La liquidatrice Yvette Hamilius s'est toujours refusée à voir du pénal s'immiscer dans le dossier et à porter plainte. (photo: Jessica Theis / archives)

La liquidatrice Yvette Hamilius s'est toujours refusée à voir du pénal s'immiscer dans le dossier et à porter plainte. (photo: Jessica Theis / archives)

Le collectif des victimes de la banque Landsbanki Luxembourg, en liquidation, exultent et parlent d’une décision «historique»: la plainte avec constitution de partie civile qu’ils avaient déposée en novembre 2012 pour escroquerie et abus de confiance contre les dirigeants de la banque va être instruite à Luxembourg.

La chambre du conseil de la Cour d’appel a réformé partiellement dans un arrêt du 10 juillet dernier l’ordonnance de non-informer du juge d’instruction directeur Ernest Nilles du 23 décembre 2013. À l’époque, le magistrat avait estimé qu’il y avait prescription sur les délits imputés aux dirigeants de la banque islandaise.

Un non-lieu jugé choquant pour les victimes des prêts toxiques qui accusaient volontiers le Luxembourg d’être un sanctuaire de la fraude, alors que tous les pays autour de lui avaient lancé des poursuites contre la banque.

Le collectif des victimes avait fait appel de cette décision. La justice luxembourgeoise devra donc démarrer une instruction pour des faits qualifiés de blanchiment (retenue à l’égard de la liquidatrice), faux bilans de Landsbanki Luxembourg et association de malfaiteurs. Le volet des faits liés à l’escroquerie et l’abus de confiance a été rejeté, mais devrait ressurgir dans l’enquête pour blanchiment, puisqu’il s’agit des infractions primaires à la base du blanchiment.

Un arrêt «remarquable» qui tranche avec l’impression de paresse d’esprit qui avait semblé affecter le cabinet d’instruction, mais aussi les juridictions civiles au Luxembourg ayant eu à statuer dans les affaires «Landsbanki Luxembourg». La filiale luxembourgeoise de la banque islandaise avait vendu des prêts toxiques dits «equity release», une offre de prêt garanti par une inscription hypothécaire sur la propriété immobilière de l’emprunteur, et une offre de souscription d’un contrat d’assurance-vie adossé à des fonds d’investissement liés à des actions Landsbanki en Islande (l’arrêt évoque un probable conflit d’intérêts). Les clients victimes se comptent par centaines, pour l’essentiel des retraités.

À la faillite de la banque, ces clients furent dans l’incapacité de rembourser leurs prêts. La liquidatrice entama dés lors des démarches pour réaliser les garanties, ce qui signifie la vente forcée des biens immobiliers.

La décision du 10 juillet va tout remettre à plat et marque le lancement d’une procédure d’instruction pénale au Luxembourg, sans que l’on puisse toutefois en présager le résultat. À tout le moins, il y aura une instruction qui fera le tri. C’est déjà un pas de franchi.

Au fond des choses

Jusqu’à présent, alors qu’en France et en Espagne les enquêtes pénales avançaient à grand pas (il y a eu des mises en examen) pour déterminer les responsabilités des dirigeants de la banque luxembourgeoise, au Luxembourg prévalait une sorte d’immunité judiciaire, comme si le système présumé frauduleux mis en place par la banque était passé à côté du pays comme le nuage de Tchernobyl.

«L’infraction de blanchiment est punissable, même si l’infraction primaire est commise à l’étranger, ce qui exclut de sanctuariser le Grand-Duché pour des pratiques de blanchiment», souligne un communiqué du Collectif des victimes. Celles-ci «espèrent que cette décision va permettre d’aller au fond des choses concernant la réalisation d’actifs obtenus par suite des escroqueries».

Il faut, ajoute le texte, «que tous les auteurs, coauteurs et complices d’éventuelles infractions [rendent] compte devant les tribunaux correctionnels si les éléments constitutifs de l’infraction de blanchiment sont repérés. Puisse la justice poursuivre son œuvre.»

Yvette Hamilius, la liquidatrice de la banque, s’était toujours refusée à voir du pénal dans le dossier et n’a jamais voulu porter plainte contre l’ancienne direction. Une position désormais intenable. Elle est au cœur de l’instruction pour blanchiment, même si rien ne dit qu’au final elle sera inculpée un jour, voire renvoyée devant une juridiction de jugement.

Compétence internationale du juge d’instruction

L’arrêt de la Chambre du conseil de la Cour d’appel a placé le débat sur un autre terrain que la prescription: celui de la compétence internationale du juge d’instruction. S’il n’est pas compétent, disent les juges, pour enquêter sur les infractions d’abus de confiance et d’escroquerie (commises en France, en Espagne et marginalement au Portugal), il l’est pour mettre notamment le pointeur sur les infractions de faux (faux bilan) et usage de faux et blanchiment.

«En ce qui concerne le délit de blanchiment imputé à la liquidatrice de l’établissement financier Landsbanki Luxembourg SA (…), la Chambre du conseil de la Cour relève que, contrairement à l’appréciation du juge d’instruction, la qualité de liquidateur ne confère aucune immunité pénale», lit-on dans l’arrêt. «Au vu des mises en examens intervenues en France, il existe d’ores et déjà des indices permettant de croire que la commercialisation du produit financier 'equity release' a été opérée au moyen de procédés malhonnêtes susceptibles de revêtir la qualification d’escroquerie», poursuivent les juges en précisant que «l’infraction de blanchiment est également punissable lorsque l’infraction primaire a été commise à l’étranger».

Coordination de l’action pénale dans l’UE

«À cet égard», se félicite le collectif, «le travail juridictionnel de la Chambre du conseil de la Cour contribue à la coordination de l’action pénale en Europe en cas de pratiques infractionnelles commises sur les territoires de plusieurs États membres de l’Union. C’est une avancée non négligeable dans la lutte contre la délinquance financière.»

Pour faire simple, le raisonnement des magistrats est le suivant: pour établir le blanchiment, qui est une infraction secondaire, il faut d’abord établir l’infraction primaire, ce qui pourra l’être en France et en Espagne où des enquêtes ont été ouvertes du chef, entre autres, d’escroquerie, de faux et usage de faux. Si ces infractions devaient être établies, ce serait mauvais signe pour la liquidatrice, dans la mesure où elle a tenté de réaliser – et a réalisé dans certains cas – les garanties formées dans le contexte des prêts présumés escroqués.

Le fait d’utiliser le produit de cette infraction constituerait alors, de la part de la liquidatrice, du blanchiment présumé. Il sera difficile pour Me Hamilius, dans ces circonstances, de démontrer qu’elle ignorait que les garanties et prêts étaient le produit d’une infraction, alors que les nombreux recours formés par les victimes, ainsi que les enquêtes ouvertes à l’étranger, auraient dû lui mettre la puce à l’oreille et l’inciter à déposer une plainte (ce qu’elle s’est toujours refusée à faire jusqu’à présent) au lieu de s’entêter dans la réalisation d’actifs douteux.

«Le juge d’instruction ne pouvait pas décider de ne pas instruire du chef de blanchiment», souligne l’arrêt du 10 juillet en réformant l’ordonnance du juge Nilles et en exigeant «que le juge d’instruction (…) poursuive l’information des faits qualifiés de blanchiment (article 506-1 du code pénal), de faux bilans de Landsbanki Luxembourg (...) et d’association de malfaiteurs».