Héritier des recettes familiales, 
Jacques Pitz poursuit la diversification de la production en tenant compte 
de l’évolution des goûts. (Photo: Mike Zenari)

Héritier des recettes familiales, 
Jacques Pitz poursuit la diversification de la production en tenant compte 
de l’évolution des goûts. (Photo: Mike Zenari)

Monsieur Pitz, vous représentez la quatrième génération à la tête de la Distillerie nationale. Pouvez-vous nous rappeler les grandes dates de son histoire?

«C’est vrai qu’officiellement, la société porte toujours le nom de ‘Distillerie nationale’, mais je préfère l’appellation ‘Pitz-Schweitzer, Vins & Spiritueux’ qui rappelle notre diversification en tant que négociant. L’activité de la distillerie a démarré en 1840 à Ettelbruck. Notre première spécialité a été les eaux-de-vie et les liqueurs typiques, dont le Père blanc et le Maagbitter Buff qui restent parmi nos produits phares. 
Au départ, mes aïeux louaient des fermes dans la région d’Ettelbruck pour récolter des fruits et pouvoir les distiller. À Ettelbruck, nous distillions aussi de l’alcool industriel à 96° que nous revendions. Quand j’ai repris l’activité en 2000, j’ai d’abord lancé la modernisation de l’entreprise. Puis j’ai opéré une diversification dans le négoce de vins et spiritueux et, pour le faire dans les meilleures conditions, j’ai recruté un œnologue. Enfin, en 2007, j’ai opéré le déménagement d’Ettelbruck vers Hosingen. C’était nécessaire, nous étions en centre-ville, ce qui devenait difficile pour le trafic des camions, et le bâtiment était sur plusieurs étages.

Quel est votre rôle exact dans l’entreprise?

«Il est assez diversifié, en fait. La tâche la plus importante est sans doute la recherche de nouveaux clients. J’assure notamment les contacts avec la clientèle du secteur de la restauration pour la livraison de nos vins. Mais je m’occupe aussi de la négociation avec la grande distribution. À côté de ça, je m’occupe aussi des relations avec le personnel, des achats et de la vente de nos produits. Il m’arrive même de livrer avec le camion quand c’est nécessaire. Dans une petite entreprise comme la nôtre, il n’y a pas toujours quelqu’un à qui l’on peut déléguer chaque tâche. Et au niveau de la répartition des produits, je m’occupe avant tout des alcools et des liqueurs alors que notre œnologue s’occupe de la sélection des vins. C’est donc moi qui ai la responsabilité de développer de nouveaux produits d’eau-de-vie.

Vous êtes donc actifs à la fois dans la production d’alcool et le négoce de vins. Quel est le poids de chacune de ces deux activités?

«La production d’alcool représente encore 60% de l’activité totale. Le reste est assuré par le négoce en vins. Nous embouteillons environ 300.000 bouteilles par an, tous formats confondus. Dans ce chiffre, il faut savoir qu’il y a quand même 70.000 petites bouteilles de 4 centilitres. Mais parmi nos produits, le Buff représente environ 30.000 litres annuels. Au niveau du vin, nos ventes tournent autour de 100.000 bouteilles par an. Avec des origines variées, puisqu’on vend aussi bien des produits de France, d’Espagne, d’Italie, du Nouveau Monde et bien entendu du Luxembourg. Et je dois dire que, en vin blanc, la production luxembourgeoise connaît de plus en plus de succès. Nous travaillons avec deux maisons et on voit que la qualité s’est vraiment améliorée depuis une dizaine d’années. Ensuite, nous cherchons aussi à pouvoir devenir importateur exclusif 
au niveau du Luxembourg pour différents produits. C’est par exemple le cas pour le champagne Deutz qui a directement connu un succès important. Ce sont aussi des axes de développement intéressants pour nous.

Comment, avec une petite équipe, opérez-vous la sélection au niveau des vins?

