonction de CFO a de plus en plus d’importance dans l’entreprise. Auparavant, les fonctions financières et comptables étaient considérées comme un mal nécessaire. Le CFO n’est plus un expert-comptable, une sorte de ‘super trésorier’. Il représente beaucoup plus aujourd’hui.
Véritable bras droit du CEO, il a une vraie place dans le développement de l’entreprise, il est un vrai business partner et occupe un poste clé de par ses responsabilités de gestion de tous les aspects financiers de l’entreprise, aujourd’hui et pour le futur. C’est lui qui va jouer un rôle prépondérant dans la fixation des objectifs de rentabilité et de liquidité, ainsi que dans l’établissement de stratégies fiscales.

Dans le monde de l’assurance, c’est encore plus marqué, car les aspects financiers y sont davantage clés. La gestion des risques dans le cadre des développements Solvency II est devenue un des aspects importants de la fonction du CFO, grandement aidé en la matière par le CRO (chief risk officer). Il y a, par exemple, de très solides enjeux stratégiques, avec de lourds impacts financiers, dans les définitions des produits, des investissements, des risques.

Les investissements en actions ont été sérieusement secoués et les emprunts d’Etat ne sont plus nécessairement des valeurs refuges absolues, vu le rating de certains pays en état de faillite virtuelle…

Les évolutions législatives ont aussi des impacts sur la façon de travailler?

«Oui, et cela contribue à l’évolution du métier de CFO en général, parce que les aspects juridiques ont une place de plus en plus forte. Il y a effectivement eu de nombreux changements dans le monde des institutions financières. Bâle II – et bientôt Bâle III – pour les banques, Solvency II pour les compagnies d’assurance. Les stratégies financières amènent à plus de prudence, à toujours ramener cela à l’utilisation des fonds propres qui y sont liés, pour les maximiser. Mais il faut aussi rester attractif pour le client. Un nouvel équilibre doit être trouvé.

Comment voyez-vous les effets de la crise, sur le marché, sur votre entreprise?

«La crise a touché tout le monde. Mais globalement, nous nous en sommes bien tirés. Nous sommes sur un marché très local, très mature et très stable dans la branche IARD (Incendie, Accidents et Risques Divers, ndlr.), avec notamment un marché ‘auto’ assez solide. Il y a également des poches de développements importants dans la niche ‘prévoyance et santé’. Je dirais même de belles perspectives…

Pour vous, quelles qualités doit présenter le CFO? Une sorte de profil idéal?

«Etre un bon généraliste relève du minimum. Le bagage technique est important, pour les matières financières évidemment, mais aussi pour les aspects juridiques, techniques... Il faut aussi de la rigueur et de la fiabilité. Une capacité à prendre des risques, mais aussi une capacité à se retirer, à faire le gros dos quand c’est nécessaire.

Le CFO idéal n’existe pas. Il doit être adapté au contexte mouvant de son entreprise. Il est attendu là où ses compétences techniques ne suffiront pas. Il doit pouvoir communiquer, au moins en interne, pour faire passer les messages stratégiques et faire valoir son côté contrôleur, son côté garde-fou.

‘Le CFO est un animal complexe, il doit avoir un regard d’aigle et l’instinct protecteur de la tortue, être à la fois sceptique et optimiste’, disait un participant à un séminaire. Le spectre est large. Le CFO doit pouvoir aider le CEO à élaborer la stratégie tout en apportant son concours à la direction générale pour l’opérationnel.

De financier aux compétences techniques, le CFO est devenu une voix attendue de l’entreprise, et aussi un acteur de la mise en place et de la déclinaison des stratégies. Il a des équilibres à trouver, et doit garder le long terme en perspective. Si la technicité en matière financière sert sa crédibilité, elle ne constitue pour autant qu’un simple point de départ.
Le CFO doit pouvoir sortir de sa zone de confort et passer à l’animation des personnes en mode projet… Il doit, au fond, être un peu équilibriste.

Quels sont vos enjeux aujourd’hui? Vos gros dossiers ‘de chevet’?

«Il faut trouver le bon équilibre entre rendements et risques, la bonne allocation de portefeuilles en fonction des évolutions de marché attendues. Les perturbations actuelles, sur le plan international notamment, n’aident pas… Solvency II, on l’aura compris, est un gros chantier en soi: la norme entre en vigueur en 2013, autant dire demain…

Il convient de développer en particulier le own risk and solvency assessement (ORSA) ainsi que l’environnement de contrôle de l’entreprise. Comme le disait récemment notre CEO, les assureurs doivent préparer Solvency II et les assureurs luxembourgeois voient débarquer de nouvelles mesures augmentant leurs charges.

Mais de nouvelles opportunités se créent aussi, eu égard à l’allongement de l’espérance de vie, par exemple. Arriver avec de nouveaux projets, de nouvelles idées, à la fois porteurs de solutions intéressantes pour nos clients et pour l’entreprise, et en alignement avec la compliance, les normes, les contraintes, c’est un challenge permanent. Et il faut évidemment veiller à ce que les développements en cours apportent les rendements espérés.»

 

CV - Un marathonien qui assure

Laurent Jaumotte est, depuis février 2011, directeur financier et membre du comité directeur d’Axa Luxembourg. Ce Belge de 38 ans, marié, père de deux enfants, sportif accompli (il a notamment bouclé le marathon d’Anvers), a acquis son expérience processionnelle de ces 15 dernières années dans le monde des assurances. Titulaire d’un post-graduate en sciences financières et fiscales à l’Université d’Anvers, il a commencé en 1996 chez Winterthur (compagnie belge rachetée depuis par Axa) à Bruxelles, dans le département financier. Il y a exercé différentes fonctions et évolué dans les  responsabilités, jusqu’en 2005. Il est alors passé chez Atradius, groupe spécialisé en assurance-crédit.
Nanti du statut de directeur financier pour la Belgique, la France et le Luxembourg, il y dirigeait une trentaine de personnes. Un rôle de manager dans un environnement international, exercé durant cinq ans, depuis sa ville racine, Namur… Le pas vers Luxembourg a été franchi il y a quelques mois à peine. Laurent Jaumotte y a rejoint, avec un enthousiasme manifestement partagé, celui qui avait déjà été son boss chez Winterthur, Paul De Cooman, CEO d’Axa Luxembourg.