À l’heure du réveil, à la minute où le monde du travail se met en route pour rallier son espace professionnel, la population salariée se répartit, en forçant un peu le trait, entre les pieds de plomb et les cœurs légers. Entre ceux pour qui «faire sa journée» est devenu une corvée et ceux qui voient leur job comme une source d’épanouissement personnel, voire une passion. Ce n’est pas qu’une question de caractère ou de tempérament. Bien souvent, la motivation d’un employé est liée à l’environnement dans lequel s’inscrit sa fonction, à l’esprit qui règne dans l’entreprise, bref au «bien-être au travail». Une notion qui a pris son essor avec l’avènement de la société des services, au moment où les espaces de bureaux ont pris le dessus sur les chaînes de production où les salariés venaient «faire leurs heures» de manière mécanique, avec des tâches codées et des horaires bien définis.
Si le travail salarié a beaucoup évolué vers des espaces de bureaux informatisés, correctement chauffés, voire climatisés, les attentes des employeurs ont aussi bougé. On attend désormais de chaque personne sous contrat qu’elle donne le meilleur d’elle-même pour la société, en heures, mais aussi en engagement personnel dans son travail. La motivation du personnel est, dans bien des cas, un facteur-clé du succès. Mais elle ne s’obtient pas sans effort dans ce sens. «Il faut créer les conditions dans lesquelles chacun peut exprimer son talent et s’épanouir, peut fournir un apport tel que 2+2 fera au minimum 5», avance Julian Troian, HR director et chief happiness officer – en rouge sur blanc sur sa business card! – de la jeune société Etix Everywhere, spécialisée dans les data centers.
Travailler beaucoup est une chose, mais il faut aussi pouvoir sortir de l’environnement professionnel.
Olivier Lemaire, partner & people leader chez EY
De plus en plus, donc, les sociétés qui ont bien compris ce principe réfléchissent à la manière de mettre en place ces conditions de travail favorables. «Il ne faut pas se voiler la face, l’objectif est de créer une atmosphère chaleureuse où les gens se sentent suffisamment bien pour donner le meilleur d’eux-mêmes», estime Olivier Lemaire, partner et people leader chez EY Luxembourg.
D’un autre côté, il insiste sur le besoin d’assurer le bien-être au travail dans un monde où les limites sont de moins en moins claires entre travail et vie privée. «On demande de plus en plus d’implication à un employé, surtout depuis l’arrivée des nouvelles technologies qui font que tout le monde est connecté en permanence. Il est donc normal qu’en contrepartie on fasse attention à son épanouissement.» Sinon, c’est la porte ouverte aux burn-out et autres souffrances liées au monde du travail.
Quelques règles de base
Évidemment, le bien-être au travail ne s’obtient pas par décret. Faire en sorte qu’il se ressente à tous les étages demande de s’assurer que quelques principes fondamentaux soient respectés. Passons les principaux en revue.
L’entretien d’embauche. «Le bien-être au travail commence dès l’entretien d’embauche», affirme Julian Troian. Il explique, en guise d’exemple, que chez Etix, le principe de base avec tout candidat est de le mettre à l’aise en débattant d’abord de choses et d’autres autour d’un café. Une attitude qui permet de diminuer le stress au moment de l’entretien. Sophie Icher, gestionnaire des talents au sein du bureau d’architecture luxembourgeois Steinmetzdemeyer, confirme: «Nous avons développé une pratique un peu similaire. Lors de chaque entretien, nous présentons le portfolio de l’entreprise au candidat et nous en discutons avec lui. Que l’entretien soit concluant ou pas, il repart en tout cas avec une certaine idée de notre culture d’entreprise.»
Il ne faut pas tomber dans le syndrome du Club Med.
Julian Troian, HR director & chief happiness officer chez Etix Everywhere
Le premier jour. Qui oserait dire que le premier jour au sein d’une entreprise n’est pas stressant? La manière dont la nouvelle recrue est accueillie jouera sur sa perception de la société et sur son état d’esprit dans sa vie au sein de ce nouvel environnement. «Un onboarding réussi est une première étape pour favoriser le bien-être», lance Sophie Icher. «La personne doit se sentir attendue, elle doit être accueillie selon un process qui n’est pas ressenti comme tel, quelque chose de souple qui se fait naturellement.» Chez Etix Everywhere, la pratique mise en place pour garantir l’accueil est celle du parrainage. «Chaque employé a un parrain», précise le responsable des ressources humaines. «Bientôt, le nouvel arrivant pourra le choisir via une sorte de Facebook interne.»
