Thomas Lentz cherche à limiter les contraintes administratives pour les chercheurs, mais aussi à rationaliser les achats. (Photo: Mike Zenari)

Thomas Lentz cherche à limiter les contraintes administratives pour les chercheurs, mais aussi à rationaliser les achats. (Photo: Mike Zenari)

Monsieur Lentz, vous étiez jusqu’au 30 juin directeur financier du Luxembourg Institute of Health. Vous en êtes désormais le deputy CFAO. Pouvez-vous nous expliquer votre rôle au sein du LIH?

«Il reste à être défini clairement. Jusqu’au 30 juin, en tant que CFO, mon rôle était, en caricaturant, de faire ce que les chercheurs ne veulent pas faire. Le but était de leur fournir une plateforme de services pour qu’ils puissent se focaliser sur leur métier. Le département administration doit aussi être un garde-fou, même si c’est plus mal vu. On ne peut pas octroyer un budget annuel aux différents services de recherche, l’activité partirait dans tous les sens. Il faut un gardien de la cohérence et de la bonne distribution. Un chercheur n’est pas nécessairement un bon négociateur. Or, jusqu’il y a cinq ans, chaque labo achetait lui-même son matériel, nous n’avions pas de service achats. Pour ma part, je ne juge pas de l’opportunité des projets de recherche, mais j’essaie de trouver la solution la plus judicieuse pour satisfaire les besoins des chercheurs.

Travailler dans le secteur scientifique pour un financier, c’est un métier à part?

«Oui, absolument. Au LIH, nous employons 350 personnes. Mais ça n’a rien à voir avec, par exemple, une firme de construction de la même taille. Dans une société comme celle-là, si vous disposez d’un master, vous êtes parmi les plus diplômés. Ici, je suis sans doute un des moins diplômés (rires). Ça rend l’échange totalement différent. Vous ne pouvez pas exiger d’un chercheur qu’il agisse comme vous le lui demandez juste par respect hiérarchique. Il faut pouvoir lui expliquer les contraintes. Je vis donc une tout autre approche du métier de financier. C’est passionnant, mais périodiquement frustrant. Il faut souvent que je rappelle que le financier, c’est moi. À chacun son métier, personne ne peut exceller dans tous les domaines. D’où le bien-fondé d’une administration opérationnelle dans une structure de recherche.

La nouvelle définition de votre fonction vient de la transformation du CRP-Santé en LIH?

«Avec la loi du 3 décembre 2014, le Luxembourg a connu une réforme – qui me semble logique – de tous les centres de recherche publics. Le CRP-Santé, dont je faisais partie, a fusionné avec l’IBBL (Integrated Biobank of Luxembourg) pour devenir le LIH. C’est selon moi un passage obligé pour les établissements publics. Le privé vit depuis longtemps une certaine consolidation. Au Luxembourg, les établissements publics doivent se rapprocher. Les différentes fusions engagées depuis la fin de l’année 2014 n’ont entraîné aucun licenciement, comme ça se voit souvent dans le privé, mais l’idée doit être de pouvoir faire plus avec les mêmes ressources et d’arriver à une utilisation plus efficiente des structures. Selon moi, le processus de fusion n’est pas terminé, on en verra encore d’autres. C’est logique. Pourquoi, par exemple, chaque établissement public doit-il calculer ses salaires ? On peut trouver des synergies dans les départements administratifs et faire plus, sans pour autant licencier du personnel.

On est loin du temps où, dans un labo médical, on ne trouvait qu’une centrifugeuse et quelques pipettes

Une logique qui vaut aussi au niveau des investissements?

«Oui, la tendance va clairement vers le partage d’équipements. On vient d’une situation où chacun voulait ‘une Ferrari dans sa cave’, ce qui menait à des situations de suréquipement pour un petit pays comme le Luxembourg. Or, dans la recherche, on parle d’équipements de pointe qui coûtent très cher et qui sont loin d’être utilisés à des échelles industrielles. Ces concentrations permettent donc aussi le partage de matériel entre les différents instituts. L’idée est de dire que celui qui a des projets urgents fait l’investissement et le met à la disposition des autres ensuite. Il pourra en exiger une rémunération à des tarifs académiques qui permettent de mieux couvrir les frais. Le département administration a donc son rôle à jouer pour faire connaître ses nouveaux instruments aux autres centres de recherche et proposer de les partager. Au niveau du LIH, nous gérons par exemple deux animaleries pour souris, rats et poissons-zèbres. Ces unités représentent des frais très importants, notamment pour la mise en place d’un environnement assurant le bien-être des animaux en même temps que des conditions de travail optimales pour les projets de recherche. À ce niveau, nous avons des contrats de collaboration avec le LCSB pour éviter de construire des infrastructures en double ou en triple.

