Lambert Schroeder (AON Insurance Managers) : « Solvency II constitue  une contrainte  qu’il faudra maîtriser » (Photo : Éric Chenal /Blitz)

Lambert Schroeder (AON Insurance Managers) : « Solvency II constitue une contrainte qu’il faudra maîtriser » (Photo : Éric Chenal /Blitz)

Au Luxembourg, l’activité de réassurance ne se porte pas trop mal, même si, statistiques à l’appui, elle a déjà affiché des résultats plus flamboyants. En 2010, avec 7,9 milliards d’euros de primes émises au Grand-Duché, le marché de la réassurance enregistrait un recul de son encaissement de 6,67 %. En 2009, des primes pour l’équivalent de 8.495 milliards de dollars avaient été émises. Mais cette année avait été particulièrement faste, comme la précédente. Le marché luxembourgeois, en effet, avait connu des développements importants en 2009 et 2008. On comptait 6,6 milliards d’euros de primes de réassurance émises en 2008 contre 2,9 milliards en 2007.

L’installation de Swiss Re, deuxième réassureur mondial, en 2008, au Luxembourg, était pour beaucoup dans l’explosion de ce marché, faisant de ce fait une excellente opération pour le développement de son activité au cœur de l’Union européenne. 

Au Grand-Duché, l’activité de réassurance se présente sous deux formes principales. D’une part, on trouve les réassureurs traditionnels, auprès desquels les assureurs traditionnels trouvent un intérêt à s’assurer. Les compagnies d’assurance, clientes des réassureurs, cèdent à ces derniers une partie des risques qu’elles couvrent et donc qu’elles encourent. Les motivations des compagnies peuvent être multiples. Elles peuvent se protéger, s’assurer au sens premier du terme, pour faire face à des risques qu’elles auraient du mal à supporter seules. 

Par ailleurs, le fait de céder une partie du risque permet, simplement, de pouvoir engranger un volume d’affaires supplémentaire, couvrir un nombre plus important de risques, sans devoir procéder à une augmentation de capital. Luxembourg, ensuite, constitue un domicile particulièrement attractif pour les captives d’assurance et de réassurance appartenant à des groupes industriels, commerciaux ou financiers d’envergure. Une captive de réassurance a pour objet de réassurer la totalité ou une partie des risques d’un groupe pour lesquels celui-ci a souscrit une couverture auprès de compagnies d’assurance directes. 
Les intérêts de ce mécanisme de réassurance sont multiples. Un groupe peut tout d’abord mettre en place une captive pour des raisons économiques, afin de conserver au sein du groupe les primes relatives à certains risques, plutôt que d’externaliser leur gestion, en payant les primes qui y correspondent à une compagnie d’assurance. Le groupe peut ainsi gérer lui-même et de manière rationnelle ses risques dans le cadre de sa structure de réassurance. Une captive de réassurance peut également être une solution permettant à un groupe de mettre en place lui-même des couvertures que le marché traditionnel n’offre pas ou très partiellement, ou alors de manière très onéreuse. 

Fenêtre d’opportunités 

Le Luxembourg est devenu le premier domicile de captives d’assurance et de réassurance au sein de l’Union européenne, et le septième à l’échelle mondiale. « C’est grâce à son environnement stable, une législation claire sur l’activité des captives d’assurance et de réassurance, des conventions de non double imposition avec de nombreux pays et une réglementation propre à la provision pour la fluctuation de sinistralité (PFS), dont la dotation est déductible fiscalement, que le Grand-Duché a pu séduire de nombreux groupes désireux de développer une ou plusieurs captives pour rationnaliser la gestion et la couverture de leurs risques », explique Lambert Schroeder, managing director d’AON Insurance Managers (Luxembourg), première société de gestion de captives du Grand-Duché.

Aujourd’hui, tant les gestionnaires de captives que les réassureurs scrutent avec attention les effets que pourrait engendrer l’implémentation de Solvency II. « La directive s’appliquera à l’activité de réassurance comme à celle de l’assurance, explique Luc Albert, managing director de Swiss Reinsurance Company, en abrégé Swiss Re. Les conséquences, toutefois, devraient être similaires à celles de l’implémentation de l’autorité fédérale des marchés financiers en Suisse (Finma), qui visait aussi à mieux réguler l’activité d’assurance et de réassurance. L’intérêt premier réside dans une clarification des règles au sein du secteur, une meilleure définition des rôles de chacun et surtout une obligation, pour l’ensemble des acteurs, de mieux gérer le risque. » Luc Albert veut voir une fenêtre d’opportunité dans l’implémentation de cette directive.

Le développement de l’activité de réassurance dépend avant tout de la volonté des acteurs de l’assurance de céder ou non une partie des risques qu’ils supportent. 

