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L’importance du droit de la concurrence et la dimension économique de cet instrument de régulation restent malheureusement, sept ans après la mise en place d’autorités de concurrence à Luxembourg, peu connues.

Au Luxembourg, on a du mal à distinguer une réelle politique de concurrence. Bien que l’on constate que les entreprises sont devenues très sensibles à la matière, il ne semble pas exister une réelle volonté de mettre en place une véritable politique de concurrence. La problématique des taxis, par exemple, connue depuis 2004, n’a toujours pas trouvé de solution…

Le droit de la concurrence aura, espérons-le, une deuxième chance de démarrer à Luxembourg avec l’instauration d’une toute nouvelle autorité de concurrence qui sera opérationnelle quatre mois après la publication de la nouvelle loi votée le 12 octobre 2011.

Le droit de la concurrence est un droit économique et l’apport de l’économiste est un complément indispensable pour les juristes, avocats et juges qui sont censés prendre des décisions en matière de concurrence.

L’idée selon laquelle il existerait une relation entre structure de marché et pouvoir de marché (mesuré par l’indice de Lerner) trouve son fondement dans l’analyse néoclassique des structures de marché.

L’importance des économistes et de l’analyse économique est, entre autres, illustrée par le fait qu’en France, un économiste a été nommé conseiller à la Cour de cassation, afin de donner son avis sur des affaires de concurrence à trancher par ladite Cour.

Les autorités de concurrence prestigieuses ont très souvent été et sont dirigées par des économistes : l’Office of Fair Trading en Angleterre, le Bundeskartellamt en Allemagne et la Commission européenne.

Les affaires de concurrence, surtout dans le domaine d’abus de position dominante et de concentrations, requièrent une expertise économique solide. Il est difficilement imaginable qu’une autorité de concurrence sous-traite systématiquement cette analyse à des experts externes.

En pratique, un problème auquel est confrontée l’autorité de concurrence luxembourgeoise vient du fait qu’il n’existe pas de cabinets de conseil économique spécialisés dans ce domaine. Lors­qu’il s’agit de mener des études ou enquêtes pour comprendre le fonctionnement des marchés, il est fait appel à des experts étrangers.

Une des raisons de ce manque d’expertise réside tout simplement dans le fait qu’il y a peu d’affaires de concurrence traitées depuis 2004 avec des résultats concrets et que cette matière n’a pas encore atteint le degré de maturité suffisant pour intéresser les conseillers économiques. Certains avaient essayé de développer celle-ci à Luxembourg en 2004, mais ils se sont vite aperçus qu’il n’y avait pas de business case pour un tel marché…

Une législation ayant adopté une approche économique. – Il est important de noter que, depuis le début des années 2000, la législation européenne en matière de concurrence, mais aussi les législations nationales, se sont éloignées d’une approche per se pour se rapprocher d’une rule of reason. Concrètement, cela signifie qu’un comportement n’est pas interdit par principe, mais que la licéité du comportement d’une entreprise résulte d’une analyse au cas par cas.

Ainsi, des collaborations entre entreprises con­currentes dans le domaine de la recherche et du développement ne sont pas systématiquement condamnées et interdites. Une entreprise pourra en principe toujours démontrer les gains d’efficacité dans l’intérêt des consommateurs en cas de collaboration entre entreprises concurrentes. Cependant, certaines formes de collaboration, comme une concertation de prix, une allocation ou une répartition des marchés, ou encore un abus d’une position dominante individuelle ou collective, ne pourraient jamais bénéficier d’une exemption ou être déclarées licites par rapport aux règles de concurrence.

L’analyse économique en matière d’abus de position dominante. – Il y a lieu de rappeler que la seule détention d’une position dominante sur un marché n’est pas interdite. Ce n’est que l’abus d’une telle position qui est interdit et qui pourra être sanctionné. Au Luxembourg, la majorité des affaires pendantes devant les deux autorités de concurrence actuelles concerne des abus de position dominante. De telles affaires sont difficiles à instruire et l’analyse économique y est cruciale.

Afin d’établir une position dominante, l’autorité de concurrence doit définir le ou les marchés de produits / services concernés et le ou les marchés géographiques concernés. Pour ce faire, l’autorité de concurrence est guidée par des lignes directrices de la Commission européenne, mais une vraie analyse des marchés est nécessaire.

L’autorité de concurrence luxembourgeoise a un désavantage majeur par rapport à tous ses autres homologues européens : elle n’a pas les informations et la connaissance des marchés, car il n’existe pas de contrôle des concentrations à Luxembourg. Sans vouloir plaider par principe pour l’introduction d’un tel contrôle à Luxembourg, il aurait valu la peine de creuser ceci sérieusement.

En cas d’existence d’un contrôle des concentrations, les entreprises doivent obligatoirement fournir toutes leurs informations concernant leurs marchés et ceci très souvent avec l’aide de cabinets de conseil économique. L’autorité de concurrence ne doit donc pas aller chercher ces informations. Elle doit certes les analyser, mais la compréhension du fonctionnement des marchés et par conséquent l’analyse des affaires d’abus de position dominante est facilité pour ces autorités.

Les nouveaux pouvoirs de la nouvelle autorité de concurrence. – La nouvelle autorité de concurrence dispose aussi de nouveaux pouvoirs qui nécessitent des ressources et des compétences en matière d’analyse économique. Ainsi, il est prévu que le Conseil effectue des enquêtes sectorielles, délivre des avis et des études de marchés.

Perspectives d’avenir. – S’il est vrai que le droit de la concurrence reste encore à un stade embryonnaire au Luxembourg et qu’il y a peu de contacts ou de collaborations entre juristes et économistes, l’Association luxembourgeoise pour l’étude du droit de la concurrence (www.luxcompetitionassociation.org) encourage une collaboration et un échange d’idées entre économistes et juristes afin de favoriser l’évolution de cette matière à Luxembourg.