La Confédération Générale de la Fonction Publique se targue de compter plus de 27.000 membres. (Photo: Charles Caratini)

La Confédération Générale de la Fonction Publique se targue de compter plus de 27.000 membres. (Photo: Charles Caratini)

La réforme de la fonction publique est sans conteste l’un des dossiers politiques chauds de cette année. La confrontation entre le gouvernement et la CGFP semble programmée, mais rien ne présage de l’issue d’une négociation qui s’annonce longue et ardue.

Il n’y a pas de doute, l’agenda de François Biltgen et d’Octavie Modert est bien rempli: depuis un mois, les deux ministres enchaînent les rendez-vous avec les responsables de 36 sous-organisations de la Confédération Générale de la Fonction Publique (CGFP), qui leur soumettent leurs doléances dans le cadre de la réforme annoncée de la fonction publique. Jusqu’alors, la CGFP et le gouvernement menaient un dialogue de sourds, car après un premier tour d’échauffement, la discussion entre les deux parties était tombée au point mort. La direction du syndicat avait en effet interrompu la négociation, estimant que le gouvernement voulait lui imposer son diktat.

Début février, les dirigeants syndicaux ont fait monter la pression au cours d’une conférence des comités directeurs qui a mobilisé plusieurs centaines de délégués. Lors de cette soirée, le président de la CGFP, Emile Haag, a averti sur un ton combatif que la manière dont procédait le gouvernement s’apparentait à une «bombe à retardement». Si François Biltgen et Octavie Modert sont restés inflexibles quant à leur volonté de mener ce chantier à terme, ils ont toutefois laissé la porte ouverte au dialogue, allant jusqu’à proposer de prendre la parole devant les délégués syndicaux pour leur expliquer la portée de cette réforme.

La CGFP leur a cependant adressé une fin de non-recevoir, préférant envoyer au front les représentants des divers secteurs de la fonction publique. Cette tactique du salami, plutôt inhabituelle de la part d’un syndicat, s’inscrit dans une épreuve de force où la CGFP souhaite démontrer sa capacité de mobilisation.

Opposition ferme

Deux volets de la réforme se situent au centre des divergences. Le premier point concerne l’introduction d’un système d’appréciation des compétences des agents de la fonction publique. Habitués à gravir les échelons quels que soient leur tâche et leur rendement, les fonctionnaires n’apprécient guère de devoir se soumettre à une telle évaluation, qui interviendrait tous les deux ans. Le syndicat s’y oppose avec fermeté, arguant qu’un tel système serait lourd à gérer et ouvrirait la porte à une évaluation arbitraire, alors que l’appareil administratif se doit de rester neutre.

Le second point prêtant à contestation touche au système des rémunérations, appelé à évoluer pour tenir compte des changements en matière de diplômes universitaires découlant du processus de Bologne. La CGFP s’oppose avec véhémence à l’intention du gouvernement de baisser le seuil de rémunération d’entrée de carrière dans la fonction publique; elle exige au contraire une réforme en profondeur du stage pour les candidats postulant dans la fonction publique, tant au niveau du contenu que de sa forme et de ses objectifs.

Le secrétaire général du syndicat, Romain Wolff, ne cesse, dans ce contexte, de souligner que la mesure envisagée par le gouvernement aurait des implications néfastes au-delà de la seule fonction publique. Selon lui, l’effet d’entraînement n’épargnerait pas le secteur privé. Ce clin d’œil au secteur privé n’est pas un hasard: l’objectif de la CGFP est de maintenir un front uni des syndicats, ce qui renforcerait son poids dans l’hypothèse où la confrontation avec les représentants de l’Etat s’amplifierait.

En cas de durcissement des positions, la confédération court en effet le risque de polariser une partie de l’opinion publique, qui a tendance à mettre en concurrence les secteurs public et privé en matière de droits acquis. L’image du rond-de-cuir n’a pas complètement disparu au sein de la société luxembourgeoise, les fonctionnaires étant perçus comme bénéficiant de la sécurité de l’emploi et d’une rémunération plutôt confortable.