«C’est un secteur dans lequel il faut pouvoir s’adapter au marché en permanence. Il faut bien entendu savoir écouter ce que les restaurateurs demandent, mais nous allons nous-mêmes dans les régions de production à la rencontre des viticulteurs. Nous en ramenons des échantillons qui nous permettent d’organiser des dégustations à l’aveugle avec une dizaine de personnes venant d’horizons différents. Nous établissons alors notre sélection à partir de leurs impressions. Notre but est avant tout de pouvoir offrir un bon rapport qualité/prix.

À quels types de clientèle vous adressez-vous en priorité?

«Pour ce qui est des vins, nous travaillons principalement avec les restaurateurs et les particuliers. Nos alcools, nous les confions à des dépositaires et des centrales d’achat qui en assurent la distribution, notamment vers les stations-service et les cafés. Du temps de mon père, nous livrions encore nous-mêmes dans les bistros. Mais aujourd’hui, les dépositaires sont liés avec les brasseries qui ont, elles, des contrats avec les cafetiers. Ils financent une partie des établissements et obtiennent ainsi des contrats de livraison pour leurs bières et tous les autres produits dont ils assurent la distribution. Nous n’avons plus d’établissements en clientèle, tout passe par eux. Nous sommes aussi présents dans la grande distribution, que nous livrons en direct. Mais essentiellement avec nos marques d’alcool et de liqueur luxembourgeoises et quelques produits pour lesquels nous disposons de l’exclusivité.

La production d’alcool représente encore 60% 
de l’activité totale

En ce qui concerne la production 
d’alcool, la concurrence nationale reste-t-elle importante?

«Dans les eaux-de-vie, nous avons surtout un concurrent important. Les autres acteurs sont plus petits, mais aussi orientés vers d’autres catégories de produits. Nous, avec nos eaux-de-vie vendues sous l’appellation Pitz-Schweitzer, nous visons avant tout le bon rapport qualité/prix. Par contre, au niveau de produits typiques comme le Père blanc et le Buff, la concurrence est très faible.

Ce sont des produits qui connaissent toujours autant de succès?

«À notre niveau, les ventes sont stables, ce qui n’est pas si mal. Parce que, de manière générale, les ventes d’eaux-de-vie ont diminué. Les jeunes générations sont plus orientées vers la vodka et les liqueurs aromatisées. Mais les eaux-de-vie sont un produit naturel qui devrait garder une certaine place sur le marché.

Ça veut dire qu’il faut faire beaucoup 
de marketing pour les soutenir?

«Nous faisons surtout de la publicité pour notre Maagbitter Buff, mais pas vraiment au niveau des eaux-de-vie, à part quelques dégustations en points de vente. Mais le grand avantage dont nous disposons au Luxembourg, par rapport à ces alcools, c’est que les accises sont moins élevées que dans les pays limitrophes, ce qui attire encore pas mal de clients. En Belgique, par exemple, 
les taxes sont plus du double. Il existe donc encore un ‘tourisme d’alcool’ comme il existe un tourisme pour le carburant, le tabac ou le café. L’avantage de ces accises a sans doute diminué pour les grandes marques qui font parfois des promotions très importantes ou pour les produits qui comprennent un pourcentage moindre d’alcool, mais à notre niveau, ça reste vraiment intéressant. Mais si les accises se mettent à augmenter, ça deviendra plus difficile.

À l’inverse, est-ce que vous comptez 
sur les marchés d’exportation?

«Nous exportons un peu vers la Belgique, surtout le Père blanc et quelques eaux-de-vie, mais ça ne représente vraiment pas une part significative de notre chiffre d’affaires.

C’est un créneau que vous souhaiteriez développer à l’avenir?

«C’est assez compliqué, en fait. Pour pouvoir exporter, il faut être connu à l’étranger. Or nous avons surtout des produits locaux. Et pour développer une marque à l’étranger, il faut pouvoir y consacrer des moyens financiers, ce qui est compliqué étant donné notre petite structure.

Justement, en tant que «petit Poucet», est-il encore possible de résister face à des géants mondiaux, comme Diageo ou Pernod Ricard?

