C’est au détour d’une route de campagne, dans les environs de Junglinster, qu’apparaît un petit panneau «Lactalis». Le géant de l’agroalimentaire, embourbé dans un scandale en France, est une petite usine tranquille et discrète au Luxembourg. Mais la ronde des camions indique immédiatement que l’usine est en pleine activité. À l’intérieur, des dizaines d’ouvriers confectionnent des cartons de fromages et autres produits laitiers.
C’est le directeur des lieux, Francisco Cabrita, qui ouvre les portes de l’usine. Il nous reçoit d’abord dans la partie bureau, derrière une porte bleue peu visible de l’extérieur. Pas de réception, pas d’accueil. Le groupe Lactalis est présent au Luxembourg sous forme de deux entités sur un même site à Eschweiler: Lactalis Luxembourg et Ekabe. Cette dernière, une entreprise familiale qui signifie «Émile Klensch à Bettembourg», a été rachetée par Lactalis en 1989. Ekabe va investir 1 million d’euros en 2018 pour créer un bassin de rétention, ainsi qu’un bassin d’orage pour gérer les eaux traitées.
Apparences trompeuses
Ekabe et Lactalis se partagent différents bureaux, et à voir le mobilier qui date des années 70 pour certains, on a du mal à croire que le groupe pèse autant sur le secteur agroalimentaire mondial.
Francisco Cabrita est en poste depuis 1991. Ce Luxembourgeois d’origine portugaise a donc vécu de l’intérieur l’évolution de son usine. Si le «scandale» Lactalis n’a pas touché le Luxembourg, qui ne produit pas de lait en poudre, le directeur et porte-parole d’Ekabe a vécu une fête de début d’année très spéciale au sein du groupe: «Nous avons reçu des instructions directes d’Emmanuel Besnier (PDG de Lactalis, ndlr), avec des consignes très claires. Même si cela a déjà été fait, tous les sites vont subir des audits complets et très poussés, nous avons des objectifs à très court terme.» Si toutes les demandes presse concernant le scandale passent par Paris, Francisco Cabrita tient à défendre son patron: «Emmanuel Besnier est quelqu’un de très timide et réservé dans la vie, il est comme ça. On a pu lui reprocher de tarder à communiquer, de ne pas s’exposer, mais ce n’est pas volontaire, c’est quelqu’un qui aime rester dans l’ombre.»
Trois activités sont opérées sur le site: récolte et transformation du lait pour Ekabe, reconditionnement des produits pour Lactalis. La partie Ekabe, soit 16 employés, est un petit acteur du secteur laitier du pays. La société est la troisième du pays, après Luxlait et Arla Foods (un groupe danois). La capacité du site permettrait de récolter 120 millions de litres de lait. En 2017, Ekabe en a récolté 44 millions chez les producteurs luxembourgeois – du plus petit, avec 15 vaches (soit 250 litres), au plus gros, avec 200 vaches (soit 14.000 litres). Le tout sur un total de 376,2 millions de litres de lait produit au Grand-Duché.
Ekabe a transformé 100 millions de litres de lait en 2017, dont les 44 millions que la société a elle-même récoltés, mais également 21 millions de litres fournis par Luxlait, client d’Ekabe pour ce qui est de la crème et du lait concentré. Le reste est fourni par des usines situées en France. «Nous ne mélangeons pas le lait Luxlait avec les autres, c’est un client qui utilise nos machines, car Luxlait ne pourrait pas rentabiliser des machines propres de par son activité», estime Francisco Cabrita. Ekabe exporte du lait entier, concentré, ainsi que de la crème, vers la France.
20.000 tonnes de produits
La partie Lactalis Luxembourg est plus importante, puisqu’elle représente 96 employés pour la partie entrepôt, 11 pour la filiale, alors que l’usine n’en comptait que 16 en 2011.
L’entrepôt est opérationnel, à sa taille actuelle de 5.400m2, depuis 2001. Outre le marché local, Lactalis Luxembourg est utilisé par le groupe comme principal fournisseur pour l’Allemagne. Pour ce dernier, il s’agit avant tout d’une activité de reconditionnement qui représente 20.000 tonnes de produits, avec une spécificité: «Nous recevons les cartons de produits d’usines françaises, puis nous les reconditionnons en panachant les produits dans des cartons plus petits, selon les commandes des clients. C’est unique en Europe pour Lactalis.» Unique et coûteux en main-d’œuvre, car ce panachage ne peut se faire qu’à la main. Dans l’entrepôt où il fait à peine quelques degrés, des ouvriers s’affairent pour remplir les cartons, bien emmitouflés dans des manteaux. Il ne sera pas possible d’y prendre des photos, secret industriel oblige.
Lactalis, c’est un catalogue d’environ 250 produits, et une présence dans tous les supermarchés luxembourgeois, excepté pour Lidl et Aldi. Des produits que le grand public connaît: le camembert Président, la mozzarella Galbani, ou encore le roquefort Société, pour ne citer que ceux-là. Pour la branche dessert, une joint-venture avec Nestlé permet à Lactalis de produire et expédier les produits de la marque suisse.
3,5 millions en 2018
Mais Lactalis Luxembourg ne veut pas s’arrêter en si bon chemin, car la filiale compte investir 3,5 millions d’euros en 2018 pour agrandir la surface de son entrepôt de 26 %. «Quand l’agrandissement sera fait, d’ici à l’année 2019, nous serons en mesure d’embaucher une dizaine de personnes de plus», estime Francisco Cabrita. À l’heure où Lactalis France a du mal à se sortir de la crise des contaminations de nourrissons, la branche luxembourgeoise continue quant à elle, plus discrètement, son expansion.