Promouvoir la flexibilité. Un employé a beau vouloir s’impliquer dans la vie de la société, à un moment il se fait rattraper par des contraintes d’ordre privé qu’il va devoir régler. Un aspect dont l’entreprise doit aussi pouvoir tenir compte. «Offrir la possibilité d’organiser son temps de travail de façon flexible en fonction de contraintes liées à la vie privée permet au collaborateur de s’ôter une certaine pression dans la gestion du temps», note Olivier Lemaire. «S’il peut s’organiser et se prendre en charge, tout le monde sera gagnant.»
Reconnaître la valeur de quelqu’un fait qu’il pourra se considérer comme un individu à part entière de l’entreprise.
Sophie Icher, gestionnaire des talents chez Steinmetzdemeyer
Assurer la confiance. Certains chefs d’entreprise se plaignent parfois de ce que leurs équipes ne s’engagent jamais fortement dans un dialogue constructif permettant de faire changer les choses. «C’est parfois le manque de confiance qui fait que les conversations restent superficielles, qu’on n’atteint pas le fond des choses et que les vraies discussions se font à la sortie des réunions devant la machine à café», constate Julian Troian. Selon son expérience, seul un climat de pleine confiance permet d’entamer des discussions constructives qui permettront de faire évoluer les choses dans la bonne direction.
L’environnement de travail. Pour certains, le bien-être pourrait se limiter à un environnement de travail. On l’a vu, ça ne suffit clairement pas. Mais ça ne veut pas dire qu’on peut en faire l’impasse. «Non, c’est un facteur-clé», précise Mme Icher. «Les employés passent la majorité de leur temps au sein de l’entreprise, ils doivent s’y sentir chez eux, s’approprier les lieux, pouvoir disposer d’espaces dédiés à la détente, aux conversations plus informelles ou plus confidentielles.» Sans pour autant aller trop loin. Avec le développement des start-up liées au boom d’internet, au début des années 2000, on a par exemple vu fleurir les baby-foot dans les couloirs de bureaux. Avec l’idée, à peine voilée, qu’un employé qui peut se détendre passera plus de temps à son desk. «Il y a bien-être et bien-être», tempère le people leader d’EY. «Doit-il vraiment y avoir des divertissements sur le lieu de travail? Il faut aussi faire attention à ce que les gens s’assurent une vie privée. Travailler beaucoup est une chose, mais il faut aussi savoir sortir de l’environnement professionnel.»
Se remettre en question est crucial, même quand tout va bien.
Sophie Icher, gestionnaire des talents chez Steinmetzdemeyer
«J’explique souvent qu’il ne faut pas tomber dans le syndrome du Club Med», lance encore M. Troian. «Avoir des employés heureux ne veut pas dire qu’ils sont engagés pour autant.» Or, c’est bien ce que les employeurs recherchent: des personnes capables de s’impliquer dans un projet en donnant le meilleur d’elles-mêmes. Et pour maintenir intacte la motivation d’un employé, il faut aussi préserver le contact humain. Et si possible autrement que via la technique de l’évaluation annuelle, de plus en plus jugée insatisfaisante parce que trop restrictive. «Peut-on vraiment juger quelqu’un sur un rendez-vous d’une heure sur l’année?» interroge Olivier Lemaire. De moins en moins, visiblement. La nouvelle génération fait tout plus vite et est en demande d’un feed-back constant auquel les employeurs doivent s’adapter.
La reconnaissance. Sophie Icher parle de son côté de l’importance du contact informel pour maintenir l’engagement d’une personne vis-à-vis de sa société, mais aussi de la «reconnaissance» envers un ou plusieurs employés. «Ça valorise. Reconnaître la valeur de quelqu’un fait qu’il se sentira bien et qu’il pourra se considérer comme un individu à part entière de l’entreprise.» Ça semble une évidence. Pourtant, beaucoup d’employés se plaignent d’un manque de reconnaissance de la valeur de leur travail par leur supérieur hiérarchique. Parce qu’il n’y pense pas, ne le veut pas ou prend les fleurs pour lui en tant que chef d’équipe. Dans différentes entreprises, des outils sont désormais développés pour faire en sorte que chacun puisse publiquement féliciter ou remercier une autre personne.
