Marc Lauer: «Nous sommes a priori dans une situation plus 'relax' que certains assureurs dans les pays limitrophes.» (Photo: Julien Becker)

Marc Lauer: «Nous sommes a priori dans une situation plus 'relax' que certains assureurs dans les pays limitrophes.» (Photo: Julien Becker)

Monsieur Lauer, quel est, aujourd’hui, l’état de santé général du secteur de l’assurance au Luxembourg?

«Nous nous sentons plutôt en bonne santé, mais on voit qu’il reste encore pas mal d’efforts devant nous. L’énergie que nous avons pu récolter ces dernières années, avec des plutôt bons résultats, comparé au reste de la place financière, nous en aurons rudement besoin…

À quels efforts en particulier faites-vous allusion?

«Il y a d’abord une situation économique difficile et je ne parle pas que de la conjoncture générale. Nous sommes depuis des années dans une période de taux d’intérêt bas et au vu de ce qui est annoncé, il y a peu de chance que les taux d’intérêt remontent.

À ce niveau-là, à l’instar de tous les assureurs européens qui ont fait des promesses dans les produits qu’ils ont commercialisés, nous serons dans une situation qui va devenir plus difficile.

À cela s’ajoute un cadre légal qui est totalement changeant. Ce n’est évidemment pas nouveau et nous l’avons vu venir, mais il y a quand même une réglementation qui est extrêmement volumineuse et détaillée et qui, de surcroît, est parfois mouvante par rapport à ce qui avait été annoncé au préalable.

Avant, pour faire un Code de l’assurance, un simple classeur aurait suffi. Demain, pour couvrir toute la réglementation propre aux entreprises et aux contrats d’assurance, toute une armoire ne suffirait pas. Cela entraîne évidemment des coûts importants. Certains sont justifiés, car l’ancien système Solvency I était un peu dépassé par rapport à la situation dans laquelle les entreprises évoluaient. Mais fallait-il aller pour autant si loin? C’est un autre débat…

En tout état de cause, ce sera très lourd pour les entreprises d’assurance avec un coût substantiel à supporter. Dans certains domaines, ce coût sera forcément répercuté sur le client final, même ici au Luxembourg.

Quel regard portez-vous, par ailleurs, sur le prochain passage à l’échange automatique d’informations?

«Il s’inscrit dans un changement plus global du business model de la place financière vers la transparence fiscale. J’ai toujours déclaré que cela constituait une grande opportunité pour les assurances luxembourgeoises, qui peuvent désormais profiter des avantages fiscaux réservés aux différents produits nationaux, et cela combiné avec une politique d’investissement au sein des contrats qui est plus flexible, car pouvant mieux répondre aux besoins individuels des clients.

Dans cette nouvelle ère de transparence fiscale, le message que l’on doit donner au client, pour lui expliquer pourquoi il doit venir au Luxembourg, doit être cohérent d’un acteur à l’autre du marché. Cela implique, sur ce point, une collaboration plus importante entre les acteurs de l’ACA que par le passé.

Face à un client, il y a trois questions à lui poser: premièrement, pourquoi prendre un produit d’assurance, ce qui implique de lui expliquer la fiscalité nationale, la transparence fiscale, mais aussi tous les aspects liés à la transmission patrimoniale ou à la protection de ses avoirs; deuxièmement, pourquoi prendre un produit d’assurance au Luxembourg, et là, nous devons centrer le discours sur les besoins propres de chacun des clients; et troisièmement, pourquoi choisir tel ou tel acteur… et là, c’est à chacun de présenter ses arguments.

Y a-t-il eu un impact concret sur la clientèle déjà existante des assureurs au Luxembourg?

«Il y a eu un impact réel, différent d’une compagnie à l’autre. Je crois quand même que, tout comme pour les banques, les petits clients qui avaient oublié de déclarer leur situation à leurs autorités fiscales nationales n’ont plus vraiment d’intérêt à continuer à devoir gérer des comptes et des contrats à l’étranger.

Mais n’oublions pas que la grande différence entre un assureur et une banque, c’est qu’en signant un contrat vie, l’assureur ne peut pas le résilier, contrairement à une banque avec un contrat de gestion. En assurance, c’est le preneur de contrat qui a la main. Une fois qu’un assureur accepte un client, il ne lui est plus possible de résilier le contrat ni même d’en modifier les conditions unilatéralement.

Je ne peux pas vous dire aujourd’hui que le mouvement de régularisation est terminé, mais nous constatons d’une part que l’encaissement reste positif et d'autre part que les provisions techniques qui matérialisent les engagements des assureurs vis-à-vis des clients ont évolué positivement à un niveau élevé.

Donc même s’il y a eu une certaine répercussion plus ou moins grande selon les assureurs, il n’y a pas eu d’hémorragie…

Au-delà de ce volet client, on imagine qu’en termes d’organisation interne, cela n’est pas non plus sans influence…

«Évidemment, il y aura, là aussi, des coûts, car la mise en place d’un système automatisé ne se fera pas toute seule…

Et puis s’ajoute aussi toute cette nouvelle réglementation relative à la relation clients autour de Mifid II, Prips ou encore l’intermédiation d’assurance II et qui va influencer d’une manière très importante la conception et la distribution des produits d’assurance vie.