Avec l’implémentation de Solvency II, qui exigera des compagnies d’assurance, au-delà de nouvelles contraintes de gouvernance, un renforcement de leur capital et une adaptation de ce dernier aux risques encourus, beaucoup pourraient réviser leur politique de gestion du risque. « La directive pourrait pousser nos clients, à savoir les assureurs, à être plus attentifs à la gestion du risque, et donc à la gestion de leur capital, précise-t-il. Les solutions de réassurance, dans ce contexte, peuvent constituer des outils essentiels pour le développement des activités de nos clients. » 

Certains risques, ceux exigeant une mobilisation importante du capital, pourraient être cédés d’autant plus facilement à des réassureurs entièrement ou partiellement. « Tout dépendra du portefeuille de risques de nos clients. La cession de risques run-off ou d’autres, extrêmes, doit permettre d’alléger le capital, ajoute Luc Albert. Notre rôle, désormais, est de pouvoir accompagner nos clients, au Luxembourg comme ailleurs, dans la préparation à l’entrée en vigueur de la directive. Mais la plupart, au Luxembourg, sont déjà bien préparés. » 

Du côté des gestionnaires de captives de réassurance, les conséquences que pourraient engendrer la directive Solvency II sont d’une toute autre nature. Le développement de captives dépend avant tout d’une bonne conjoncture économique. « Dans un contexte de crise européenne, le nombre de captives constituées en Europe, et donc au Luxembourg, est en diminution. Ainsi, même si de nouvelles captives sont régulièrement créées, d’autres disparaissent, suite à des fusions, des acquisitions ou par la volonté de certains groupes de revoir leur stratégie d’assurance, poursuit Lambert Schroeder. Aujourd’hui, le Luxembourg compte 242 captives. Le pays, dans une période plus dynamique, en dénombrait une trentaine de plus. » 

Frein au développement 

Solvency II, selon le managing director d’AON Insurance Managers (Luxembourg), ne devrait pas permettre d’inverser la tendance. En effet, la directive va imposer des règles de capitalisation et de gouvernance supplémentaires aux captives, comme pour les assureurs ou réassureurs professionnels. « Solvency II sera sans doute plus un frein au développement de telles structures, outils de rationalisation et de gestion des risques, qu’une opportunité, explique-t-il. La directive, aujour­d’hui, constitue une contrainte qu’il faudra maîtriser. Des exigences nouvelles vont peser dans la balance, au moment où un acteur va évaluer l’opportunité de mettre en place une captive. La barre sera placée beaucoup plus haute. » 

Le capital à mobiliser pour constituer une captive sera plus important. Mais il faut surtout s’attendre à des coûts et des contraintes de fonctionnement plus importants, liés à de nouvelles exigences en termes de gouvernance et de reporting auprès de l’autorité de contrôle. 

Seuls les groupes ayant des intérêts majeurs à développer ce genre de structure s’inscriront dans cette démarche. « Pour des structures d’envergure inférieure, telles qu’elles existent aujourd’hui pour certains de nos clients, les avantages seront moins évidents », précise Lambert Schroeder. Solvency II pourrait donc bien peser dans le développement des captives en Europe. Toutefois, par rapport à d’autres domiciles européens, grâce aux outils mis en place par le passé, comme la PFS, le Luxembourg devrait préserver un avantage certain. « Cela à condition que l’environnement luxembourgeois reste business minded, fonctionnel et adapté aux attentes des entreprises », poursuit le managing director d’AON Insurance Managers (Luxembourg), qui s’interroge aujourd’hui sur la règle de proportionnalité, inscrite dans Solvency II, mais encore non définie dans ses modalités pratiques. « Une captive d’assurance ou de réassurance ne devrait pas avoir les mêmes contraintes qu’un grand assureur ou réassureur de la Place. Il faut que ces contraintes restent gérables. Dans ce contexte, il est important de trouver des réponses et faire preuve d’un certain pragmatisme pour que Luxembourg puisse rester une Place importante pour la domiciliation des captives. » 

Selon Swiss Re, il ne fait aucun doute que le marché de la réassurance pourra s’adapter au changement. À travers un marché européen peut-être moins important, on pourrait assister au développement de structures de réassurance plus professionnelles, d’outils plus sophis­tiqués et plus diversifiés, pour couvrir des risques spécifiques.

 

Adaptation - De nouvelles solutions

Au niveau du marché des captives, les conséquences attendues par Solvency II, exigent des gestionnaires de telles structures de faire preuve d’inventivité. En effet, pour les groupes de petite ou moyenne envergure, la gestion de leur captive va sans doute, à l’avenir, coûter nettement plus. En cause, au-delà 
d’une exigence de capitalisation plus importante, des frais de gestion plus importants liés à des exigences légales nouvelles en matière de gouvernance. Qu’à cela ne tienne, il faudra s’adapter. « Nous travaillons à de nouvelles solutions étudiées pour les besoins de nos petits clients », explique Lambert Schroeder, managing director d’AON, qui compte 90 captives sous gestion. « Ils pourraient, par exemple, s’inscrire dans une structure plus large à compartiments pour répondre aux besoins en couverture de risque de plusieurs clients. L’apport en capital pour chaque client sera assumé par le propriétaire de la structure. Les coûts liés à la gestion de la structure globale, qui devra être compliant, pourront 
être répartis entre les clients. »