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Dès la signature des statuts, la société commerciale acquiert une personnalité juridique propre, distincte de celle des membres qui la compose. «Elle ne peut agir sans l’intermédiaire de ses représentants, les dirigeants sociaux», explique Me Brigitte Pochon. La responsabilité personnelle de son représentant peut-être engagée tant vis-à-vis de l’entreprise et de ses membres que vis-à-vis des tiers. Cette responsabilité peut revêtir différentes natures: contractuelle, délictuelle, pénale, fiscale, voire administrative.

Ainsi, le dirigeant se doit d’être particulièrement attentif à ses obligations sous peine de se voir personnellement sanctionné. Me Pochon rappelle que «le dirigeant, lié à la société par un contrat de mandat social, est en charge de la bonne gestion de l’entreprise. À ce titre, il dispose d’une certaine liberté pour l’exercice de sa mission.» Son indépendance est cependant strictement encadrée par la notion d’«agissements dans l’intérêt de la société».

L’administrateur engage sa responsabilité en cas d’actes contraires à l’intérêt social. «La responsabilité du mandataire dépasse la notion de simple responsabilité contractuelle. En effet, il peut être poursuivi pour des faits non fautifs, voire des faits commis par autrui. Il peut également être confronté à d’autres types de responsabilités à l’égard de l’Administration des contributions directes ou de la Sécurité sociale notamment.»

La responsabilité civile des dirigeants

Traditionnellement, la responsabilité civile des dirigeants est considérée comme étant de nature contractuelle vis-à-vis de la société à l’occasion de l’exécution du contrat de mandat, de nature délictuelle vis-à-vis des tiers. La loi de 1915 sur les sociétés commerciales envisage deux types de responsabilité civile du dirigeant: la responsabilité pour faute de gestion et la responsabilité pour violation de la loi de 1915 ou des statuts. «La responsabilité pour faute de gestion est individuelle. Elle ne peut être recherchée que sur décision de l’assemblée générale des actionnaires, du curateur en cas de faillite ou du liquidateur en cas de liquidation. La responsabilité pour violation des statuts ou de la loi sur les sociétés commerciales repose sur le principe de la solidarité. Les dirigeants de société sont solidairement responsables de tous les dommages qui en résultent », précise Brigitte Pochon. Pour être déchargé de sa responsabilité, le dirigeant doit apporter la preuve qu’aucune faute ne lui est imputable et qu’il a dénoncé ces infractions à l’assemblée générale qui suit immédiatement le moment où il en a eu connaissance. Les poursuites peuvent être engagées tant par la société que par les tiers lésés, tel un actionnaire individuellement ou un créancier. «La responsabilité civile peut également être engagée en cas de faute du dirigeant sur la base de la responsabilité délictuelle.» En pratique, la victime dispose dans ce cas d’une option d’action contre la société ou contre son dirigeant. «Le choix se porte sur le plus solvable des deux et donc, généralement et en premier lieu, la société. Le gérant peut voir sa responsabilité engagée en cas de faute d’autrui et spécialement en cas de faute d’un salarié.»

La société condamnée à indemniser la victime du fait de la faute commise par son salarié peut, sur la base de la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés, se retourner contre son dirigeant si le salarié fautif a été choisi par lui. «Il en va de même dans le cadre de la délégation journalière. En principe, l’administrateur n’est pas responsable des fautes commises par le ‘délégué à la gestion journalière’ qui est personnellement responsable de ces agissements envers la société et envers les tiers. Cependant, en cas de désignation d’une personne ‘notoirement incapable’, le dirigeant pourra être tenu responsable du dommage causé.»

La responsabilité pénale des dirigeants

Si la responsabilité pour fait d’autrui demeure exceptionnelle, elle n’est pas anecdotique puisque le dirigeant peut voir sa responsabilité pénale engagée pour fait d’autrui. «Ainsi, en cas de manquement des salariés aux règles de sécurité et de salubrité, le dirigeant est présumé responsable des dommages qui en découlent. Il doit alors justifier d’une délégation de pouvoirs et du respect de l’organisation pour se voir décharger», prévient Me Pochon.

Plus généralement, l’administrateur est pénalement responsable des actes qu’il commet personnellement tels qu’un abus de confiance, une escroquerie, une infraction à la loi de 1915 (non-convocation à l’assemblée générale, non-présentation des comptes, etc.) ou à la loi relative aux pratiques commerciales déloyales. «Dans ces hypothèses, une éventuelle délégation est inopérante et le risque lié à la responsabilité du gérant ne peut être financièrement assuré. En 2010, la responsabilité pénale de la personne morale a été introduite dans la législation luxembourgeoise. À l’instar de ses dirigeants, la société pourra être poursuivie et condamnée pénalement.»

