Le milliardaire israélien a marqué des points devant la justice luxembourgeoise. (Photo: licence cc )

Le milliardaire israélien a marqué des points devant la justice luxembourgeoise. (Photo: licence cc )

En 2003, les actifs que le milliardaire israélien Arcady Gaydamak avait dissimulés dans les banques luxembourgeoises sont repérés et gelés à la suite d’une dénonciation d’une banque, avant d’être finalement débloqués par la justice luxembourgeoise dans des circonstances assez ténébreuses.

L’identité du bénéficiaire économique de l’argent, plus de 600 millions de dollars, fut si bien cachée à travers des montages juridiques complexes faits de sociétés écran, d’une fondation prétendument religieuse et de prête-noms, qu’une partie des montants s’est évaporée dans la nature. Gaydamak cherche depuis des années à remettre la main sur l’intégralité du magot, en passant des alliances avec ceux qui lui avaient servi d’intermédiaires; en multipliant les procédures en justice et négociant avec son ancienne banque, Sella Bank. Cette dernière, suite à cette affaire, avait dû mettre en place une structure de défaisance de ses actifs douteux: la société Miret.

Mais en raison de tous ces montages, il lui fut longtemps difficile de faire la démonstration devant les juges qu’il est bien le propriétaire des fonds. La justice lui a longtemps refusé la moindre attention, rejetant ses recours les uns après les autres, ne serait-ce que pour obtenir un accès aux documents bancaires. D’où la décision de l’homme d’affaires de passer à la vitesse supérieure et de déposer en septembre 2013 une plainte pénale avec constitution de partie civile à l’encontre de ceux qu’il accuse de l’avoir dépouillé. La plainte de Gaydamak désignait deux personnes physiques Joelle Mamane et Guy Gad Boukobza et deux sociétés, Gestman et Cofidom Gestman.

Dans un droit de réponse qu’ils avaient fait parvenir à notre rédaction en avril 2014, la fiduciaire incriminée indiquait «qu’aucun de nos employés ni dirigeants n’a jamais 'empoché' une quelconque partie des fonds appartenant à Monsieur Gaydamak ou ses sociétés, et n’a jamais 'spolié' ce dernier ni de manière directe ni de manière indirecte. D’autre part, aucun de nos employés ni dirigeants n’a jamais servi de prête-nom à Monsieur Gaydamak».

Ordonnance de non-informer du juge Maas

Le 8 octobre 2014, le juge d’instruction Stéphane Maas avait rendu une ordonnance de non-informer, suivant ainsi le réquisitoire du Procureur d’État, considérant que les faits dénoncés par l’avocat du milliardaire israélien ne pouvaient admettre «aucune qualification pénale».

Un appel fut interjeté le 14 octobre dernier contre le non-lieu devant la Chambre du conseil de la Cour d’appel qui en a décidé tout autrement, jugeant que les documents à la base de la plainte de Gaydamak donnaient matière à l’ouverture d’une instruction judiciaire.

Le Parquet général soutenait une position plutôt contradictoire. Son représentant requérait à titre principal la confirmation de l’ordonnance du juge Maas en raison de l’insuffisance des faits pour «pouvoir admettre une qualification pénale», mais en demandait «subsidiairement» aussi la réformation.

Dans l’arrêt du 17 décembre 2014 dont Paperjam.lu a eu connaissance, le Parquet général réclamait «l’ouverture d’une instruction judiciaire au cas où la Chambre du conseil de la Cour d’appel devait estimer qu’au vu des explications fournies par le conseil du plaignant et des pièces justificatives versées par lui en instance d’appel, il existe des indices suffisants permettant d’admettre que le plaignant est le propriétaire des fonds investis dans la fondation Dorset et le bénéficiaire économique des fonds d’investissement et des sociétés de gestion et que des fonds d’un montant important ont été détournés frauduleusement par les personnes visées par la plainte».

Saisie de documents auprès de l’ex-Sella Bank

Le ministère public demandait en outre la saisine d’un nouveau juge d’instruction.

Les juges de la Chambre du conseil de la Cour d’appel ont suivi ce réquisitoire. «Il y a lieu», souligne l’arrêt, «à réformation de l’ordonnance et d’ordonner l’ouverture d’une instruction judiciaire sur les faits de la cause qui devra comporter, entre autres devoirs, la saisie des documents en relation avec la plainte auprès de la banque Miret et d’audition de M. A. Baruffini, administrateur-délégué de la susdite banque.»

Un autre juge que Stéphane Maas doit donc être désigné pour instruire l’enquête qui pourrait faire apparaître d’autres protagonistes que les deux personnes et les deux sociétés visées par la plainte initiale. D’autant plus qu’Arcady Gaydamak, fort de cette évolution de l’enquête, accuse un de ses gestionnaires luxembourgeois d’avoir fait preuve d’une conduite malhonnête et déloyale. L’affaire pourrait donc éclabousser pas mal de monde, l’homme d’affaires paraissant décidé à lâcher sa version de l’affaire des commissions qu’il avait touchées en 2001 de la part du président angolais pour la renégociation de la dette du pays vis-à-vis de la Russie, opération dans laquelle Gaydamak avait touché quelque 618 millions de dollars.

Contactée par la rédaction de Paperjam.lu, Joelle Mamane estime que les allégations de Gaydamak et sa plainte sont «sans fondement». «Une enquête objective  et impartiale ne pourrait que le débouter», nous fait-elle savoir, ajoutant faire «confiance à la justice luxembourgeoise». 

Déblocage de fonds

Par ailleurs, une seconde décision de justice, délivrée le 13 janvier dernier, à la demande de Miret, a permis le déblocage dans cette société de défaisance de près de 7 millions de dollars, que revendiquent chacun de leur côté Gaydamak et le fonds Doxa domicilié dans les Îles vierges britanniques. Ces 7 millions de dollars avaient d’abord fait l’objet d’une demande en restitution de Doxa à Miret en septembre 2014 à la requête du fonds offshore devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Cette demande fut accueillie favorablement par une juge, mais compte tenu du fait que les fonds font l’objet d’un litige sur leur propriété que l’avocat du demandeur n’avait pas communiqué au tribunal, un appel avait été interjeté par la «bad» banque Miret devant le juge des référés pour faire annuler leur restitution. Ce qui est désormais chose faite.