Deux heures d’audience ce jeudi, des échanges souvent musclés entre l’avocat de Baloise, Me Christophe Brault, et celui du groupe financier Leyne Strauss-Kahn (LSK), Me Patrice Mbonyumutwa et une audience exceptionnelle de référé qui se poursuivra mardi à 8 h 30 devant le juge Thierry Hoscheit.
Bâloise cherche, à travers une assignation en référé provision, à mettre la main sur près de deux millions d’euros que lui doit LSK, la maison mère du professionnel du secteur financier Assya Asset management, lequel avait conclu en 2011 un contrat de gestion d’actifs de l’assureur vie. Assya opérait comme gérant externe des portefeuilles des fonds dédiés de Bâloise, mais l’assureur avait demandé à son gestionnaire le rachat de titres, car il considérait que les investissements n’étaient pas conformes à la politique d’investissement et que le portefeuille était trop concentré sur les titres liés au groupe LSK.
En septembre 2013, un accord fut signé entre les deux opérateurs dans lequel LSK s’engageait à racheter les titres. Toutefois les paiements se firent attendre et ces retards, dus selon l’avocat Mbonyumutwa à une augmentation de capital du groupe présidé par Dominique Strauss-Kahn, l’ancien directeur général du FMI, assombrirent les relations entre le gestionnaire d’actifs et l’assureur. Un aménagement du remboursement fut toutefois renégocié, mais LSK ne le respecta pas, ce qui a débouché fin juillet à une mise en demeure du gestionnaire puis une procédure en référé provision de la part de Baloise qui réclame le remboursement immédiat et intégral de sa créance. Le contrat de septembre 2013 le prévoyait en cas de défaut de paiement de la part de LSK.
0,45% de commission sur les actifs
Sauf que LSK invoque à son tour des dettes impayées de Bâloise, 53.000 euros venant de commissions de gestion (0,45% sur les actifs, a-t-on appris à l’audience), pour justifier en partie le non paiement des deux millions d’euros.
Chacune des parties a donc fait saisir les comptes de l’autre et elles se bombardent ainsi mutuellement d’assignations devant la justice luxembourgeoise. On ne compte plus le nombre de procédures de saisies lancées pour paralyser le recouvrement de ce qui apparaissait jusqu’à présent comme une créance incontestable de LSK vis-à-vis de son ancien client.
À l’audience de jeudi, l’avocat de LSK, qui a lu une note de plaidoirie de 19 pages, a cherché à inverser les rôles et à se faire passer pour une victime: en signant le contrat de rachat en septembre 2013, le groupe présidé par DSK aurait ainsi enlevé une épine du pied de l’assureur vie luxembourgeois. Et si LSK n’a pas payé tout de suite la compagnie d’assurance, c’est que le groupe de DSK était en train de procéder à une augmentation de capital, a avancé Me Mbonyumutwa.
La logique derrière le rachat des titres par LSK est à chercher, selon l’avocat, dans la bonne volonté dont a fait preuve le gestionnaire d’actifs pour «soulager Bâloise de ses propres responsabilités». Il y avait, a encore soutenu l’avocat «la volonté de maintenir de bonnes relations (et) aider Bâloise à faire face à ses problèmes pour que ses clients (qui demandaient le rachat, ndlr) soient satisfaits».
Pression menaçante
La cuisine interne entre le gestionnaire et son client a été dévoilée: on a ainsi appris que des échanges ont entre autres porté sur des actions de la société d’investissement Nessya (groupe LSK) contre des titres Lifemark, une société de titrisation en faillite et au cœur d’une importante fraude financière (et médiatique, précisera l’avocat à l’audience), qui étaient dans le portefeuille de Bâloise. Des titres GIS, une société financière française ayant été placée en liquidation judiciaire au mois d’août font aussi partie de l’accord entre les deux ex-partenaires.
Me Patrice Mbonyumutwa a parlé de «pression menaçante» «aberrante et honteuse» et de «stratégie agressive» de Bâloise sur LSK pour résoudre ses propres problèmes suite aux demandes de rachats des clients de l’assureur.
Le holding financier tente désormais de retourner la situation à son avantage en invoquant le caractère incertain de la créance de deux millions d'euros. C'est un rebondissement de taille dans cette affaire. Son avocat a ainsi annoncé jeudi avoir assigné dans une procédure au fond l’assureur vie pour faire annuler le contrat de rachat de titres signé en septembre 2013. Il a argumenté, entre autres, que ses adversaires avaient violé la confidentialité de l'accord, ce qui constituait une cause de nullité. Il lui restera à le prouver, car la stratégie de LSK semble être de faire feu de tout bois, y compris en baillonant la presse. On se souvient que le holding a lancé une assignation contre l'éditeur de Paperjam, Maison Moderne, pour tenter d'interdire la publication d'un article.
En procédant ainsi, Me Mbonyumutwa essaie de couper l’herbe sous les pieds de son adversaire en demandant que les procédures en référé soient suspendues jusqu’à ce que l’assignation en nullité du contrat soit jugée, ce qui devrait prendre des mois, sinon des années.
«Que chacun récupère les titres qu’il avait au départ», a indiqué l’avocat de LSK. Or, les titres de la société GIS, concernés par le contrat litigieux, valaient encore 1,35 euro en décembre 2013, mais pointaient à 0,24 euro en juillet à la veille de la liquidation de la filiale de LSK.