À l’origine, il y a Mifid II qui impliquera des pages et des pages de documents à signer pour le client. Je ne suis pas sûr qu’il se sentira pour autant mieux informé et mieux protégé. Alors le législateur européen a complété le dispositif avec une réglementation telle que Prips (Produits d’investissement de détail packagés, ndlr.) dont le cœur est le Kiid (Key investor information document, ndlr).

On ne peut qu’être étonné que, d’un côté, on demande aux professionnels, qu’ils soient banquiers ou assureurs, de donner toute une série d’informations sur des dizaines de pages et que, de l’autre, on demande de résumer toutes ces mêmes informations sur une seule page. N’aurait-il pas été plus simple de ne prévoir qu’un seul dispositif avec trois ou quatre pages? J’avoue ne pas trop comprendre le raisonnement.

En résumé, avec les taux d’intérêt qui diminuent, les coûts de mise en place de Solvency II et des développements informatiques, mais aussi l’impact de l’augmentation de la TVA que nous allons devoir supporter, nous restons, certes, optimistes, mais nous restons conscients qu’il reste à l’horizon quelques nuages…

Avez-vous déjà mesuré l’impact de la hausse de la TVA sur l’activité d’assurances?

«Globalement, en calculant sur une base de statistiques générales, une base de calculs forfaitaires, ce coût sera, quelque part, facturé entre 12 et 13 millions d’euros, dont la plus grande partie sera supportée par les assureurs non vie, puisque les sinistres sont généralement payés TVA comprise… En outre, tout le poste ‘frais généraux’, dans lequel sont inclus les achats de services et de biens, hors salaire, est également impacté.

Le marché est-il prêt pour la mise en œuvre de Solvency II, à l’horizon de janvier 2016?

«La préparation de la mise en œuvre de cette directive nous soumet à des sortes de stress tests en termes d’évolution des taux. En raison, d’une part, de la politique qui nous a été imposée par le Commissariat aux assurances et, d’autre part, d’une politique d’investissement globalement prudente menée sur la Place, toutes les sociétés d’assurance luxembourgeoises, selon mes informations, réussissent plutôt bien ces stress tests en termes de taux d’intérêt et de politique d’investissement.

Nous sommes a priori dans une situation plus ‘relax’ que certains assureurs dans les pays limitrophes.

Dans un récent article publié dans la revue française «L’Argus de l’assurance», très positif pour le marché luxembourgeois de l’assurance, il est néanmoins fait mention d’une potentielle «bulle assurantielle qui est en train de se former» et qui inquiéterait les acteurs du marché. Ressentez-vous cette crainte?

«J’ai en effet pris connaissance de cet article et je peux vous dire qu’il n’y a aucune crainte de ce genre ici. Il y a simplement des évolutions en termes d’encaissement qui sont un peu plus volatiles que dans d’autres pays. C’est aussi dû à la cible clientèle, à un business model un peu différent des assureurs locaux opérant traditionnellement sur leurs marchés domestiques.

Si, aujourd’hui, nous avons retrouvé une évolution positive de l’encaissement, c’est aussi que l’an passé, nous avions eu un recul de ce même encaissement…

Il y a, au Luxembourg, deux modèles: celui des produits distribués en libre prestation de services (unités de compte et fonds dédiés) et puis les produits d’assurance avec taux garanti, revendus surtout sur le marché français. Les deux modèles ont chacun leur propre justification économique. Ils sont soumis aux mêmes contrôles et doivent déjà appliquer les calculs Solvency II remis au Commissariat aux assurances.

Je ne vois donc pas où pourrait être le danger pour les preneurs d’assurance. D’un autre côté, s’il y a une opportunité pour l’un ou l’autre assureur, qu’il la saisisse!

Le produit d’assurance reste un produit sûr pour un investisseur?

«LE produit d’assurance n’existe pas, tant les besoins sont différents. Entre une assurance prévoyance et une assurance en unités de compte, ou en fonds dédiés, plutôt dédiés à la gestion patrimoniale, il y a, entre ces deux extrêmes, toute une gamme de produits qui évoluent.

Ce qui est certain, c’est que dans un contexte européen de populations vieillissantes et de systèmes de Sécurité sociale sous stress de manière générale, la prévoyance privée a toujours un bel avenir. De même, pour la gestion patrimoniale, il y a toujours un futur.

À ce niveau-là, malgré les nuages que j’évoquais tout à l’heure, vous me voyez optimiste! Les ambitions du passé sont toujours les mêmes, mais elles sont déclinées de manière plus offensive.

Il est donc important pour le secteur de profiter pleinement des outils de promotion de la Place, à commencer par ceux offerts par Luxembourg for Finance aux différents acteurs. Au niveau de l’ACA, nous nous positionnions toujours, par le passé, un peu en retrait par rapport aux autres en termes de promotion. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas.

Comment percevez-vous l’action du nouveau gouvernement?