On peut imaginer que, dans un institut scientifique comme le LIH, les investissements atteignent rapidement des montants colossaux et doivent, en plus, être à la pointe de l’innovation. Ce sont des coûts qui restent gérables?

«On est loin du temps où, dans un labo médical, on ne trouvait qu’une centrifugeuse et quelques pipettes. Dans notre budget, le poste ‘salaires’ ne représente que 60%. Et au niveau des 40% restants, la part des nouvelles acquisitions est effectivement conséquente. Récemment, nous avons acheté un cytomètre de masse (Cytof) et un appareil pour l’imagerie à résonance magnétique (IRM), des équipements extrêmement coûteux. Pour prendre le cas du Cytof, les chercheurs voulaient l’acquérir absolument. Le rôle de mon département administration a alors été d’aller le négocier auprès d’une société qui a un brevet sur l’appareil, qui est seule à le produire et le vendre. Pour la plupart des chercheurs, le premier réflexe serait de prendre le prix catalogue – 750.000 euros – et de l’acheter. J’ai personnellement pris le temps, avant d’aller négocier, de regarder le profil de la société et ses besoins afin de me placer en position avantageuse de négociation, non seulement pour l’achat de l’outil, mais aussi pour tous les accessoires qui l’accompagnent, la maintenance et la formation à l’utilisation. L’administration a donc clairement un rôle à jouer à ce niveau pour atteindre des prix plus raisonnables. Ces deux instruments ont, de plus, été subventionnés par le programme européen Feder. Là encore, il est clairement du ressort de l’administration et non du scientifique, qui n’en a généralement pas l’habitude, de voir comment trouver des cofinancements.

Justement, on pourrait se dire qu’un directeur financier dans un institut scientifique, c’est quelqu’un qui est à la recherche permanente de subsides…

«J’ai été directeur financier dans des structures industrielles, on y cherche aussi à maximiser le rendement et les flux de trésorerie. La recherche de subsides n’est donc pas un nouveau métier, c’est le secteur d’activité qui change. Dans l’industrie, on ne regarde évidemment pas les programmes européens de recherche pour voir s’il y a moyen de trouver une subvention. Mais l’approche qui consiste à trouver des ressources pour l’activité, elle, est inhérente à l’activité du CFO. Donc, au LIH, je ne dois plus contacter des clients pour leur demander d’honorer leurs factures, mais je multiplie les contacts avec les ministères pour les convaincre du bien-fondé de nos travaux et pour voir comment ils peuvent nous aider. Avant, j’allais auprès d’un banquier et je devais le convaincre que le projet ne comportait pas de risques. Maintenant, je vais dans les ministères et je dois justement faire valoir le niveau de risques pour obtenir leur soutien. Le rôle change, mais la recherche de l’argent fait toujours partie du métier.

On vient d’une situation où chacun voulait «une Ferrari dans sa cave»

La recherche scientifique est-elle compatible avec celle de la rentabilité?

«C’est un point important. Nous sommes liés au gouvernement luxembourgeois par un contrat de performance. L’objectif est de ne pas nous laisser faire de la recherche pour la recherche. À un moment donné, nous devons pouvoir assurer des retombées pour l’économie grand-ducale. Concrètement, le ministère de l’Éducation et de la Recherche nous fournit une dotation. Le budget est établi pour 4 ans et ils nous accordent leur confiance au niveau de la gestion. Mais pour contrôler qu’on ne fait pas n’importe quoi, ils nous demandent des contreparties. Ce n’est évidemment pas si simple. Dans la recherche biomédicale, il faut souvent un temps assez conséquent avant de voir les premières retombées. Pour produire un nouveau médicament, il faut parfois plus de 10 ans…

Vous devrez donc, à terme, dégager des ressources propres?

