Chaque mois, paperJam propose un gros plan sur une start-up luxembourgeoise. (Photo : Julien Becker / archives)

Chaque mois, paperJam propose un gros plan sur une start-up luxembourgeoise. (Photo : Julien Becker / archives)

Aujourd’hui, plus de 700.000 appli­cations sont distribuées sur les deux principaux « app stores » gérés par Google et Apple. Le géant de la recherche et de la veille technologique, Gartner, estime que le marché des applications représentera à la fin de l’année un volume d’affaires de 25 milliards de dollars, soit 62 % de plus qu’en 2012, autrement dit, un vrai pactole sur lequel lorgnent les entrepreneurs de la génération Y.

Parmi eux, Tetyana Karpenko l’hyperactive (voir encadré) se lance. Mais pas de n’importe quelle façon. Si, comme l’indique Flurry Analytics, les utilisateurs passent environ deux heures par jour sur les apps, l’entrepreneure d’origine ukrainienne conçoit elle une application pédagogique et dotée d’une réelle utilité sociale : un e-book multilingue pour les supports mobiles équipés d’un écran tactile. Il s’agit en fait d’une application dédiée aux enfants vivant dans un environnement cosmopolite. « Il faut développer la conscience des langues étrangères et familiariser les enfants avec elles dès leur plus jeune âge. Si cela n’est pas fait, alors ils seront effrayés par l’apprentissage de nouvelles langues et seront freinés dans leur développement », dit-elle.

Pour se démarquer dans une situation concurrentielle poussée à son paroxysme, entre des applications grand public et d’autres, davantage focalisées sur l’enfance (voir encadré), The Loupe se base sur des fondements scientifiques. C’est d’ailleurs au cours de ses études à l’Université du Luxembourg, dans le cadre du master Learning and Development in Multilingual and Multicultural Context, que Tetyana Karpenko a commencé à envisager l’objet vendu. « J’ai commencé à regarder différemment les outils digitaux et les médias de masse, dit-elle, et de nouvelles idées ont germé. » Elle était enceinte à l’époque, elle a eu envie de
faire naître, aussi, son entreprise.

Le contexte explique également certainement que la première réalisation soit un conte interactif. Dans un design désuet charmant, le spectateur-utilisateur peut suivre les pérégrinations du petit chaperon rouge en alternant les langues (allemand, anglais, français et russe) à l’envi et en activant les objets (arbres, portes, etc.) environnants. Tout a été conçu minutieusement en collaboration avec le département de recherche, le Dica-Lab, au sein duquel Tetyana Karpenko prépare son doctorat. « Toutes ces décisions qui ne paraissent pas importantes, comme les sonorités ajoutées, ont été prises conformément à des principes pédagogiques opérant sur des enfants vivant dans des environnements multilingues », ajoute-t-elle.

Pour l’instant « Le Petit Chaperon Rouge » est la seule application développée par la start-up. L’entrepreneure souhaite tenter sa chance à fond et aller au bout de la logique en testant son business model sur un produit avant d’en développer d’autres. En affaires, elle est conseillée par les experts participant au programme « Luxembourg Pionnières – l’incubation au féminin » (voir encadré). Ainsi, les objectifs sont d’abord de diffuser le produit en en faisant la publicité. Si le marché luxembourgeois constitue un échantillon idoine pour en mesurer l’accueil, il faut ensuite le vendre internationalement. Et à ceux qui pensent que la très grande majorité des consommateurs d’apps ne sont pas concernés par le multilinguisme, Tetyana Karpenko leur répond que dans un contexte de globalisation, la caractéristique multilingue est de plus en plus prégnante.

Alors évidemment, quand il s’agit d’applications, le marché américain fait figure d’Eldorado. Et pour ne pas galvauder les fondements pédagogiques de l’app, la start-up envisage de l’approcher par la publication d’articles dans des revues scientifiques, des liens avec des sites spécialisés (comme iMom.com) ou via la participation à des séminaires.

Un autre moyen envisagé pour faire connaître l’app est de passer par un livre qui permettra de faire le lien avec l’application et le conte correspondant. Le support papier est lui aussi pensé d’une manière originale puisqu’il devra être construit, au moyen
de collages, dans les langues de son choix par l’enfant. La start-up prend le parti de distribuer le livre via Amazon à un tarif proche du prix de revient. Celle-ci compte essentiellement réaliser sa marge sur la vente massive d’applications sur les stores. L’application de The Loupe coute 0,99 dollar. Dans son business plan le plus optimiste, la CEO espère en vendre 5.000 par jour. « Une vision réaliste si nous parvenons à apparaître dans les meilleurs magazines de parents et d’apps aux États-Unis », dit-elle. Le pari n’est pas des plus risqués. La jeune pousse luxembourgeoise jouit d’une structure agile et suit un modèle collaboratif impliquant de nombreux acteurs. Pour la réalisation technique, elle fait appel à une société russe, Foundreams. Au rang des conseillers déjà mentionnés vient se greffer l’association sans but lucratif, Multi-Learn Institute for Interaction and Development in Diversity. Ils viennent alimenter le pipeline d’idées pour générer d’autres revenus. Tetyana Karpenko prévoit ainsi de développer une solution de communication, ludique et pédagogique, pour familles divisées internationalement. Le concept n’est pas encore finalisé et l’entrepreneure préfère rester secrète avant d’avoir protégé son invention au moyen d’un brevet.

Aujourd’hui, la société est déjà rentable puisqu’elle n’occupe qu’une partie du temps de sa directrice et que Foundreams paie actuellement des droits pour utiliser l’application... auxquels il faut ajouter 30 % pour The Loupe sur la vente de chaque application. Mais il est encore possible pour la start-up de multiplier les lignes de revenu par la cession de droits de licence, les commissions sur les ventes, la publicité ou encore des contrats avec les opérateurs. Il faudra alors développer les aspects commerciaux. The Loupe n’en est pas encore là. L’essai reste à transformer, mais on a envie de croiser les doigts.