«Les contraintes d'une société sont des opportunités pour le collaborateur.» (Photo: Jessica Theis)

«Les contraintes d'une société sont des opportunités pour le collaborateur.» (Photo: Jessica Theis)

Madame Notarnicola, lorsque vous évoquez votre parcours professionnel, vous vous dites «nostalgique». À quoi pensez-vous?

«J’ai souvent l’impression que l’on se retrouve aujourd’hui face à un désastre, en matière d’éducation. Une démission des parents, avec un manque de respect d’autrui; une démission des enseignants, avec un manque d’éducation générale et d’ouverture d’esprit… Quand on se retrouve devant un jeune recruté, on a face à soi un produit qui n’est pas fini. Il faut encore le façonner. On a l’impression que c’est à l’entreprise de prendre le relais de ceux qui ont failli. Or j’ai bien du mal avec cette approche-là. Certains jeunes ont tous les droits, mais on ne leur a pas donné la notion de devoirs. Donc, pour les RH, cette évolution revient à voir passer plus de gens qui ont des problèmes que de gens qui n’en ont pas et auxquels on veut pouvoir donner des perspectives de carrière…

En quoi cela influe-t-il sur votre approche?

«On doit davantage organiser les fonctions RH en mode projet, c’est-à-dire se projeter sur l’avenir et façonner le personnel pour affronter les défis économiques. J’essaie surtout de transmettre un message: on peut être heureux en travaillant – ce qui mène à l’apprentissage du développement personnel, à veiller à ne pas devenir spectateur de sa propre vie et tomber dans la victimologie. Oh, ce n’était pas mieux avant, l’individu n’existait pas. Aujourd’hui, il a le droit de s’exprimer et doit être entendu, la valeur et la diversité des personnes sont reconnues. Mais il ne faut pas tomber dans les excès.

Face à cela, comment les outils doivent-ils s’adapter?

«Les systèmes d’information en matière de ressources humaines ont beaucoup évolué. Nous avons des outils, des logiciels de plus en plus performants. Mais il s’agit d’être attentif, l’utilisation des SIRH doit rester respectueuse de chacun et empreinte d’humanisme. La gestion des compétences ne doit pas se limiter à l’expertise technique, mais doit aussi porter sur les savoir-faire et savoir-être. Or ces aspects ne sont pas correctement pris en compte dans les SIRH. Ce n’est pas dans Gesper ou un autre logiciel de cet ordre que l’on va trouver une solution à un problème particulier!

Pour vous, les RH sont une fonction déterminante dans une période de crise telle que nous la traversons…

«Nous vivons une crise économique, mais aussi une crise de l’individu. Nous devons amener les gens dans des projets novateurs, pour favoriser la créativité, et revoir le rapport à l’échec. Prenons un exemple: à l’école primaire, quatre fautes dans une dictée de 100 mots, c’est un échec. Mais 96 mots justes, c’est une réussite!

C’est aux dirigeants, aux managers, de mélanger les regards et les métiers, afin de générer un travail collectif entre des gens très différents, qui peuvent alors se rencontrer et partager leurs besoins et leurs connaissances. Je me vois parfois comme un architecte des relations, dont la fonction principale est d’amener les gens à travailler ensemble.

Avez-vous un secret pour y parvenir?

«Je cherche surtout à faire passer le message que les contraintes d’une société sont des opportunités pour le collaborateur. Je ne crois pas à la baguette magique: je crois à la volonté de chacun de faire du travail une activité vécue positivement et non subie. Ici, on travaille beaucoup sur la polyvalence et la mobilité pour permettre d’améliorer la productivité et les compétences en interne, sans avoir besoin d’aller chercher en externe celles que l’on a déjà! Avec un coup de pouce, une valorisation des personnes, on peut arriver à de très belles choses. Deux formateurs internes ont ainsi été mis en place sur nos deux métiers principaux, chauffeur et magasinier. En un an, on a pu noter une nette amélioration de la qualité du travail. Les retombées sont très positives, pour la société, mais surtout pour les collaborateurs.

Comment se situe le service RH, au sein du groupe CFL Multimodal?

«Nous sommes un élément déterminant, dans la stratégie de l’entreprise. Un centre de coût, évidemment, puisque nous sommes en charge de l’accompagnement permanent de personnes vulnérables. Mais nous sommes aussi un vecteur de la culture de l’entreprise, qui est liée au changement. En veillant à l’implication personnelle de chacun, il est possible de diminuer le turnover et parvenir à recruter, motiver et garder les hauts potentiels, les personnes qui se démarquent par leur ambition, leur intelligence et leur leadership.

C’est pourquoi les RH font aussi partie des fonctions ‘business’ de l’entreprise, avec un volet marketing, quand on recrute, et un volet communication, top down et inversement. Notre rôle est d’être à la fois proactifs et réactifs, pour inscrire l’entreprise et ses hommes dans la durabilité.

Comment le département est-il organisé?

«Mon équipe compte quatre personnes. Chacune a son domaine, mais est capable de travailler de façon transversale. Nous nous devons d’être une équipe sans faille, un exemple et une référence. Et être au quotidien face à la réalité du terrain, à l’écoute de chacun. Chez CFL Multimodal, nous pratiquons un management de proximité, notre service se doit donc d’être un relais permanent entre les managers et l’ensemble du personnel. Nous considérons nos 354 collaborateurs, dans nos cinq filiales, comme nos clients: nous leur devons des prestations de qualité.

