Pour le PDG de Saturne Technology, le marché de l'impression 3D est loin d'avoir atteint 
ses limites. (Photo: Jessica Theis)

Pour le PDG de Saturne Technology, le marché de l'impression 3D est loin d'avoir atteint 
ses limites. (Photo: Jessica Theis)

Monsieur Grzymlas, pourquoi avez-vous misé sur le Grand-Duché pour vos activités de production au laser puis d’additive manufacturing?

«Je savais que le Luxembourg se positionnait dans les nouvelles technologies et était à la recherche de sociétés actives dans ce créneau qui pourraient s’y implanter. Concernant le volet administratif, les autorités se sont montrées compréhensives, sans toutefois être laxistes puisque nous avons dû apporter des réponses en toute transparence aux services concernés, qui se sont aussi déplacés pour constater que nous étions présents avec une réelle substance. Il y a ceci dit une réelle volonté de promouvoir les sociétés technologiques de la part du ministère de l’Économie. Je pense notamment à notre collaboration autour du Salon du Bourget, qui est la manifestation incontournable pour notre société et durant laquelle le ministère réunit plusieurs sociétés luxembourgeoises autour d’un stand.

L’an prochain, nous prévoyons d’y installer une machine de fabrication pour réaliser une pièce de 0,5m3 en une seule opération. Nous sommes désormais bien installés au Luxembourg et nous nous sentons soutenus dans nos développements. C’est très encourageant et nous sommes fiers d’arborer le drapeau luxembourgeois.

Comment avez-vous réussi, progressivement, à bâtir la réputation de Saturne, tout d’abord dans la sous-traitance au laser?

Je connaissais déjà une partie de nos clients actuels via mes expériences antérieures, mais il a fallu tout recommencer, produire les pièces demandées, les faire valider et maintenir une constance dans la qualité délivrée pour se faire un nom. La sous-traitance au laser peut toucher tous les domaines industriels, mais nous avons privilégié la haute technologie. Après les premiers essais et des produits de quelques centaines de pièces par mois, l’année 2005 a marqué un premier cap dans notre développement, puisque nous avons commencé à travailler sur des pièces très complexes de moteurs d’avions pour le compte du groupe Safran. Nous nous sommes aussi fait connaître de grands donneurs d’ordres comme Delphi ou Rotarex, pour lequel nous sommes d’ailleurs devenus le principal fournisseur de pièces soudées.

Votre approche diffère-t-elle selon que le marché soit local ou international?

«Notre positionnement sur le marché local est surtout fonction d’une production de pièces récurrentes, validées il y a plusieurs années, et qui sont produites avec une approche de qualité stable et un objectif constant de zéro rebut. Ceci nous vaut d’être consultés en priorité lorsque les clients avec lesquels nous travaillons régulièrement sont en passe de produire de nouvelles pièces.

Que retenez-vous de la première phase de croissance de Saturne?

«Ce n’était pas forcément une période facile. Le chemin qui mène vers la confiance des clients est long et parsemé de nombreuses réponses à leurs attentes, sur base d’un cahier des charges très précis. Par ailleurs, il faut pouvoir jongler avec les impératifs budgétaires dans une période où les premières rentrées financières arrivent à un rythme inégal.

Comment se compose votre équipe?

«Nous employons une dizaine de personnes polyvalentes que nous connaissons depuis longtemps. Nous avons la chance de parler un langage technique commun et de pouvoir compter les uns sur les autres. Nous voulons actuellement étoffer notre équipe et engager sept à huit personnes, ce qui ne se fait pas sans mal, car nous avons des difficultés à trouver des collaborateurs qualifiés et qui veulent, idéalement, s’engager sur la durée. Nous recherchons avant tout des profils évolutifs, qui puissent être capables de remettre en question en permanence leur travail pour aboutir à des productions alliant la maîtrise des coûts, le respect du cahier des charges et donc de la qualité ainsi que des délais impartis.

Comptez-vous des concurrents sur le sol européen, notamment dans des pays dits à bas coûts?

«Nous ne comptons pas véritablement de concurrents en Europe de l’Est, car les donneurs d’ordres importants qui ont privilégié cette voie entre les années 90 et aujourd’hui ont déchanté en raison d’échecs sur les plans de la qualité et du délai. Cela nous conforte dans notre volonté de nous investir en permanence dans la qualité. Depuis le début, nous avons mis en place des normes extrêmement strictes en interne,ce qui nous a valu d’être certifiés ISO 9001 et de recevoir l’agrément mondial EN 9100 couvrant l’aéronautique. Nous venons de recevoir le renouvellement annuel pour ledit agrément suite à un audit du cabinet européen SGS, avant une nouvelle procédure de certification prévue en août 2015 que nous comptons bien réussir également.

Comment avez-vous réussi à vous lancer dans le domaine de l’impression 3D métallique?