«L’objectif est qu’à terme 60% de notre budget vienne de la dotation initiale et 40% d’autres sources de financement. Pour l’instant, la dotation de l’État tourne encore entre 65-67%.

Quelles pourraient alors être les autres sources de financement?

«Les capitaux réellement privés ne représentent actuellement que 7% de nos ressources. Beaucoup de projets dépendent de programmes nationaux, comme ceux du Fonds national de la recherche, et européens. Les financements pourraient venir d’entreprises qui souhaiteraient mettre de l’argent dans nos projets parce qu’elles les trouvent intéressants. Mais pour l’instant, leur intervention reste faible.

Vous pouvez aussi faire appel aux dons et au sponsoring?

«Oui et je pense d’ailleurs que nous ne faisons pas assez appel à ce type de financement. Évidemment, ce n’est pas simple de trouver un sponsor qui veuille accoler son nom à un projet de recherche sur le sida, par exemple. Ce qui suscite plus d’intérêt auprès de sponsors potentiels, par contre, ce sont notamment des projets qui se font dans notre laboratoire de recherche en médecine du sport. Ce laboratoire étudie les effets de l’activité et de l’inactivité physique sur le corps et essaie de trouver des moyens pour mieux prévenir les blessures sportives. L’équipe de recherche a incité une grande marque de chaussures de course à pied, qui est restée anonyme, afin qu’elle nous soutienne dans des études impliquant un large échantillon de personnes: il s’agissait de déterminer les effets d’une semelle plus ou moins dure ou plus ou moins inclinée sur la survenance de blessures lors de la course à pied. ING, principal sponsor du marathon de Luxembourg, cofinance aussi des études liées à la médecine du sport. Là où nous recevons, par contre, pas mal de dons, c’est par rapport à nos travaux en oncologie. Mais beaucoup de personnes sont encore étonnées d’apprendre que de la recherche contre le cancer se fait aussi au Luxembourg et qu’on peut faire des dons pour la faire avancer. Il y a donc pas mal de travail à faire au niveau de notre notoriété et de la communication sur la possibilité de faire des dons.

La jeune société de biotechnologie Complix a été créée à partir des travaux du LIH. À partir de quand décide-t-on de lancer une spin-off?

«Il faut avoir découvert quelque chose d’exceptionnel à haut potentiel de commercialisation et avoir généré une réelle compétence au niveau d’une équipe sur un sujet porteur. Dans le cas de Complix, il s’agissait d’une technique réellement innovante, mais où il était difficile, dans un premier stade, de trouver les investisseurs pour prendre le risque de la développer. Il ne suffisait donc pas de vendre un brevet à une société existante. Lorsque nous avons pris la décision de créer une spin-off, nous l’avons fait avec un gestionnaire d’investissements à haut risque spécialisé dans le secteur biomédical, tout en gardant nous-mêmes une participation importante dans la jeune société. Mais après les premières augmentations de capital, notre part dans l’actionnariat est substantiellement réduite.»

Parcours
Des expériences tous azimuts
Avant le LIH, où il dit «avoir trouvé son bonheur», Thomas Lentz a acquis de l’expérience au sein de diverses sociétés basées au Luxembourg.

Responsable de l’administration et des finances pour le Luxembourg Institute of Health, Thomas Lentz a été attiré, il y a un peu plus de 4 ans (avril 2011), par la diversité de la tâche. «Jusque-là, je n’avais eu que des postes purement financiers, alors qu’ici je gère à la fois les finances, les ressources humaines, l’IT, le controlling, les achats et les services techniques.» Après des études de finances, il rejoint en 1987 l’entreprise Good Year et voyage, pendant 17 ans, dans les différentes entités financières. En avril 2004, il rejoint Luxair en tant que vice president Finance et y apprend comment louer et acheter des avions. «Un métier atypique et passionnant», se remémore-t-il. Il y reste un peu plus de deux ans, puis rejoint la petite société Luxenergie, basée sur le plateau du Kirchberg, qui devait mettre ses comptes aux normes IFRS pour se placer sur la même grille de lecture que son actionnaire Enovos et bâtir un département administration plus solide. Au printemps 2010, il effectue encore un passage d’un an au sein de la société de revêtement de sols Tarkett à Clervaux avant de rejoindre le LIH.