La qualité, justement, est l’une de vos valeurs fondamentales…

«Il y en a trois: la qualité, la santé et la sécurité, ainsi que l’environnement. Personnellement, je les appelle plutôt les 3P (planet, profit, people). Les déclinaisons en sont nombreuses: les RH doivent être des business partners positifs, ils ne doivent pas être situés en fin de chaîne. Il s’agit de comprendre la logique économique du secteur, avec une approche RH qui correspond à ses besoins, qui évolue et qui est en adhésion avec les objectifs commerciaux. Les recrutements, comme la formation continue ou avec les formateurs internes, ne doivent pas se faire à court terme, mais dans l’axe du business de l’entreprise, de la conjoncture et de l’économie. Il est essentiel pour cela de fournir des indicateurs, avec la mise en place d’évaluations, d’une bonne gestion de l’absentéisme, avec des entretiens individuels et un support psychologique, en collaboration avec la médecine du travail. Il est essentiel aussi de renforcer les fonctions d’encadrement et de favoriser les mobilités internes. Pour moi, un bon dialogue social est un important facteur de performance.

Comment le nombre de collaborateurs du groupe a-t-il évolué, ces dernières années?

«En 2011, le groupe a grandi brutalement: en une nuit, nous sommes passés de 200 à 350 personnes, avec l’intégration de Lentz Logistics et Lentz Express. Nous n’avons procédé à aucun licenciement et repris l’intégralité des contrats. Les défis ont été nombreux, puisqu’il a fallu adapter les postes de travail à de nouvelles activités, fusionner les fonctions support, appliquer la politique QSE du groupe CFL à la nouvelle entité Lentz MM… En novembre de la même année, nous avons développé et mis en production un SIRH intégrant toutes les fonctions RH et s’inscrivant dans le cadre de la politique ‘environnement et développement durable’ du groupe. L’autre temps fort a eu lieu en juillet 2012, avec la reprise de la gestion d’un dépôt de grande distribution et l’intégration de 25 personnes, ainsi que le recrutement de 10nouveaux collaborateurs via l’Adem, avec laquelle nous collaborons étroitement.

Avez-vous de nouveaux développements à préparer?

«Oui, et ils arriveront rapidement. Le nouveau terminal, sur la zone Bettembourg-Dudelange, devrait être opérationnel fin 2015 et le nouvel entrepôt central, en 2016. Cela permettra le regroupement de tous nos sites et facilitera grandement notre travail. C’est pour cela que nous nous engageons beaucoup sur la polyvalence et la mobilité. Ce n’est pas quand l’entrepôt sera construit qu’il faudra commencer à le faire!

Vous poursuivez donc les recrutements…

«Bien sûr! Afin de nous différencier de la concurrence, nous recrutons principalement sur le plan national et en Grande Région, avec des CDI luxembourgeois. En parallèle, nous avons souscrit et mis en place un plan de maintien dans l’emploi, avec des conventions retraite-solidarité, ainsi que des CIE (contrats d’initiation à l’emploi, ndlr). Nous veillons aussi tout particulièrement à l’employabilité de nos collaborateurs et au transfert des connaissances, afin d’assurer une prestation de services sur mesure à nos clients.

Quels sont vos principaux challenges, pour les années à venir?

«Au niveau interne, je dirais maintenir la paix sociale dans un secteur très vulnérable; nous sommes actuellement en pleines négociations sur la convention collective. Il s’agit également de développer une culture d’appartenance au groupe – via des mobilités croisées – et de créer un climat de confiance. Pour cela, il faut être en permanence à l’écoute de chaque collaborateur, malgré la multiplicité des sites et la problématique des chauffeurs hors site, afin de créer un climat fédérateur, permettant la cohésion des équipes. C’est essentiel pour la réussite des opérations.

En tant qu’acteur majeur dans son secteur, CFL Multimodal joue-t-il également un rôle de locomotive pour le développement de la logistique dans le pays?

«C’est évident. Nous voulons attirer des professionnels de la logistique, des hauts potentiels. Mais nous pouvons également envisager de les former au Luxembourg: notre département RH participe activement à la mise en place de formations logistiques dans le pays, à différents niveaux, du CATP au master, en passant par les BTS… Il s’agit pour nous de contribuer à faire du Luxembourg un centre logistique européen, où CFLMMse positionnera non seulement comme étant le premier opérateur de transport multimodal, mais aussi comme le prestataire de référence au niveau de la logistique. Il y a donc tout un travail de communication à faire, à l’adresse de nos clients bien sûr, mais aussi des acteurs économiques de la Place, via une politique de ‘marketing RH’. Avec pour principal objectif de faire admettre que seul l’homme est la valeur de notre entreprise.»

Parcours

Une auberge espagnole

Après 38 années passées dans les ressources humaines, Sylvie Notarnicola a plus de doutes que de certitudes, à l’heure d’évoquer son parcours: «La question se pose. Les RH, pour moi, est-ce aujourd’hui une nostalgie ou une espérance?, lâche-t-elle dans un large sourire.

Je ne suis pas entrée directement dans le métier. J’ai baigné, entre 1958 et 1970, dans une culture multilingue et littéraire, à l’École européenne de Luxembourg. Après avoir passé une licence en langues, je suis entrée à la Commission, juste le temps de me rendre compte que je n’avais pas un esprit de fonctionnaire!»

C’est par le biais de l’intérim qu’elle fait ses premières armes dans les RH. «Une bonne école, où l’homme est au centre de l’activité.» Elle découvre un univers qui lui sied parfaitement et travaille dans l’industrie automobile (General Motors), la banque (Crédit Agricole, Dexia), la sécurité (G4S) et enfin la logistique, en entrant en janvier 2010 chez CFL Mutimodal.

Quel que soit le secteur, les RH ont pour Mme Notarnicola un «dénominateur commun, car l’homme est la seule richesse; et une éthique, le respect de l’individu. Dans cette fonction, nous sommes en permanence sollicités, pour donner, mais nous recevons aussi non-stop. Un département RH, pour moi, est une auberge espagnole: tu y trouves ce que tu y apportes.»