Laurent Brochmann, CIO, Deloitte Luxembourg (Photo : David Laurent/Wide)

Laurent Brochmann, CIO, Deloitte Luxembourg (Photo : David Laurent/Wide)

Monsieur Brochmann, comment est organisé le service informatique de Deloitte au Luxembourg ?

« Comme dans toutes les entreprises, les besoins de Deloitte sont un mélange de différents éléments. Ainsi, une partie de nos systèmes doit rester en ligne 24 heures sur 24, 365 jours par an. Les deux éléments les plus importants sont ceux qui relèvent de la communication et de la gestion du savoir. La communication est importante, que ce soit vers le client ou en interne, pour l’envoi ou pour la réception de messages. La gestion du savoir est primordiale, car dans notre secteur, notre matière première, c’est la matière grise ! Après, chaque service a ses propres applications, ses propres outils, qui correspondent à ses besoins particuliers.

Il y a un peu plus d’un an, nous avons réorganisé toute la gouvernance de notre informatique. Il y a maintenant deux parties principales. La première équipe s’occupe de tout ce qui relève de la gestion opérationnelle. J’ai l’habitude de dire que c’est ce qui est nécessaire pour ‘garder la lumière allumée’, quoi qu’il arrive. Qu’il s’agisse de l’hébergement de nos données, de la disponibilité de nos serveurs, ou de notre messagerie, il faut que tout fonctionne, sans interruption de service. La seconde équipe, elle, est une équipe projet. Elle travaille en lien avec les équipes de consultants ou d’auditeurs et écoute leurs besoins. Il peut lui arriver également de leur proposer de nouvelles pratiques ou de nouvelles technologies qui peuvent les aider dans leur travail quotidien.

Sur certains aspects de notre activité, nous pouvons nous comparer à une SSII (société de services en ingénierie informatique, ndlr.). C’est l’occasion de changer la perception que l’on a de nous en interne, en devenant plus qu’un simple centre de coût. Notre avantage par rapport à un prestataire externe, c’est notre connaissance intime du métier de Deloitte.

Votre organisation interne est-elle classique ou plutôt originale ?

« Notre structure en deux groupes distincts est assez différente de ce qui se passe dans de nombreux autres pays. Le passage du mode de fonctionnement traditionnel à celui que nous connaissons actuellement est un véritable défi. Ce qui se passe habituellement, c’est que pour réussir à faire fonctionner votre système informatique, vous avez besoin de véritables pointures, de spécialistes techniques, dont les connaissances sont très précieuses. Le fait est également, très souvent, que ces spécialistes n’ont pas forcément les compétences nécessaires pour discuter avec les managers ou les associés et aborder les questions du point de vue des affaires.

De l’autre côté, envoyer des personnes qui n’ont que quelques notions informatiques, mais sont beaucoup plus orientées vers la pratique opérationnelle, présente également un risque. Il se pourrait que les réponses fournies à leur interlocuteur soient fausses sur le plan technique. Nous nous sommes structurés pour permettre la discussion entre toutes les équipes, en mélangeant l’équipe projet qui va être le leader sur les différentes demandes, et leur permettra d’avoir accès aux personnes qui ont les bonnes compétences technologiques. Elles collaborent et échangent leurs points de vue et leurs informations, pour réussir à assurer la meilleure qualité de service.

Comment collectez-vous les demandes faites par les utilisateurs ?

« La procédure mise en place pour lancer un projet est relativement simple. Nous avons ce que nous appelons une project card, qui rassemble sur une page différentes questions relativement simples. Cela permet de savoir si ce qui est demandé existe déjà, si cela demande un nouveau développement, et quel pourrait être son coût. C’est une sorte d’analyse à un niveau macro. Si l’on remarque que la demande est plus complexe, alors on revient vers la personne qui a fait la demande, et nous construisons alors un business case. Cela permet également de traiter de manière plus transparente les demandes qui nous sont faites. Les personnes intéressées peuvent voir où elles en sont, si elles sont acceptées, refusées, ou si elles doivent revenir vers nous car nous n’avons pas ciblé exactement leurs besoins. Je dois avouer que quelquefois cette procédure est ressentie comme assez lourde. En même temps, elle permet d’identifier des problèmes, et une demande a priori simple se transforme alors en véritable projet.

Vos développements sont faits en interne… Pourquoi ?

« Un certain nombre de demandes sont très spécifiques à notre fonctionnement et à notre système d’information. Le temps de décrire correctement les demandes et de les transmettre à un prestataire externe amènerait des coûts plus élevés que de simplement le réaliser avec nos propres moyens. La seconde raison est qu’il existe des risques potentiels sur notre propriété intellectuelle. Certaines fonctionnalités sont liées à un savoir que nous préférons garder chez nous. Si je dois investir 200 jours de travail dans une solution innovante, je préfère ne pas retrouver le même concept, quelques jours plus tard, dans une autre entreprise. Si nous réussissons à construire des systèmes en avance sur le reste du marché, le risque de ‘fuite’ est moindre avec un développement interne. Enfin, mais cela n’est que mon opinion personnelle, je ne suis pas persuadé que la sous-traitance soit véritablement moins chère que la conception et la programmation internes, à moyen ou long terme.