«Oui. Nous sommes un producteur local, nous avons des articles de niche et, comme je l’ai dit, nous bénéficions du niveau assez bas des accises luxembourgeoises. Nous avons aussi su nous diversifier, à la fois au niveau de la production et des circuits de distribution. Aujourd’hui, nous réalisons un chiffre d’affaires d’environ 3 millions d’euros pour une petite PME 
qui comprend huit personnes, dont ma femme et moi.

Vous avez aussi diversifié la production. C’était nécessaire?

«Oui, effectivement. Les goûts des consommateurs changent. 
Il faut pouvoir proposer une palette plus diversifiée de produits. J’ai donc lancé 
une ‘vieille prune’, plus fruitée, plus douce. Ça plaît aux gens, c’est un article qui marche bien. J’ai ensuite lancé toute une gamme d’alcools aux fruits. Aujourd’hui, nous sommes occupés à mettre au point 
une nouvelle recette pour un produit à base de plantes. Nous voulons développer une alternative au Buff, un nouveau produit digestif mais moins amer. Le Buff reste avant tout une recette médicinale, il est très efficace mais son niveau d’amertume est très élevé, 
vu qu’il est essentiellement composé 
de racines et plantes.

Les eaux-de-vie sont un produit naturel qui devrait garder une certaine place sur le marché

Vous êtes à la tête d’une PME qui a su préserver son caractère familial depuis quatre générations. Est-ce une volonté de garder l’entreprise entre les mains de la famille? Ça vous poserait un souci de devoir un jour la céder?

«Il est clair que ce serait bien que ça puisse continuer au sein de la famille, mais je n’ai qu’une fille de 10 ans, je suis donc incapable de dire, aujourd’hui, si elle sera intéressée par la reprise de l’entreprise. Mais ce n’est pas vraiment quelque chose qui m’inquiète. De mon côté, je n’entends pas non plus travailler jusqu’à 70 ans. Alors il est clair que l’activité se poursuivra après moi, mais est-ce que ce sera dans la famille ou pas, je ne sais pas… Ceci dit, quand on a fait construire à Hosingen, en 2007, on a bénéficié d’un bail emphytéotique. Nous n’avons pas dû acheter le terrain. C’est donc plus facile au niveau de la succession.

Vous avez déjà reçu des offres pour la céder?

«Non, jusqu’à présent je n’ai jamais eu de contacts à ce niveau.»

Parcours

Tombé dedans
Jacques Pitz a grandi au cœur de la distillerie familiale. Un parcours initiatique qui l’a rendu légitime pour assurer la transition vers 
la quatrième génération.

En reprenant seul, en l’an 2000, les rênes de la Distillerie nationale, mieux connue désormais sous le nom de «Pitz-Schweitzer, Vins et Spiritueux», Jacques Pitz (45 ans) l’a vraiment fait entrer dans le 21e siècle. C’est en effet lui qui,  à ce moment, a investi dans la mécanisation de la PME du nord du pays. «Avant cela, l’embouteillage se faisait encore via un robinet et les étiquettes étaient collées à la main sur les bouteilles», explique-t-il. Une époque qu’il a bien connue. Après des études d’ingénieur technicien, il rejoint en 1994 son père, Marco Pitz, encore aux commandes de l’entreprise. «J’ai littéralement grandi dans la distillerie, raconte-t-il. J’ai passé tous mes congés scolaires à y travailler et, déjà tout jeune, j’accompagnais les livreurs dans leur tournée.» C’est ainsi que, bien qu’étant le cadet d’une famille de trois enfants, c’est en toute logique qu’il a pris les commandes pour la quatrième génération. «C’est sans doute mieux ainsi, estime-t-il, ça aurait été compliqué si mon frère et ma sœur avaient aussi voulu intégrer une petite structure comme la nôtre.» Élevé au sein de la distillerie, il continue à y vivre puisque, depuis le déménagement d’Ettelbruck en 2007, il s’est installé avec sa femme et sa fille juste à côté des nouveaux bâtiments dans le zoning industriel d’Hosingen.