Aux yeux de Nicolas Steil, «l’argent circule, crée de l’emploi, de la culture, et permet de développer un produit qui peut encore en rapporter.» (Photo: Edouard Olszewski)

Aux yeux de Nicolas Steil, «l’argent circule, crée de l’emploi, de la culture, et permet de développer un produit qui peut encore en rapporter.» (Photo: Edouard Olszewski)

Les premiers pas

Monsieur Steil, vous souvenez-vous de votre premier salaire?

«Oui, parfaitement (rires). 35.000 francs luxembourgeois de salaire mensuel net (900 euros environ). C’était en 1983, j’ai été engagé par RTL Télévision pour présenter le journal télévisé. Rien à voir donc avec les sommes que touchent certains présentateurs de télévision. Mais j’avais 22 ans et ça reste une formidable expérience. J’ai énormément appris au cours de ces années. À l’époque, nous étions diffusés au Luxembourg, en Lorraine, en région parisienne et en Belgique francophone.

Quel est le premier cadeau que vous vous êtes fait?

«Avec un montant comme celui-là, je ne pouvais pas me payer grand-chose. Mais comme il n’y avait pas de cantine dans le bâtiment, j’allais manger un plat du jour dans un restaurant du coin le midi. Pour moi, c’était une véritable avancée sociale.

Argent et richesse

Votre devise en matière d’argent?

«Même si c’est l’argent qui mène le monde, c’est la culture qui le construit. Il faut garder à l’esprit que la finance doit être au service de l’humain, et pas le contraire. Il a été créé comme un instrument devant permettre les échanges afin que l’on puisse mieux vivre, pas pour créer une société de classes. Il faut trouver un équilibre entre les deux.

Qu’est-ce que la richesse?

«Je suis plus attentif aux signes de richesse intérieure qu’aux gens qui se baladent dans des voitures hors de prix. Mon père m’a appris que l’argent n’est pas une fin en soi, et il répétait souvent que l’argent est fait pour circuler. Il était très généreux avec ses amis. Moi aussi, je trouve important de faire circuler l’argent. Et dans mon métier, je le fais circuler, puisque je produis des films à travers les sociétés que j’ai dans différents pays. Il circule, crée de l’emploi, de la culture, et permet de développer un produit qui peut encore en rapporter.

Un peu de luxe

Quel luxe vous payez-vous de temps en temps?

«À la fin de l’année, j’essaie d’organiser des vacances au soleil avec ma femme et mon fils. Pour compenser le manque de lumière, nous partons à l’île Maurice. C’est une très belle destination qui, malgré le climat fort différent, me fait toujours penser au Luxembourg. C’est une société très mélangée où vivent des tas d’ethnies différentes qui parlent des langues différentes sur un petit territoire, et ces gens s’entendent très bien.

Pour quoi avez-vous récemment craqué?

«J’ai une faiblesse pour les restaurants gastronomiques et pour le vin. Ce sont mes deux péchés mignons. J’ai donc craqué récemment pour un séjour de deux jours en Alsace avec, au menu, deux restaurants étoilés. Pour du bon vin aussi. C’est une passion, même si j’estime que les prix du Bourgogne et du Bordeaux sont scandaleux. Mais je n’ai pas de cave à vin. De toute manière, les vins que j’achète, c’est pour les boire.

Consacrez-vous beaucoup d’argent à vos loisirs?

«Je suis quelqu’un qui travaille beaucoup, les journées sont longues. Mais j’avoue une passion immodérée pour la télévision, et j’ai donc quelques abonnements. J’en consacre aussi un peu pour aller au cinéma et au théâtre, aller au restaurant et sortir avec des amis. Pas plus.

Investissements

Investissez-vous à titre personnel?

«Depuis la création d’Iris Productions, puis d’Iris Group, je ne me suis jamais versé de dividendes. J’ai tout réinvesti dans la société. Donc oui, j’investis… mais dans l’industrie de la culture. Et ça me suffit. Parfois, je me dis que si j’avais de l’argent, j’investirais bien dans le vin, mais c’est le rêve de tous les producteurs.

Conseilleriez-vous à vos amis d’investir dans le cinéma?

«Oui, mais intelligemment. On peut gagner de l’argent, mais aussi en perdre énormément. Je compare toujours l’exploitation des œuvres audiovisuelles à un train. Vous pouvez faire partie des investisseurs du wagon de queue, du milieu, ou être dans la locomotive. Par rapport aux œuvres qu’on réalise en Europe, un investisseur intelligent ira dans la locomotive, c’est-à-dire qu’il participera au risque de la distribution. 

Un bon film, c’est une question de flair?

«Je suis quelqu’un de raisonnable. J’ai appris quelque chose dans ma vie: un producteur qui pense qu’il a du nez est mort avant de commencer. On ne sait jamais ce qui va marcher. On est dans l’aléatoire total. Il faut casser son risque sur plusieurs produits.

Excès

Un achat auquel vous avez renoncé sous prétexte que c’était trop cher?

«Oui (rires). Je suis passé devant le garage Aston Martin. Je trouve que ces voitures sont extraordinaires de beauté. Mais elles sont aussi très chères. J’ai donc renoncé pour deux raisons. À cause du prix, et parce que je trouve absolument scandaleux de mettre autant d’argent dans une voiture. Alors, oui, l’argent doit circuler pour créer de la richesse, mais c’est sans doute plus important de faire en sorte que les enfants puissent aller à l’école.

Est-ce que les montants des salaires des acteurs vous dérangent?

«Bien sûr, ça me dérange tous les jours, mais le marché est fait ainsi. Les négociations avec ces stars, au-delà d’un intérêt pour le film, sont exclusivement financières, et d’une brutalité sans nom. Mais le financement d’un film se construit sur la présence ou non d’une star. Si elle en fait partie, d’autres financements viendront en corollaire. Or, l’agent de la star sait cela, évidemment… Ça me dérange donc, vu que je suis en situation de faiblesse. En plus, ce star-system fait qu’on recherche toujours les mêmes. Ces acteurs sont peut-être extraordinaires, mais il y a aussi beaucoup de gens valables qui n’ont même pas reçu leur chance de pouvoir exister.»

Bio Express 

Nicolas Steil, 56 ans, a entamé sa carrière chez RTL TV comme journaliste et présentateur du JT. En 1986, il crée Iris Productions pour réaliser des documentaires, des émissions de télévision et des films publicitaires. Mise en veilleuse le temps d’un passage à la direction générale d’Euro AIM (1991-1996), une initiative rattachée au programme Media de la Commission européenne, il réactive Iris Productions en 1997 et l’oriente vers le cinéma. Il a depuis créé des filiales en France, Belgique, Allemagne et au Royaume-Uni.