Mesurer et agir en conséquence
Mesurer le bien-être d’une personne dans son milieu professionnel n’est évidemment pas une chose aisée. Certains vont se taire, rester dans leur coin sans que l’on sache s’ils se sentent vraiment impliqués – ou pas. Des techniques existent, comme les «people survey», qui permettent de prendre la température et de mesurer l’atmosphère au sein d’une équipe. «Cela ne permet pas d’obtenir une impression sur une personne en particulier, mais bien de voir qu’au sein même d’un département, il faut être vigilant sur certains points», explique Olivier Lemaire. «Si l’engagement commence à tomber au sein d’une équipe, c’est le symptôme d’un malaise réel.»
Créer une atmosphère chaleureuse où les gens se sentent suffisamment bien pour donner le meilleur d’eux-mêmes.
Olivier Lemaire, partner & people leader chez EY
Mais c’est également un outil à utiliser de manière prudente. Nos interlocuteurs sont tous d’accord sur ce point: si on prend la peine de faire une enquête auprès des employés, il faut au minimum leur communiquer les résultats et, par la suite, prévoir un plan d’action. «Je connais des cas d’entreprises où on a caché les résultats d’une telle enquête parce qu’ils étaient mauvais. L’année suivante, on a carrément changé d’enquête pour ne pas avoir de points de comparaison», raconte Julian Troian. Sans retour vers les personnes concernées, une telle opération, prévue pour améliorer les conditions de travail, peut au contraire provoquer des dégâts. «Demander aux gens de s’exprimer n’est pas suffisant», observe Olivier Lemaire. «Il faut mettre en place un plan d’action, l’exécuter et bien communiquer au sujet du plan d’exécution. Ne pas le faire serait contre-productif.»
Et si l’enquête montre un résultat positif, ce n’est pas non plus une raison de s’asseoir dessus. «Dans chaque enquête, même dans des éléments très positifs, il faut pouvoir repérer des signaux d’alerte», prévient Sophie Icher. «Se remettre en question est crucial, même quand tout va bien.» Il faut donc approfondir les résultats, communiquer, créer des groupes de discussion afin de mettre en place de nouveaux axes d’amélioration. «Il est aussi important que, dans la mesure du possible, les solutions viennent du personnel», poursuit la responsable RH du bureau d’architecture Steinmetzdemeyer. «Il est donc nécessaire d’instaurer une relation de confiance afin de voir émerger des propositions.»
Travailler sur le bien-être au travail porte généralement ses fruits.
Julian Troian, HR director & chief happiness officer chez Etix Everywhere
«Travailler sur le bien-être au travail porte généralement ses fruits», conclut Julian Troian. «Cela fait chuter les jours de congé maladie, les absences d’un jour et le turnover du personnel. Ça fait donc des personnes en moins à recruter et, au final, des économies importantes pour l’entreprise.»
Enquête
D’autres motivations que le salaire
Les premiers résultats d’une enquête de Jobs.lu montrent que les candidats à l’emploi attachent plus d’importance au respect et à l’ambiance de travail qu’au salaire. Qu’attendent les candidats d’un nouveau travail? Pour le savoir, Jobs.lu s’est associé à Great Place to Work Luxembourg afin de mener une enquête auprès de 4.685 personnes issues de la Grande Région et inscrites sur son site. Un des points-clés du questionnaire était de comprendre les leviers et plans d’actions à mettre en œuvre pour motiver un collaborateur et déployer son efficacité.
Quelques chiffres importants:
Qu’est-ce qui motive un salarié à rester dans une entreprise? Pour près de la moitié des répondants, c’est l’ambiance et l’esprit d’équipe qui arrivent en tête. Mais avec un score de 22%, les missions confiées et les perspectives d’évolution constituent aussi des facteurs importants de fidélisation. Les candidats ont aussi été invités à classer les cinq dimensions du modèle Great Place to Work par ordre d’importance. Et pour 44% d’entre eux, le respect des collaborateurs est perçu comme la dimension la plus importante au sein d’une entreprise.