Faut-il innover partout et tout le temps dans le domaine informatique ? Ne peut-on pas attendre quelquefois le temps que les technologies deviennent matures ?

« Il faut innover, je n’ai aucun doute sur le sujet. La première raison, c’est qu’il nous faut prendre en compte le contexte Deloitte. Nous sommes une entreprise dont la moyenne d’âge est relativement jeune. Chaque année, les nouveaux recrutés arrivent avec des demandes technologiques qui correspondent à leur génération. Nous n’avons pas attendu 2011 que l’iPhone soit validé par le marché comme solution adaptée aux entreprises. Il faut prendre, implémenter, tester. De toute manière, les jeunes recrues utilisent ces outils au moment où elles rentrent chez nous.

Je pense que la question n’est pas de savoir si le nouveau Windows est bon ou pas. Je pense que l’on ne peut tout simplement pas se permettre d’attendre. Bien évidemment, cela veut dire que quelquefois il faut essuyer les plâtres. Oui, nous avons été la première entreprise de plus de 1.000 employés à déployer Vista. Et oui, il y a des choses qui ne se sont pas bien passées. Mais en attendant, nos jeunes talents ont apprécié notre volonté d’aller vite. Si je reprends l’exemple de l’iPhone, nous avons pris la décision de l’adopter à la sortie de l’iPhone 4, pour en équiper à peu près 70  % de nos équipes. Mais aujourd’hui, à la fois pour notre image de marque, pour nos jeunes talents, et pour le dynamisme de la structure, il est nécessaire de continuer à investir en permanence dans les derniers outils.

À quel stade de développement en sont les outils informatiques ?

« L’informatique fonctionne par vagues successives. La première a été celle de la récupération des processus existants, pour les transférer dans des machines, plus productives. Ensuite, il s’agissait de construire des contenus et de les rentrer dans les systèmes, que ce soit de la photo, de la musique, ou de tous les documents imaginables. Ce processus est aujourd’hui achevé. Il s’agit maintenant d’apprendre et de découvrir comment consommer des contenus… et cela a des conséquences intéressantes. Jusqu’à présent, les entreprises menaient le mouvement, suivi ensuite par les personnes privées : ce sont les entreprises qui ont popularisé le P.C. et les ordinateurs portables. Mais les tablettes numériques et les smartphones se sont imposés dans un processus inversé. Ce ne sont pas les entreprises qui ont montré la voie, mais les consommateurs qui ont reconnu dans ces terminaux des outils qui correspondaient à leurs besoins.

Une des conséquences pour les entreprises est le développement du ‘BYOD’ : Bring Your Own Device. Les responsables informatiques doivent s’y intéresser, ce sont des concepts qui devront être intégrés dans la stratégie informatique des entreprises d’ici à quelques années.
Plutôt que de fournir un ordinateur ou un téléphone à l’employé, on lui permettra de venir travailler avec son propre matériel. Lorsque l’on voit les particuliers se précipiter pour utiliser toutes les solutions de cloud computing qui sont en train de se développer, je pense que d’autres choses suivront la même tendance.

J’ai récemment discuté avec un ami agriculteur. Auparavant, il emmenait son chargement jusqu’au centre de collecte, faisait peser sa benne, déversait son contenu et repassait à la pesée, avant de signer un formulaire. Aujourd’hui, la remorque procède elle-même à la pesée, les données sont comparées avec la pesée réalisée par le comptoir agricole, par échange de données automatisées et sans fil. La livraison est acceptée et signée grâce à un certificat électronique. Si un secteur économique que l’on pourrait croire en retrait sur les nouvelles technologies en est à ce point d’adoption, je crois que cela veut dire que l’on n’est qu’au début du processus… »

 

Parcours - FAME au-delà des modes

Âgé de 41 ans, Laurent Brochmann a rejoint Deloitte il y a 18 ans, assez rapidement après la fin de ses études au Lycée technique des Arts et Métiers. « Dans le cadre de ma carrière, j’ai suivi différentes formations pour être certifié par des éditeurs de logiciels comme Novell ou Microsoft. Même si je n’aime pas le terme, certains pourraient dire que je suis un autodidacte. » Passionné de technologie, il a milité, dès 1997, pour que l’on équipe les collaborateurs avec des Palm ou des Psion. « Cela pouvait faire sourire à l’époque, mais aujourd’hui, qui n’a pas son smartphone ? » Cette demande rejoint sa devise : « Un projet doit être ‘FAME’ : Flexible, Adaptive, Mobile et Extandible. Si ces quatre critères sont réunis, le projet peut réussir. Je le professe depuis 12 ans – quand je suis devenu le responsable informatique de l’entreprise… et jusqu’à présent je ne me suis jamais trompé. »