«Nous avions toujours eu une très bonne relation avec le ministre des Finances précédent. Nous avons trouvé une écoute très importante avec le nouveau ministre. D’ailleurs, pour l’anecdote, je rappelle que le premier discours officiel de Pierre Gramegna a été prononcé dans le cadre de la journée 2013 de l’assurance que nous avions organisée.

Mais nous sommes évidemment très attentifs à certains dossiers, notamment législatifs, qui sont importants pour le secteur. Il y a Solvency II, évidemment, mais aussi tout le volet lié à la transparence fiscale.

Nous sommes forcément très intéressés d’avoir un standard unique et commun de communication par rapport à tout ce qui existe, entre la directive sur la fiscalité de l’épargne, Fatca ou encore les standards OCDE.

Comme tout le monde, nous nous plaignons aussi de l’augmentation de TVA, mais nous savons également que, de l’autre côté, il y a un équilibre budgétaire à atteindre.

Nous avons approuvé, non sans quelques grincements de dents, cette hausse, mais nous avons attiré aussi l’attention sur le fait que le secteur des assurances sera touché un peu plus que d’autres.»

Législation

PSA, un lent démarrage

La loi du 12 juillet 2013 a introduit une nouvelle catégorie de sociétés: les professionnels du secteur d’assurance (PSA). Le démarrage de cette activité n’est pas encore spectaculaire…

Créer de nouvelles activités dans le secteur de l’assurance et de la réassurance au Luxembourg et faciliter le recours à la sous-traitance en respect du secret professionnel: tels sont les objectifs affichés au travers de la création du statut des professionnels du secteur d’assurance (PSA): un dispositif qui vient compléter celui déjà bien établi des professionnels du secteur financier (PSF).

Huit catégories de sociétés sont concernées par le statut de PSA: les sociétés de gestion d’entreprises captives d’assurances; les sociétés de gestion d’entreprises d’assurances en run-off (concernent des engagements d'assurances existants, sans nouvelle souscription, mais pour lesquels des réserves continuent à exister); les sociétés de gestion d’entreprises de réassurances; les sociétés de gestion de fonds de pension; les prestataires agréés de services actuariels; les sociétés de gestion de portefeuilles d’assurances; les prestataires agréés de services liés à la gouvernance d’entreprises d’assurance et de réassurance et les régleurs de sinistres.

Les premiers agréments commencent seulement maintenant à intervenir: la société Pack Assurance Management a communiqué, en juillet, avoir reçu le feu vert du Commissariat aux assurances, et n’attend plus que la validation finale du ministère des Finances. Idem pour le régleur de sinistre Coutot-Roehrig Luxembourg, filiale du groupe suisse du même nom.

Ça ne se bouscule donc pas au portillon et il est difficile, pour l’heure, de parler de «nouvelle ère» qui débute, mais aux yeux de Marc Lauer, le président de l’Association des compagnies d’assurance, «il s’agit évidemment d’un pas logique et nécessaire dans un monde plus difficile pour les assureurs».

Dans le contexte de hausse des coûts, notamment induits par les nouvelles obligations réglementaires et législatives, l’une des réponses que les acteurs concernés peuvent apporter tient dans la mutualisation de certaines charges. «Et les PSA sont justement un moyen de sous-traiter et de mutualiser certaines de ces charges, constate M. Lauer. Il faut voir, désormais, à l’usage, dans quelle mesure les acteurs sauront saisir les opportunités qui se présentent à eux. Il était en tous les cas important que ce cadre existe.»

Chantiers

La prévoyance à long terme dans le viseur

L’Association des compagnies d’assurance (ACA) mène, actuellement, un travail de lobbying fort afin que la prévoyance de retraite des deuxième (assurances complémentaires souscrites par l’employeur) et troisième piliers (assurances complémentaires individuelles) soit généralisée, en particulier les régimes de pension complémentaire du deuxième pilier dont sont exclues certaines catégories de salariés.

Les indépendants, ceux dont les employeurs ne peuvent ou ne veulent pas le mettre en place, et les fonctionnaires.

«Nous nous positionnons comme des experts de la prévoyance à long terme, indique Marc Lauer, le président de l’ACA. Nous estimons que dans un environnement où les régimes de pension du premier pilier (la pension légale financée par les cotisations obligatoires des salariés, ndlr) sont sous tension, il faut davantage encourager les personnes à faire de la prévoyance privée.» L’ACA avait eu l’occasion, lors de la campagne précédant les dernières élections législatives, de faire part de ses réflexions à l’ensemble des partis en lice, mais aussi aux différents partenaires sociaux (UEL et syndicats). «Nous avions plutôt eu des discussions très ouvertes, se souvient M. Lauer. Maintenant, on nous dit qu’au ministère de la Sécurité sociale, on travaille sur un projet de loi. Nous espérons que ce projet aille vraiment dans la bonne direction et puisse vraiment encourager les résidents, employés et salariés, à investir davantage dans leur prévoyance privée, avec un niveau de protection important pour leur épargne, mais aussi avec un bureaucratisme qui soit allégé au maximum.»