«Nous fabriquons depuis un an et demi des pièces via l’impression en trois dimensions métallique – ou additive manufacturing – au terme d’un processus de recherche d’une machine qui corresponde aux besoins de nos clients. Nous avons trouvé celle qui pouvait servir de base à notre vision auprès d’un fournisseur, machine que nous avons fait modifier pour correspondre à nos impératifs de production. Car le premier critère de sélection pour un client vis-à-vis d’un nouveau mode de production tel que celui que nous exploitons est de disposer de pièces qui présentent les mêmes caractéristiques que celles fabriquées via usinage. Cela implique notamment la création de prototypes, une phase de test avant la mise en production en tant que telle.

Quels sont les types de collaborations avec vos clients?

«Cela dépend du secteur d’activité. L’industrie procède selon des contrats annuels, au même titre que le secteur médical, pour lequel nous fournissons, par exemple, des outils d’amputation ou des implants. L’aviation fonctionne selon des contrats-cadres au long cours en raison du délai de production global d’un avion. Il faut savoir que 78% des pièces nécessaires pour fabriquer un avion sont sous-traitées. Les clients sont donc à la recherche d’une stabilité dans la livraison des pièces qui ont été validées par chaque partie préalablement.

Safran fait partie de vos clients de référence. Peut-on parler d’un rapport de partenariat plutôt que de donneur d’ordres à prestataire?

«Safran compte 17.000 fournisseurs sur la planète et nous avons le privilège d’être classés parmi les 400 meilleurs fournisseurs du groupe. Nous allons même recevoir un Award remis aux fournisseurs qui présentent un OTD (on time delivery) de 100% durant trois mois consécutifs et mesuré sur les critères de qualité, de prix et de délai. Or, nous affichons un OTD de 100% depuis cinq ans chez Safran, ce qui nous classe parmi les fournisseurs à consulter en priorité. C’est évidemment un élément de satisfaction.

L’augmentation annoncée de la TVA et le retour de l’indexation des salaires concernent-ils votre secteur d’activité?

«La hausse de la TVA ne va pas influencer notre activité. Il est en revanche primordial que nous puissions proposer des tarifs, charges comprises, qui soient plus compétitifs que dans les pays voisins. Concernant l’index, nous avons la chance d’opérer dans un secteur d’activité qui permet de disposer de marges correctes tout en travaillant avec un prix souvent figé pour une période de cinq ans, avec une adaptation possible en cas de variation du coût des matières premières. Je pense, en revanche, que l’index est plus problématique dans d’autres secteurs d’activité liés à la mécanique. 

Comment assurer une démarche de R&D parallèlement à la livraison des commandes?

«Nous sommes occupés en permanence à la fois par des activités de production et par des processus de validation de tests que nous intercalons, le tout grâce à un ERP solide, qui nous permet de gérer notre calendrier de production.

L’informatique est donc déterminante pour votre entreprise…

«Sans informatique, on ne fait rien. Nous comptons sur l’aide d’un prestataire externe établi au Luxembourg pour la gestion de cet aspect primordial. Nous avons besoin, dans ce cas, d’une réactivité en cas de problème, sachant que notre informatique doit être changée au maximum tous les cinq ans.

Comment comptez-vous garder une certaine avance dans le créneau de l’additive manufacturing?

«On se rend compte qu’il ne se passe pas un jour sans qu’un client potentiel qui a entendu parler de notre entreprise ou qui connaît l’impression 3D en plastique ne soit impressionné par notre offre permettant de réaliser des pièces métalliques par cette technologie.

Le fait d’y travailler depuis cinq ans en proposant désormais une solution clé en main doit nous permettre de garder un train d’avance, même si nous devons en permanence nous remettre en question. C’est ainsi que nous avons validé dernièrement l’usage de sept nouvelles matières pour l’additive manufacturing. Ce test a été réalisé sur des pièces complexes en collaboration avec un important acteur de l’aéronautique, dans l’optique de faire évoluer la structure des avions. Sachant qu’un kilo d’économisé lors de la construction d’un avion représente une économie de l'ordre d’un million d’euros, les constructeurs de moteurs d’avions se montrent donc intéressés par notre procédé.

Quels sont vos prochains projets?

«Vu l’ampleur prise par nos activités, nous avons pour objectif de faire construire un nouveau bâtiment d’ici 2015, en sus d’un important programme d’investissements portant sur plusieurs millions d’euros afin d’acquérir de nouvelles machines.

Est-ce facile de trouver le financement nécessaire à vos activités?

«Nous ne pouvons pas nous plaindre, mais les banques sont très réticentes lorsque le cap des 10 millions d’euros est dépassé. Nous travaillons actuellement avec un partenaire pour effectuer une levée de fonds privés et européens pour assurer la pérennité de l’entreprise.

Selon votre expérience, quelles sont les qualités nécessaires à un entrepreneur?

«On dit souvent que l’avenir appartient aux ambitieux, mais en dehors de cette caractéristique nécessaire pour entreprendre, il faut surtout bien calculer, trouver le bon moment pour lancer une innovation, ne pas vivre sur ses acquis et faire avancer l’entreprise sur base d’investissements qui tiennent la route.»