Or, dès qu’on évoque les questions d’argent, la colère gronde. Le gouvernement a ainsi chargé l’an dernier une commission d’experts d’étudier la structure des carrières et des traitements. Dans le rapport que celle-ci a remis fin décembre, elle avance que «les rémunérations versées dans le secteur public en début de carrière sont de 15% à 20% plus élevées que ces mêmes rémunérations versées dans les secteurs représentés par la Fedil». Elles seraient même de 30% à 40% plus élevées que dans le secteur bancaire, les auteurs de l’étude avertissant toutefois que les primes ou autres avantages octroyés aux employés de banque ne sont pas considérés dans ce calcul, pas plus que les traitements du personnel hors cadre, c’est-à-dire non soumis à la convention collective. Un point que la CGFP n’a pas manqué de relever pour rejeter une comparaison qu’elle estime biaisée.

La dernière réforme en profondeur du régime des traitements remonte à 1963 et a subi plusieurs adaptations depuis. Une réforme qui, en son temps, se fit aussi dans la douleur, au point d’ébranler l’Association Générale des Fonctionnaires (AGF), dont les structures n’étaient plus adaptées à la situation de l’époque. Sous la férule de Joseph Daleiden, une réorganisation radicale donna naissance à la CGFP, qui se targue à présent de compter plus de 27.000 membres. Un chiffre qui fait dire à certains observateurs que cette organisation constitue un «Etat dans l’Etat».

Le milieu politique prudent

Dans le microcosme politique, la prudence est de rigueur. Si les deux ministres impliqués jusqu’au cou dans la négociation sont chrétiens-sociaux, c’est parce que le CSV est le seul parti disposant d’une assise suffisamment forte – au vu des résultats électoraux – pour se permettre de partir à la confrontation. Malgré tout, en acceptant de recevoir une par une les délégations au ministère, François Biltgen et Octavie Modert montrent qu’un compromis est encore possible.

Du côté chrétien-social, on se souvient en effet que l’ADR a connu son heure de gloire en exacerbant les tensions entre les secteurs public et privé dans le cadre des pensions. Si l’ADR a, entre-temps, changé de profil, et réorienté son discours, le CSV demeure vigilant afin de ne pas se faire à nouveau déborder sur sa droite.

Quant au LSAP, il fait preuve d’une prudence plus grande encore. En critiquant il y a quelque temps la façon dont le partenaire de coalition a abordé la négociation, le président du groupe parlementaire, Lucien Lux, a fait mine de prendre ses distances au nom de son parti. Il faut dire que les socialistes se souviennent que c’est notamment à la suite d’un bras de fer avec la CGFP qu’ils étaient passés, avec pertes et fracas, dans l’opposition, à la suite des élections législatives de 1999.

Pour éviter que de nouvelles tensions surviennent au sein de la coalition, une réunion du gouvernement avec les représentants des deux partis au pouvoir s’est tenue mi-mars au château de Senningen. A l’issue de cette réunion, et sans en révéler des détails, le Premier ministre Jean-Claude Juncker a déclaré que les deux partis étaient «grosso modo» d’accord sur les grandes lignes de cette réforme. Une façon de dire que la coalition est disposée à interpréter la même partition, ce qui n’exclut pas que des différences de ton se fassent entendre au cas où la musique viendrait à s’emballer. En attendant, on joue la montre dans les deux camps: la CGFP ne veut pas aborder les questions de principe de la révision des traitements avant la fin des diverses entrevues avec les deux ministres, tandis que le gouvernement n’a pas encore donné son aval au projet de loi. Le 5 avril au plus tard, lors du discours sur l’état de la Nation, le gouvernement devrait présenter les grandes lignes de la réforme. Il sait qu’il est attendu au tournant.