Cette mise en œuvre de la responsabilité pénale de la personne morale n’est pas exclusive de la responsabilité pénale du dirigeant. «Elles peuvent, toutes deux, être inculpées comme auteurs ou complices de la même infraction.» D’autres actions en responsabilité

D’autres actions en responsabilité

D’autres actions en responsabilité peuvent être engagées à l’encontre du dirigeant. «Lorsque les futurs fondateurs contractent des engagements pour ‘la société en formation’ avant la signature des statuts.» La responsabilité personnelle du dirigeant se trouve engagée bien qu’aucun contrat de mandat ne lui ait été attribué. «De même, et pendant l’exploitation de la société, un ‘dirigeant de fait’ devra répondre de ses actes s’il est établi que, par son ingérence ou pression, des décisions préjudiciables pour la société ou des tiers ont été prises.»

Enfin, en cas de manquements aux obligations fiscales de la société, la responsabilité fiscale du dirigeant pourra être engagée par l’administration. «Il en va de même en matière de sécurité sociale», précise Brigitte Pochon.

Une vigilance accrue est donc de mise à chaque instant...

Jurisprudence

Quitus et impunité: histoire d’un malentendu

L’administrateur peut voir sa responsabilité recherchée sur la base contractuelle ou délictuelle. Selon l’article 59 alinéa 1 de la loi, l’action en responsabilité contractuelle des administrateurs pour faute commise dans leur gestion ne peut être exercée que par la société.

Conformément au droit commun, l’action en responsabilité délictuelle pour violation de la loi de 1915 ou des statuts peut être engagée si une faute, un préjudice et un lien de causalité sont établis.

«Dans ces conditions, le ‘quitus’ émis en assemblée générale, qui valide la décharge des dirigeants sociaux après l’approbation des comptes annuels, est trop souvent perçu comme permettant de soustraire le représentant à ses obligations. Cependant, cette décharge spéciale empêche l’exercice ultérieur de l’action sociale sans pour autant dégager la responsabilité du représentant à l’égard des tiers.» Ce vote couvre les fautes de gestion et les violations statutaires, expressément prévues dans la décharge, mais n’est pas opposable aux tiers. Ces derniers conservent leurs droits d’action.

L’assentiment des associés ne saurait faire disparaître le caractère délictueux des faits reprochés. «Il faut comprendre qu’un quitus donné après l’opération, pas plus qu’une autorisation donnée avant, n’empêchera la réalisation du fait imputé au dirigeant.» Cette solution, retenue par les tribunaux, pose les conditions et les limites de la décharge accordée à l’administrateur.

L’assemblée générale ne peut valablement donner décharge aux dirigeants que dans la mesure où elle était parfaitement informée de la situation réelle de la société. «La décharge couvre les comptes sociaux ainsi que les faits dont les associés avaient connaissance. Elle n’est valable que si le bilan ne contient ni omission ni indication fausse dissimulant la situation réelle de la société et quant aux faits en dehors des bilans, que s’ils ont été spécialement indiqués dans la convocation.»

Le dirigeant demeure responsable de ses agissements envers les tiers, mais également envers un actionnaire individuel et minoritaire, dès lors que celui-ci apporte la preuve d’une faute de l’administrateur résultant d’une violation de la loi ou des statuts, d’un préjudice personnel, indépendant et distinct de celui qui a pu être causé à la société et du lien de causalité entre la faute et le préjudice. «Si le préjudice ne peut être distingué de celui de la société, alors l’associé individuel ne pourra exercer son action, bien que sa personnalité soit considérée comme absorbée par la société, dotée d’une personnalité distincte et qui aurait accordé la décharge pleine et entière à l’administrateur. Lorsqu’une action en responsabilité pour violation de la loi ou des statuts est engagée à l’égard d’un administrateur, tous les dirigeants de la société sont présumés fautifs.»

Cette présomption simple pourra cependant être renversée par la preuve contraire en démontrant que l’administrateur n’a pas participé à l’infraction et que, après en avoir eu connaissance, il l’a dénoncée à la prochaine assemblée générale.

En bref

Les devoirs du dirigeant

Être loyal à l’égard de la société et de chaque associé.

Agir dans l’intérêt de la société.

Gérer la société «en bon père de famille».

Respecter les statuts de la société et les dispositions légales.

Se soumettre aux obligations qui pèsent sur la personne morale (déclarations, paiement de l’impôt, etc.).

Veiller au strict respect par les salariés de la législation et des normes en vigueur (sécurité, santé).

Informer les associés lors des assemblées générales de tout comportement délictuel.

Réparer le préjudice résultant d’une inexécution en cas de relation contractuelle entre le dirigeant et la victime.

Répondre pénalement de ses actes délictueux.

Réparer le préjudice résultant de son fait personnel, d’une simple négligence ou d’une imprudence.